I am the Doctor, run for your life.

Doctor Who. La meilleure série du monde de tous les temps de l'univers -en ce moment. Je l'ai découverte grâce à Torchwood, l'autre meilleure série du monde de tous les temps de l'univers. Oui, je suis infidèle, et alors ? Après une première saison assez... curieuse, la série a fini par démarrer, et au bout de la quatrième j'étais complètement accro, au point de trouver Donna attachante, et c'était pas gagné.

Le seul problème de Doctor Who, c'est qu'en ce moment ils font une petite parenthèse d'un an, le temps de changer d'acteur en douceur sans qu'on ne remarque rien. Ca crée un léger manque : trois mois à ne regarder qu'une seule série, jusqu'à en connaître le générique par cœur (au bout de trois mois j'ai appris quatre notes, tout ça grâce au programme intensif du professeur Kawashima, oui ma bonne dame), à en acheter plein de produits dérivés à Londres, comme ce ravissant Dalek animé qui me regarde quand je mange.

Les Daleks, c'est trop des salauds : des espèces d'organismes mutants enfermés dans une carcasse de ferraille, dont l'unique but dans la vie tient en un seul mot, leur slogan : exterminate !, scandé d'une voix métallique insupportable. L'univers de Doctor Who est assez bien résumé par la description que Wikipedia fait des Daleks : "Ils ont la forme d'un gobelet en plastique retourné mais possèdent des armes puissantes". Voilà voilà, une fois qu'on a dit ça, je crois qu'il n'y a pas grand chose à ajouter.

Fan absolu de cette série à mi-chemin entre Chapeau Melon & Bottes de Cuir et... euh... je sais pas, une série de science-fiction qui serait bien, à l'humour so British, je ne pouvais pas ne pas (attention lecteur, cette double négation n'est là que pour te perturber) lui rendre un vibrant hommage, je suis ce genre d'homme.

J'aurais pu me contenter d'un article sur mon blog, et rejoindre tous les groupes Doctor Who/ Torchwood/ David Tennant (Daviiid !) sur Facebook. Mais ça ne suffisait pas. J'ai donc décidé de relooker mon téléphone intégralement aux couleurs de mon héros, un peu comme si j'avais treize ans et que je collais des posters de Tokio Hotel partout sur mes affaires, sauf que là c'est moins la honte.

Et en avant le fond d'écran Doctor Who, et que je t'écume tous les sites du monde pour trouver une bonne sonnerie de ma série chérie. Je suis difficile : il me fallait une sonnerie originale, que je reconnaîtrais entre mille, et qui me replongerait immédiatement dans l'univers Doctor Whoesque que j'aime tant. Au bout d'une semaine de recherches, à télécharger plein de sons, j'ai fini par trouver la sonnerie de mes rêves. Son seul problème, c'est qu'elle est difficile à assumer. Bien sûr, quand je suis en bonne compagnie, je peux m'amuser à faire sonner mon portable jusqu'à m'en faire saigner les oreilles, mais au boulot ou en société (donc surtout au boulot, en fait), je dois absolument penser à le mettre en vibreur, sinon...

Sinon, il se passe ce qui est arrivé aujourd'hui, pendant que je lisais mon Mickey Parade difficilement arraché des mains d'un petit garçon tout pouilleux ou que sais-je, dans la salle d'attente bondée de mon médecin, lieu de recueillement et de silence s'il en est. Je tourne la page. Je sens ma poche qui vibre. Et avant que j'aie pu me rendre compte de ce qui se passait, mon téléphone se met à crier :

Même en ayant habilement troqué mon Nokia monochrome tout pourri contre un iPhone, ça n'est pas encore cette fois que je vais rompre la malédiction du portable honteux.

C'est bien dommage.

Say my name, bitch !

Quand Girafa avait parlé de me changer de poste, elle m'avait décrit en détail le profil qu'ils désiraient, et ça m'avait un peu surpris. Ce qu'il fallait pour ce boulot c'était Divad, mon jumeau maléfique qui m'est diaboliquement opposé en tout : quelqu'un avec des grandes capacités sociales, à l'aise au téléphone, de bonne humeur et rigoureux dans son travail.Elle avait bien insisté sur le besoin de rester souriant en toutes circonstances, surtout au téléphone, parce qu'un sourire ça s'entend. Alors même si on m'appelle vingt fois de suite pour la même question idiote, je dois garder à chaque fois du soleil dans la voix : "mais non voyons, il n'y a pas de questions idiotes ! (Il n'y a que des sottes gens. Et tu es leur chef)".

Ca n'a pas été facile, mais j'ai appris. J'ai appris le téléphone, à parler à des gens que je ne vois pas, et en leur souriant. Même si quand je ne suis pas en ligne je suis morne et dépressif et que j'ai envie de me trancher la gorge à mains nues, dès que ça sonne, j'attrape le combiné et j'y vomis toutes mes ondes positives de ma voix chaude et enjouée. Et je retombe dans ma neurasthénie dès que je raccroche. C'est chouette, ce job va m'aider à entretenir ma schizophrénie.

On m'avait aussi prévenu qu'au début, tout le monde allait me demander qui j'étais, quand je décrocherais. Alors même si on m'a demandé cent fois "c'est qui ?", j'ai répondu cent fois en souriant "c'est David, tu appelles pour quoi ?". Par contre, on ne m'avait pas prévenu que j'allais être confondu. La première fois, je n'y ai pas fait attention, j'ai décroché :

- Bureau du quatre ? :)(Parce que le bureau est au quatrième étage, malheureusement ça n'est pas un chouette code d'agent secret)

- Nounours ?

J'ai failli mal le prendre, mais je n'ai rien dit, ou plutôt si, je l'ai poliment corrigée, cette gourde, avant de poursuivre la conversation. Et c'est arrivé, encore et encore et encore. Tout le temps, tous les jours, on me confond avec Nounours, ou Pierre, ou Paul, ou mon chef que je suis le seul à trouver beau (dans ces cas-là je suis flatté, mais ça n'arrive pas souvent). Et systématiquement, je réponds comme si c'était la première fois, et que c'était encore rigolo au bout de trois mois que personne ne me reconnaisse, bande de raclures.

Et parfois... Je m'en souviendrai toute ma vie. C'est arrivé un jour où j'étais particulièrement en forme. Quand le téléphone a sonné, je l'ai attrapé, mes chacras tellement béants que mon yang coulait à flots, sur la chaise, sur mes chaussures et dans le combiné. J'ai pris ma plus belle voix, celle avé le bel assent channntant du sudeuh (non c'est pour rire, je hais l'accent du sud et ses propriétaires, si ça ne tenait qu'à moi, on atomiserait tout le sud de la Loire -et un jour, ça ne tiendra qu'à moi) :

- Bureau du quatre ? :D

- ... Euh...? Nathalie ?

Je ne crois pas que je m'en remettrai un jour.

Homme au foyer désespérant

Je suis quelqu'un de très propre : je me douche tous les jours, je me lave les mains après avoir fait pipi et popo, je fais ma vaisselle avant que toutes les assiettes ne gisent misérablement dans l'évier, et je vais au lavoir une fois par semaine, pour me moquer des crevards qui n'ont pas de lave-linge chez eux et me tenir au courant des derniers ragots. Alors l'autre jour, j'ai lavé mes draps, souillés de sueur, de sperme et de sang (c'est tellement beau cette phrase, on dirait du Régine Desforges, voire du Mylène). En plus ils avaient dit à E=M6 que mon lit était sûrement plein d'acariens qui passent leur temps à manger la peau qui me tombe du crâne, et à faire leurs petites crottes d'acariens partout dans mon oreiller. Beeerk, moi je veux pas de ça dans ma chambre ! À la machine, le linge de lit !

Avec la petite fraîcheur ambiante, ça semblait compromis de les faire sécher au grand air, comme le faisait ma maman quand j'étais petit. Au diable l'avarice, j'ai donc pris deux euros pour aller les foutre dans les séchoirs de la laverie d'en bas. Comme j'y suis allé un lundi, j'étais presque le seul occupant des lieux, à part un petit vieux tout glauque qui regardait tourner ses gilets et ses maillots de corps en faisant des mots fléchés, et que j'ai ignoré comme il se doit.

Tous les sèche-linge étaient vides, je n'avais que l'embarras du choix. J'ai fini par me décider sur un, même si faire des choix, c'est un combat de tous les instants. Je suis retourné à la centrale pour payer. Je tape le numéro de ma machine, un euro, pour un premier cycle, et on recommence, re-numéro, re-un euro, parce que sinon ça sèche mal (les enculés, ils pouvaient pas faire des séchoirs plus puissants ?).

Déjà prêt à retourner chez moi en attendant que ça soit terminé, j'ai jeté un coup d'œil vers les machines, pour dire au revoir à mon linge. Dépité, j'ai regardé le séchoir d'à côté se mettre à tourner, pendant que mes draps restaient désespérément immobiles.

Je suis aussi quelqu'un de très distrait.

Dial M for Murder

Avec ma dernière promotion, la partie immergée de mon job est de... répondre au téléphone. Tadaaah ! Je dois "réceptionner les appels" des caissiers qui ont des problèmes, besoin d'un renseignement, ou qui veulent savoir où est leur pote... Heureusement, je ne fais pas que ça : j'ai aussi le droit de jouer avec Excel, et quand je suis vraiment très très sage, on me laisse faire du découpage.Oui, c'est un travail enrichissant et palpitant. Non, ma vie n'est pas un échec.

Et puis j'ai parfois la chance d'avoir une collègue -que je déteste, sans raison particulière, ou alors j'ai oublié-, parce que les jours comme le samedi, ils avaient calculé qu'on reçoit en moyenne trois cent coups de fil, et avec une seule bouche c'est pas facile de répondre à tous (même si les chefs ont aussi le droit de répondre pour nous aider, mais quand ça devient trop dur ils ont toujours autre chose à faire, moi aussi plus tard je veux être chef). C'est pendant un de ces samedis que mon pire cauchemar de travail s'est produit.

Je jouais avec l'agrafeuse en chantonnant, lalala lala lalaaa..., quand le téléphone a sonné. Comme j'étais occupé et loin du poste, Collègue a décroché. Je la hais et c'est rien qu'une sale morue, alors forcément je n'écoutais pas vraiment ce qu'elle disait. Mais une petite phrase a éveillé mon attention et m'a fait lever la tête vers sa conversation :

- Hmmm ? Oui, il est devant moi...

Sur la demi-douzaine de personnes présentes à ce moment-là, j'étais le seul garçon, je me suis donc senti un peu concerné. Je lui ai fait mon regard interrogateur, en mimant "gné ?" avec mes sourcils. Une lueur vilaine s'est allumée au fond de ses yeux.

- D'accord... Je lui dis...

Je savais que je n'allais pas aimer ce qu'elle avait à me dire : j'ai fait une horrible erreur et je suis viré, ou je vais avoir un rappel à l'ordre, ou c'est la gendarmerie qui appelait et quelqu'un a eu un accident... J'aurais préféré.

Elle a raccroché, un sourire vicieux caché au coin des lèvres. Elle a planté son regard torve dans le mien. J'ai vu le tout petit instant d'hésitation lui traverser l'esprit : je le fais, je le fais pas...? Elle l'a fait. Elle a souri, la hyène, et en articulant du mieux qu'elle pouvait, elle a lancé :

- La maman du petit David attend son fils à la caisse 932...!

Ma vie qui défile devant moi. Flashbacks de mon enfance, des bisous gênants devant la grille de l'école, et tous ces moments d'affiche totale devant les copains. Mais l'heure n'est pas aux vilaines réminiscences ou aux vieilles rancœurs. À cet instant, il faut réagir.

- ... Euh... Je... Jem'absentetroisminutesd'accord...

- Meuh oui mon pitit David, va voir ta maman !

- Ha ha ha !

Plus jamais je ne me moquerai de ceux qui prétendent avoir du mal à contrôler le volume de leur voix quand ils sont stressés en les traitant de simulateurs : ça peut vraiment arriver. Je suis donc parti en courant et cramoisi, plus vite j'arriverai sur les lieux du crime, plus vite ça sera fini.

Et là, devant trois caissières hilares -dont celle qui avait passé le coup de fil, avec qui je parle depuis bientôt un an mais dont je n'ai appris le prénom qu'il y a deux jours grâce à Facebook- se tenait fièrement ma mère : elle avait confondu "je suis au bureau, si tu viens à Happy Time appelle-moi et je m'éclipserai discrètement" avec "je suis au bureau, fais-moi appeler et je viendrai te voir".

Mon Dieu, comme on ne choisit pas sa famille...

Et tu enfanteras dans la douleur

Le plus rigolo avec mon nouveau poste, c'est que plein de gens avec qui je bossais avant me traitent maintenant comme si j'avais un quelconque pouvoir, ou même des responsabilités vis à vis d'eux, et du coup ils viennent me parler de leurs problèmes, genre j'en ai quelque chose à foutre.C'est par exemple le cas de Cheveux Gras, une fille qui est rentrée dans la boîte pile en même temps que moi, même qu'on avait fait notre formation ensemble (et déjà à l'époque, elle ne connaissait pas le shampooing). Elle est arrivée l'autre jour dans le bureau où j'ai pris mes quartiers d'hiver, et après m'avoir salué avec respect et déférence (parce que c'est vrai, je suis un peu le mec qui est presque juste en dessous de sa n+1), elle m'a annoncé :

- Au fait, je suis enceinte...

- Ah. Euh... Ben... Félicitations...? (Ewww !)

J'ai réprimé tant bien que mal mes instincts de Lieutenant Ripley : je me suis assis sur mes mains, pour ne pas risquer de lui cramer la gueule au lance-flammes, à elle et à l'alien qui lui pousse dans le ventre. Et surtout, je me suis concentré sur l'idée que la Compagnie pourrait encore avoir besoin d'elle, une fois qu'elle aura vêlé. Je me suis quand même reculé un peu, au cas où ça serait contagieux, et j'ai fait discrètement sonner mon téléphone (l'avantage d'avoir deux lignes) :

- Ah par contre Cheveux Gras, tu m'excuses, ça n'arrête pas de sonner ce matin, je dois te laisser, à plus tard hein, et encore félicitations ! (Brrr)

Une fois seul, j'ai voulu m'accorder une petite pause pour me remettre de toutes ces émotions, mais je me suis souvenu que je ne faisais rien, avant que Cheveux Gras vienne me déranger. Alors j'ai juste attendu que toutes mes chefs soient là, en me préparant à avoir l'air débordé. Quand elles sont arrivées, on a pu commencer notre débriefing sur tout ce qui va mal dans le magasin en ce moment, une façon de polie de dire qu'on a échangé nos ragots. C'est comme ça que j'ai appris que nos pompiers (ouaiiis, on a nos propres pompiers !) étaient bourrés en permanence, et qu'on venait d'en virer un parce qu'il piquait des cannettes de Coca pendant ses rondes de nuit. Le con.

Le moment était parfait. Je leur ai annoncé l'horrible nouvelle :

- Ah, j'ai vu Cheveux Gras, elle est enceinte...

Sous-entendu : "non mais vous y croyez, quelle conne hein ? Quand on n'est pas capable de mettre un stérilet correctement on se fait ligaturer les trompes, parce que maintenant il va falloir la remplacer, et attendre huit mois qu'elle revienne pour nous raconter comment son chiard est le plus joli et qu'il va sûrement mourir parce qu'il a pleuré bizarrement ce matin".

Mais j'avais oublié un détail : à cet instant précis, j'étais entouré de femmes. Les "ohhh !" et les "ahhh !" ont fusé, et on a passé une heure à se raconter nos souvenirs de grossesse, et comment on l'a appris, et à qui on l'a dit, et elle a de la chance... Mais non les filles mais arrêtez, c'est horrible, une femme enceinte c'est chiant et caractériel et ça se croit tout permis et ça a des hémorroïdes, tout ça pour sortir un petit troll tout fripé qui va brailler à s'en péter le cul pendant au moins quinze ans, et si ça se trouve elle va vouloir qu'on lui touche le ventre pour le sentir bouger ! Ohhh. Ahhh.

Je ne me suis jamais senti aussi seul.

Hand in my pocket

Ca fait plusieurs années que je vis une relation torride et passionnée avec ma veste en cuir. Je l'aimais quand je l'ai vue, toute neuve et encore brillante dans le magasin, à peine arrachée du dos d'un buffle innocent, et je l'aime encore maintenant, beaucoup moins neuve, toute patinée sur mes robustes épaules.Ma première veste d'adulte, merde, c'est quasiment un dépucelage !

Comme je l'aime à la vie à la mort, je veux partager plein de trucs avec elle, alors je la traîne partout où je vais. Elle m'a suivi à Prague, Copenhague, Londres, Paris, Maisons-Alfort, et même au bout du monde, tout là-bas en Seine-et-Marne. Elle ne m'a tenu chaud aucun hiver, mais je l'ai quand même gardée. Elle m'a fait suer comme un porc plusieurs étés, mais je ne l'ai pas rangée (enfin si forcément, au dessus de quinze je sors à moitié à poil tellement j'ai chaud, donc je vais pas mettre un blouson tout l'été, mais je l'ai portée le plus possible, quoi).

Je l'ai emmenée chez mes parents, chez tous mes plans cul, elle m'a servi de couverture au cinéma, et de serviette pour m'allonger dans l'herbe (parce que sinon y'a plein de petites bêtes qui piquent et c'est désagréable). Parfois, je me dis que je pourrais porter autre chose, de temps en temps, surtout que j'ai trois miyards d'autres manteaux (ou alors juste trois, je confonds toujours) dans mon placard, qui ne servent à rien d'autre qu'à prendre de la place. Mais non, pas envie, les autres ils sont moches.

Son seul problème, c'est qu'elle supporte mal l'utilisation que j'en fais. Pourtant mes parents m'avaient prévenu : il ne faut pas mettre ses mains dans ses poches, parce que tu as les mains acides, petit David, et ça attaque le tissu !, ou un truc dans le genre. Et moi, mon seul problème c'est que je n'apprends jamais.

Je l'avais emmenée une première fois chez le couturier, quand la poche gauche commençait à donner des signes de faiblesse :

- Bonjour monsieur le retoucheur, vous pouvez réparer mon manteau s'il vous plaîîît ?

- Mais bien entendu mon enfant, ça fera vingt euros.

- Oh pitaing, pour une poche ? Mais euh, vous vous touchez, un peu, non ?

- Non non. Je me retouche, ha ha ha !

- ... Ok, vingt euros et vous vous taisez (le salaud, il avait tout prévu).

Mais là, quand la même poche est morte à nouveau, bientôt suivie par la droite, puis par la poche intérieure, je me suis dit que ça n'était pas possib'. Non, il n'est pas question de retourner chez ce voleur, cet incapable dont les réparations tiennent à peine un an !

J'ai alors eu l'idée du siècle : recoudre moi-même ces putains de poches de merde. Grâce à mes tendances kleptomanes, j'ai piqué les nécessaires de couture de tous les hôtels où je suis passé, je suis bien équipé, ça va. Et puis j'ai assez regardé Cendrillon et Enchanted, ça n'a pas l'air bien compliqué de rapiécer un vêtement. Le plus difficile, ça a été de trouver des souris et des oiseaux doués avec une aiguille et assez aimables pour m'aider.

En fait ouais, ça a été tellement difficile que j'ai dû me débrouiller tout seul. Je me suis ainsi rendu compte que ça n'est pas si facile, la couture -d'ailleurs je ne vois pas trop pourquoi on présente ça comme un métier féminin, je n'ai jamais autant pissé le sang qu'en maniant les aiguilles. Parce que oui, j'ai voulu faire mon kéké : oh nooon, j'ai pas besoin de dé à coudre, c'est pour les mauviettes, ou pour faire joli dans Peter Pan, moi je suis plus malin que ç... AAARGLAïE ! Alors, je suis sagement allé voir la dame du rayon mercerie d'Happy Time, et j'ai acheté un protège-doigt. C'est ainsi qu'à l'inverse de Pénélope, j'ai pu achever mon ouvrage, et retrouver l'usage de mes poches. Quel bonheur de pouvoir y remettre les mains, et mes clefs, et tous ces trucs que je n'osais plus y ranger parce que ça risquait de les abîmer !

En plus, je me suis rendu compte que j'étais plutôt doué, pour la couture. Alors si jamais je me fais virer de chez Happy Time (un jour, ils vont se rendre compte que je ne fais rien et que je le fais mal), je pourrai toujours me reconvertir dans la retoucherie. Ouais, c'est ça. Plus jamais.

Jusqu'ici tout va bien

Depuis tout petit, je suis légèrement maladroit. Mon père avait même l’habitude de dire que j’avais deux mains droites (oui, parce que gaucher, tout ça…). Ca a commencé très tôt : pendant une réunion de famille, à l’époque où mes parents n’avaient pas encore divorcé (c’est dire si ça remonte, quand j’avais six ans ils n’étaient déjà plus ensemble), on m’avait mis à table, avec les grands. Trop la classe.On m’avait même laissé utiliser de la vaisselle d’adulte, pour une fois je ne mangerai pas dans ma gamelle Mickey. Funeste erreur : à peine on m’avait porté un verre à la bouche que je t’y plantais mes petites dents de lait, argn ! Une cassure nette. On me ressort le morceau de cristal de la bouche (chez les Procellus, on ne boit pas dans des verres de cantine), et on m’interdit de boire dans autre chose que du plastique jusqu’à mes trente ans (courage, en 2012 ça sera bon !).

Il y a aussi eu la fois où j’ai posé la main (volontairement, pour voir si c’était sec) dans le mastic fraîchement posé de la fenêtre qu’on venait de changer, qui a donc l’empreinte de mon doigt depuis ce jour –j’avais dix-sept ans ; celle où à force de jouer au con je suis tombé dans le port d’Athènes, dans la zone de plaisance, où tous les bateaux vident leurs toilettes (là j’étais plus jeune) ; ou encore le jour où on est arrivés très en retard à un déjeuner familial parce qu’on avait dû faire un détour d’ urgence chez le médecin : le petit s’était planté un hameçon dans le doigt, et même en forçant on ne pouvait pas l’enlever.

Bref, je n’en loupe pas une. J’aimerais bien faire partie de ces gens qui savent faire trois pas sans se péter la gueule ou faire exploser le sanibroyeur dans la chambre d’hôtel d’un pays dont ils ne parlent pas la langue, mais non.

J’ai beau être prudent, faire attention à mes affaires, je n’y peux rien, je suis maladroit. Un jour où je voulais refermer le MacBook, j’ai réussi à le faire tomber du haut de ma table, rebondir contre un pied de chaise, et je l’ai regardé s’immobiliser comme une merde sur la moquette. Intact.

C’est ça l’avantage de ma situation : à force de catastrophes, j’ai fini par neutraliser le mauvais Ju-ju. Je lâche tout, mais plus rien ne se casse. Le verre qui tombe dans l’évier ? Pas une égratignure.

J’avais quand même un peu peur, quand j’ai eu l’iPhone : il a remplacé mon ancien portable, dont je me servais comme réveil. Comme son prédécesseur, je le pose tous les soirs sur ma table de nuit, en attendant qu’il chante au petit matin pour me dire de me lever. Mais l’iPhone n’est pas un vrai portable, il n’a pas de touches en relief qui l’empêchent de glisser sur une table aussi lisse que lui. C’est ainsi que tous les matins, visant comme un pied, je fais taire mon téléphone en l’envoyant bouler par terre. Wizzz... Shebam.

Et tous les matins, il se relève sans une égratignure.

Pourvu que ça dure.

Encore une histoire de bouffe au boulot (2/2)

Dimanche, Comico était bien parti. En guise de cadeau d'adieu, il s'était amusé à dérégler le téléphone, en poussant la sonnerie au maximum.Le téléphone est ma responsabilité (j'ai un nouveau poste très intéressant) mais j'ai dû appeler tout le bureau à la rescousse. C'est un vieux fossile filaire, sans écran, juste des touches. On les a toutes tripotées, les salopes, sans jamais trouver celle qui permettait de régler le volume. Plusieurs coups de fil à Comico, en le menaçant, rappelle-nous connard, tout Happy Time est en route pour te lyncher, mais il n'a jamais répondu.

Mon sang froid légendaire ne m'a pas fait défaut, et je suis rapidement tombé à genoux, en hurlant et en sanglotant pour implorer le téléphone : arrête de sonner aussi fort, s'il te plaît, arrêêête ! Finalement, comme je l'attrapais pour le jeter contre le mur, j'ai remarqué le bouton "sonnerie" sur le côté. Ah... Euh... Dites, vous allez rire...

C'est à ce moment qu'est arrivée notre chef du premier étage : madame 1. Si elle était surprise de nous trouver tous hagards et les oreilles en sang, elle n'en a rien laissé paraître. Elle était par contre désolée de n'avoir pas pu venir hier pour le pot de Comico, mais elle avait une de ces migraines... Pauvre chérie, tout ça pour nous faire croire que t'as pas passé ton jour d'école buissonnière à baiser, chuis sûr. Ce qui la désolait surtout, c'est qu'elle avait préparé un gâteau pour l'occasion. Et en disant ça, elle sort de derrière son dos un plat grand comme un terrain de foot, rempli jusqu'à la gueule de tiramisu.

!!! Un peu de tiramisu, et tous les soucis de la matinée seront oubliés, allez madame 1, sers-nous vite ! Tout le monde allait y avoir droit, surtout qu'on était moitié moins nombreux que la veille (une fois de plus, Happy Time n'avait prévenu personne qu'il ouvrait le dimanche, on était donc en mini effectif), même toi David, pauvre petite Cosette. Comme je suis poli, je n'ai pas réclamé et j'ai attendu qu'on m'en propose.

Elle s'est rendu compte vers six heures qu'elle m'avait oublié.

- Mais... Tu as eu du gâteau David ?

- Non madame 1, j'ai répondu, en lui faisant ma mine de chien battu.

- Alors tu arrêtes tout, on fermera en retard s'il le faut, mais tu vas dans mon bureau et tu te se...

J'imagine que la fin de la phrase était "sers", mais le temps qu'elle finisse, j'avais déjà traversé le magasin en flèche et je défonçais sa porte à coups de masse (comme quoi, c'est utile de toujours en garder une avec soi, ils ne mentaient pas dans Nicky Larson).

Je connais ce bureau, on y faisait le pot de Comico la veille, c'est pratique, il y a un réfrigérateur, accessoire indispensable s'il en est, quand on est chef. J'imagine que le tiramisu y est caché...? Bingo !

Une lueur victorieuse brille dans mon regard. Un peu de vice, aussi. Toi, petit tiramisu, tu vas prendre cher, je te le dis...

C'est en le sortant de sa froide cachette que j'ai compris que la bataille n'allait pas être si facile. Bien sûr, il y a un couteau dedans. Je vais pouvoir m'en couper une part facilement. Mais ensuite ? Ensuite, il n'y a pas d'assiettes. J'ai beau chercher, fouiller dans les armoires, les tiroirs, les dossiers personnels, je n'en trouve pas. J'envisage un instant d'utiliser une serviette, comme pour une tarte, mais poser une génoise imbibée de café et recouverte de crème sur un morceau de papier absorbant... Je ne le sens pas. Hmmm. Et si... Non, on ne peut pas faire ça... Mais quand même...

Je finis par céder et mange à même le plat. Shroumpf, shroumpf. Oh mon Dieu. C'est presque le meilleur tiramisu que j'aie mangé de ma vie ! Presque, parce que le meilleur tiramisu du monde c'est celui de Carrefour, vendu au rayon yaourts, n'en déplaise à toute l'Italie (si je meurs demain, c'est que la Cosa Nostra lisait mon blog).

Alors je continue : sans scrupules, je me fais une deuxième part, sans prendre la peine de me servir du couteau, puisque de toute façon je la mange encore à la barbare, yihaaa ! À ce moment, mon ange d'épaule gauche apparaît, pendant que mon diable d'épaule droite continue de bâfrer.

Il ne dit rien, non. Simplement, d'un regard plein de reproches et de désolation, il me fait comprendre ce que je suis en train de faire. De quoi est-ce que j'aurais l'air si quelqu'un entrait dans le bureau et me trouvait, du chocolat plein la gueule, en train de coupablement manger un gâteau à même le plat ?

Le sombre manteau de la honte m'enveloppe et me glace. Mortifié de m'être conduit comme un porc, et surtout un peu pisseux à l'idée que quelqu'un rentre (madame 1 partage le bureau avec madame sous-sol et monsieur rez-de-chaussée), j'ai chassé cette vilaine idée de manger tout le mascarpone pour ne laisser que la génoise, et décidé de me racheter une conduite.

Et j'ai fini par trouver le parfait substitut d'assiette : un gobelet en plastique ! Comme je suis quelqu'un de consciencieux, j'ai voulu tout bien faire. Alors j'ai posé ma cuiller, et j'ai essayé de me servir avec le couteau.

Bien sûr, servir du tiramisu dans un verre avec un couteau en plastique, c'est mission impossible : quand j'ai eu fini, le gobelet était rempli d'une espèce de mélange immonde blanchâtre et marron et solide et crémeux, les filles de 2girls1cup se seraient régalées.

Mais j'ai décidé que l'honneur était sauf, alors j'ai rangé le tiramisu là où je l'avais trouvé, amputé de trois (généreuses) parts, et je suis reparti travailler. Comme personne n'était venu et que j'étais assez fier de mon ingéniosité, j'y suis retourné avec mon verre à la main, en me disant que si elle me voyait me régaler, madame 1 me proposerait d'en rapporter chez moi, pour pas laisser ça, quand même !

J'ai eu beau faire ma Meg Ryan et mimer tous les orgasmes de la Terre en finissant mon verre, elle n'a jamais levé les yeux. La boulimie ne paie plus.

Encore une histoire de bouffe au boulot (1/2)

Samedi, c'était le dernier jour de Comico, un de mes collègues. Je savais depuis un moment qu'il devait partir et ça n'avait rien d'étonnant : il suffit que je commence à bien m'entendre avec quelqu'un pour que systématiquement il démissionne (non non, je ne le prends pas personnellement).Il m'avait même invité à sa soirée de départ, avec touuus les gens du service : ceux que je n'aime pas, ceux qui ne m'aiment pas, ceux que je ne connais pas -voilà, c'est ça, tout le service. Au moment même où je lui répondais "oui oui avec plaisir !", l'énormité de ce que je disais me frappait en pleine tête, aïeuh. Aller à une soirée ? Avec des gens du boulot ? Genre, leur parler, faire du social, tout ça ? C'est à dire que non, quoi, il faut que je me défile, c'est une question de vie ou de mort !

Malin que je suis, au bout de vingt-quatre heures ininterrompues à chercher des alibis foireux, j'ai fini par trouver : "ah, crotte, je viens de me rendre compte, samedi, c'est le 11 ? Ça tombe mal, c'est pile en même temps que l'alignement des planètes, mes ragnagnas, le retour de mon jumeau maléfique que je vais devoir combattre (oui, tout ça en même temps), ça va pas être possible pour moi...".

Il n'y a vu que du feu, tellement je suis fourbe, mais j'ai quand même dû me taper son pot de départ, le samedi après-midi. Là non plus je ne voulais pas, mais je me suis forcé, pour une raison qui m'échappe encore aujourd'hui. Bien évidemment, j'ai quand même mis une heure à me décider, et à force d'hésitations, quand je suis arrivé il n'y avait plus personne et il commençait à ranger.

- Ah monsieur Procellus ! Vas-y installe-toi, prends du gâteau, tu veux boire quoi ?

J'ai pris de l'Oasis. Par contre, en guise de gâteau, c'était un peu décevant : il n'y avait plus que les restes d'une boîte d'assortiments Delacre, et tout le monde s'était jeté sur les bons au chocolat, il ne restait que les dégueulasses dont personne ne veut jamais : les biscuits secs aux amandes et les langues de chats. Là, on dit tous ensemble : beeerk ! Et on a bien raison.

Mais dimanche (ouais, on était ouverts dimanche, c'est trop de bonheur), tout a changé. Oh oui, comme tout a changé.

Ok+ / Ok-

Vendredi, j'étais en formation pour apprendre à gérer les situations difficiles et les clients agressifs. Ca tombe à point nommé : depuis janvier c'était quasiment l'intitulé de mon job, et maintenant avec mon nouveau poste je n'ai plus aucun contact avec la clientèle. Mais mieux vaut tard que jamais, et comme l'a dit la formatrice : "ce qu'on va apprendre aujourd'hui pourra toujours vous resservir". Je savais avant d'y aller que ça allait être bidon. Tous ceux à qui j'en avais parlé avaient la même réaction : un grand éclat de rire, un petit air désolé, et parfois ce geste étrange : les deux poings fermés, les pouces levés, et ils se regardaient en rigolant et en s'échangeant des "ok+ / ok+ ! Hihi moi je suis plutôt ok+ / ok- !". Je me sentais un peu mis à l'écart, avec leur très private joke. Mais bientôt, moi aussi je pourrais la faire !

Comprendre une blague est une motivation très légère, alors j'y suis allé en traînant la patte, ce qui ne m'a pas empêché d'arriver dans les premiers, pile en même temps qu'une de mes collègues très sympathique et que je viens de découvrir, (en plus elle me trouve très beau et me couvre de compliments, mais je la soupçonne fort d'être lesbienne, on ne me la refera plus), mais qui s'en va pour toujours à la fin du mois. J'étais très content de la voir, surtout que j'avais laissé ma convocation sur mon bureau le coin de la table où je ne mange pas, alors je n'avais pas le code. Ah salut, shmeuack, shmeuack, dis, tu as le code j'espère ? Oui ? Allez, une troisième bise alors.

Histoire de jouer les gros suceurs et de souligner notre ponctualité, j'ai proposé qu'on rentre. Enfin, dans le bâtiment, pas l'un dans l'autre, attention aux malentendus ! Arrivé en haut de l'escalier, horreur, j'ai vu l'animatrice : une espèce de petite femme d'un mètre vingt les bras levés, qui a l'air d'avoir une bouée sous ses fringues (vraiment, un énorme peuneu de semi-remorque !), mais en fait non, ce sont ses rondeurs pleines de charmes. Elle était coiffée en brosse, et couverte de mélanomes énormes et en relief, sur les bras, la figure, partout, iiih me touche pas, garde tes cancers de la peau, sorcière !

Quand tout le monde a été arrivé, on a pu débuter notre voyage initiatique au pays de la non-violence par un bond de dix ans en arrière : "prenez une feuille de papier, pliez-la en deux et marquez votre nom dessus, pendant ce temps je fais l'appel !". Euuuh... Maîtresse, j'ai envie d'pipi, tu m'accompagnes ? Elle aussi avait son petit panonceau, qui nous a appris qu'elle s'appelait Gilliane. Ouais, comme Scully, mais avec un E, parce que sinon c'était moche, t'vois quoâ.

Elle nous a distribué un petit fascicule très instructif qu'on a feuilleté, et certains de mes camarades de classe ont poussé des grands cris de chouettes en découvrant que "Gilliane ! Certaines pages sont vierges !". C'était pour prendre des notes, c'est dire si la journée allait être interactive.

Premier exercice : sur la page 3, non, la 3 s'il vous plaît (toujours en souriant, gérer les situations difficiles, elle fait ça tigrement bien), écrivez les mots que vous associez à "agressivité". Baaah... Euuuh... Chais pas... "Connasse" ?

On attendait plutôt "insultes" (entre autres), mais ça lui a permis de toucher du doigt le point essentiel de son argumentaire : l'agressivité des clients nous fait du mal dans nos petits cœurs sensibles parce que nous, on fait bien notre travail, alors sa réaction négative nous apparaît comme trop inzuste ! L'important pour gérer les clients agressifs, c'est de se souvenir que (page cinq s'il vous plaît) : "quoi que l'on puisse me dire ou me faire, je suis quelqu'un de valeur".

Avec un joli cadre autour, en gras et en majuscules. Je ne suis pas une merde. Non, ma vie n'est pas un échec.

Tous nous persuader de notre grande richesse intérieure nous a pris un bon moment, alors on est partis manger. En revenant, on s'est attaqués à ce que j'attendais depuis le début : Ok±. On avait un joli tableau à quatre cases pour nous expliquer que le premier ok représente la vision qu'on a de nous, et le second, la vision qu'on a du client. Ok- / Ok + : je me sens une merde, mais je vous considère bien. Ok+ / Ok - : je suis un dieu, vous êtes une merde. Et ainsi de suite, avec bien sûr, comme ultime objectif pour "développer un positionnement mental positif" : être Ok + / Ok +.

Pour s'assurer qu'on avait bien tout compris, Gilliane nous a ensuite fait jouer des petites saynètes, dans lesquelles on jouait à tour de rôle le client difficile ou le professionnel aux chacras béants qui va le gérer avec une attitude zen et apaisante, comme une tasse de thé vert. Nos interprétations à la Sarah Bernhardt nous ont bien entendu préparés à vivre des conflits en situation réelle, alors on a décidé d'un commun accord qu'on en savait assez et on a remercié Gilliane, avec qui nos rapports furent aussi agréables qu'enrichissants.

Mon seul petit souci, c'est qu'au moment où j'ai vu Jézabel -la chef de mes chefs- aujourd'hui, je ne savais pas qu'elle faisait partie du comité qui a mis en place ce module de formation (mais après coup, j'aurais dû m'en douter). Et quand elle m'a demandé ce que j'en avais pensé, j'ai été plus honnête que jamais : ok+ / ok-. Elle a passé dix minutes à me démontrer tout ce que ça m'avait apporté à l'insu de mon plein gré. C'est à dire rien.

La face cachée des promotions

En ce moment à Happy Time, on a une offre eeexceptionnelle : à tous les clients qui payent avec leur carte Faistoimettre, à partir de cent quatre-vingt neuros d'achat dans la journée, on offre une carte cadeau de vingt euros.Tadaaah !

Du coup, ça fait une semaine que j'ai un nouveau job : distributeur de cartes. C'est palpitant, toute la journée, je reçois des gens, et je note dans une case minuscule toutes leurs transactions du jour, histoire de prouver que non, je ne donne pas des cartes cadeaux à n'importe qui, je suis le règlement à la lettre. Parce que oui, il y a un règlement à suivre : il ne suffit pas d'avoir dépensé 180 euros, tous les articles ne rentrent pas dans le calcul, sinon ça serait trop facile ! On a déjà eu trois consignes différentes à ce sujet, mais aux dernières nouvelles, les articles en point rouge ne sont pas concernés.

On aime bien les codes-gommettes de couleurs, à Happy Time : on colle sur les articles des pastilles roses, oranges, marrons ou bleues pour certaines promotions (chaque couleur correspondant à une ristourne différente, que j'ai eu un mal de chien à apprendre), des pastilles mauves -à ne pas confondre avec les roses ou les bleues- pour d'autres, et les points rouges : pas de réduction, dans le cul Lulu. À certaines périodes, on a aussi vu des pastilles noires et dorées, mais personne n'a réussi à m'expliquer ce qu'elles signifiaient.

Samedi matin quand je suis arrivé, Girafa m'a donc briefé sur la distribution des cartes : contrairement à ce qu'on a dit vendredi, qui allait à l'encontre de ce qu'on avait dit jeudi, on ne peut les donner qu'à partir de 180 euros en ne comptant pas les points rouges.

Bien sûr, les vendeurs ne vont pas mentionner les restrictions aux clients, et il y a de grandes chances que les caissiers oublient aussi d'en parler, donc on risque de se faire engueuler comme des chiens, nous autres salauds qui refusons de leur offrir leur dû. Alors Girafa m'a dit qu'il fallait qu'on se protège : au moindre début de conflit, on arrête toute discussion et on donne la carte. ...

Que dalle, oui ! Depuis que je me suis écroulé en août, en bon Davi-Wan Kenobi, je me suis relevé plus puissant que jamais. On pourrait massacrer toute ma famille à coups de pelle sous mes yeux, je resterais zen et de bonne humeur. Alors c'est pas un petit conflit de rien du tout qui va me faire peur ! Quoi qu'il arrive, je ne donnerai pas de carte à ceux qui ne méritent pas ! Bordel !

Au contraire, quand ils sont en dessous de la somme fatidique, je les pousse à la consommation. De toute façon, c'est le but de toute cette opération : ça m'aura pris presque deux ans, mais j'ai enfin laissé mes principes au bord du chemin, et j'ai vendu mon âme à la machine Happy Time. Je pousse les clients à acheter, un peu plus, toujours plus, en me souvenant bien que pour chaque centime qu'ils dépensent, une petite partie me retombe dans la poche, vive la prime magasin.

C'est amusant, parce qu'on peut tendre n'importe quel piège grossier aux gens, en écrivant en lettres d'or que c'en est un, ils vont tous tomber dans le panneau en souriant. À partir de 180 euros : une carte. Et pour 360 euros : une deuxième. C'est affolant le nombre de pigeons à qui je propose en souriant "Oooh ! Vous en êtes à 300 euros ! Vous savez que pour 60 euros de plus je pourrais vous offrir une seconde carte !", et qui partent en courant acheter quinze trucs inutiles à cent euros. Avec mon visage d'ange et mes charmants sourires, pas un ne résiste.

Attention, un peu de maths : ils dépensent donc (dans le meilleur des cas) 180 euros, sont obligés de revenir dans une période courte et définie en dépenser au minimum 40 (sans minimum d'achat obligatoire, c'est pas drôle), tout ça pour en économiser 20. Cette réduction leur a donc coûté 200 euros.

Bien sûr, il y en a parfois qui ont des éclairs de lucidité, comme cette horrible mégère, qui venait de dépenser pour 250 euros, mais qui, une fois les points rouges soustraits, se retrouvait à quelque chose comme 175 euros. Quand je lui ai annoncé, elle est devenue agressive :

- Ah d'accord ! (Sur un air menaçant de "ah c'est comme ça ?") Donc votre offre, c'est une honte, c'est juste pour nous pousser à l'achat, en fait !

- Ben... oui ?

Le problème, c'est que maintenant, elle en savait trop. J'ai fait ce que Girafa m'avait conseillé : pour noyer le poisson, j'ai sorti une carte, en lui faisant miroiter une réduction sur ses prochains achats. Mais je ne pouvais pas prendre le risque de la laisser ébruiter ce qu'elle venait de découvrir. Alors au moment où elle allait reprendre ses tickets de caisse, preuve de sa venue chez nous aujourd'hui, j'ai appuyé sur le bouton, à gauche de mon clavier.

La trappe que j'ai installée pendant mes trop nombreuses heures libres s'est ouverte, et l'ennemie du commerce a disparu en hurlant dans les bas-fonds du magasin, vers le Puits des Flammes Infernales, où elle brûlera pour l'éternité avec tous les clients qui ont un jour fait la connerie de comprendre qu'on les enfile à sec, tous autant qu'ils sont.

Le secret restera bien gardé.

Personne suivante...?

Ascenseur pour l'échafaud

Hier soir, je revenais de chez Lapin, tout content de retrouver mon chez moi et de ne pas rentrer trop tard : minuit moins le quart, madame Placard, ça va faire du bien de se coucher tôt.Comme toujours, j'ai pris mon courrier. Comme toujours, je n'en avais pas.

Je suis donc allé prendre l'ascenseur, parce que trois étages, c'est quand même difficile. Une fois dans la cabine, j'ai rangé mon tout nouvel iPhone (oui oui, c'est gratuit, c'est juste pour dire que j'en ai un), en attendant d'arriver à destination. Quand j'ai senti qu'on s'arrêtait -au troisième étage donc- la porte a commencé à s'ouvrir : j'ai avancé un pied, et... et plus rien.

Dans ces cas-là, c'est fou comme on peut être vif : il ne m'a pas fallu bien longtemps pour comprendre, face à cette porte entrouverte de quelques centimètres seulement, que j'étais coincé dans mon propre ascenseur, à mon propre étage. Bordel de queue de merde de pute à chier sa race !

Je savais que j'étais au bon étage, alors Mac Gyver power, j'ai essayé d'ouvrir les portes moi-même. Ils le font dans un film sur deux, ça doit pas être bien compliqué ! J'ai donc glissé mes petits doigts agiles dans l'entrebâillement, et j'ai tiré, tiré de toutes mes forces, tiré encore et encore, pour finalement réussir à ouvrir à peu près de la largeur de mon genou. Et avec mes jambes de poulet, ça ne fait pas un gros genou. Surtout que ça n'était que la porte intérieure de la cabine, la porte extérieure n'avait bien sûr pas bougé d'un poil.

C'est là que je me suis résolu à faire ce que mes parents m'ont toujours interdit : j'ai appuyé sur le bouton alarme. Il y a eu un tas de bruits de tonalités dans le haut-parleur, je me suis demandé s'il y avait quelqu'un au bout du fil vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et finalement une charmante voix m'a indiqué que oui :

- Céline bonsoir ?

- Bonsoir non, c'est pas Céline, c'est David, je suis coincé dans mon ascenseur...

On a ensuite discuté pendant cinq bonnes minutes, parce qu'on n'était pas d'accord sur mon adresse et l'identification de ma cabine. Comme j'étais celui qui était enfermé dans la boîte, j'ai décidé que j'avais sûrement raison et que je ne lâcherais pas l'affaire. Quand elle a enfin reconnu que j'étais mieux placé qu'elle pour savoir où je me trouvais, elle m'a posé la question fatidique :

- Et il y a un code pour entrer chez vous ?

- Non, un interphone.

- Ah, et à quel nom on peut sonner pour entrer ? Il y a quelqu'un dans votre appartement ?

- ... Non.

- Un gentil gardien qu'on peut déranger à toute heure du jour et de la nuit ?

- Non, juste un gardien.

On a dû mettre tellement de temps à discuter qu'à peine je lui avais confirmé le nom de mon gardien, on était coupés. Super. J'ai eu beau rappuyer sur le petit bouton jaune, elle n'a jamais redécroché. La vieille pute.

J'étais en train d'essayer d'éventrer les portes de ma mini prison à mains nues quand j'ai entendu mon iPhone sonner (je vous ai dit que j'ai un iPhone depuis peu ?). Immédiatement, je l'ai sorti de ma poche, et j'ai fait glisser mon doigt pour décrocher :

- Allô ? Allô ?

- ...

- Allô ? Allô ? ALLÔ !!!

J'ai mis quelques dizaines de secondes avant de me rendre compte que la prise casque était encore branchée, et que madame Otis était sûrement en train de parler à mon écouteur dans ma poche. Vite vite, débranchons tout ça, allô madame Céline !

Elle m'appelait pour me prévenir qu'elle venait de téléphoner à mon gardien, qui avait refusé de se déplacer pour ouvrir au technicien quand il arriverait : il n'est pas responsable de l'ascenseur, et, selon ses dires, "les gens n'ont qu'à se démerder". Okay...

Donc on fait quoi ? Ca fait vingt minutes que je suis enfermé ici, j'aimerais bien savoir que je vais bientôt sortir, quoi... Céline m'a assuré qu'on allait trouver une solution, et m'a promis de me tenir au courant -en même temps, ça m'arrangeait.

Après un appel à Lapin, plusieurs tentatives malheureuses pour ouvrir ces putains de portes, et la panique qui commençait à monter (je ne suis pas claustrophobe, mais bon, la perspective de passer la nuit ici, tout ça tout ça...), j'ai rappelé Céline, pour savoir ce qui allait se passer : combien de temps ils mettent pour arriver, qu'est-ce qu'on fait si vraiment le gardien refuse d'ouvrir, est-ce qu'elle sait si on peut manger une veste en cuir, après tout c'est animal...?

Elle m'a assuré qu'elle allait tanner mon gardien, insister, au pire appeler un voisin, au risque de se faire engueuler, mais qu'elle ne me laisserait pas là, quand même ha ha ha. Une nouvelle fois, ça m'arrangeait. La mauvaise nouvelle, c'est que le temps moyen d'intervention est de trente minutes, et qu'en plus on n'était pas certains qu'ils pourraient rentrer.

Alors pour passer le temps, j'ai essayé de m'occuper, joué un peu avec mon téléphone, rappelé Céline, Lapin, fouillé mon sac à la recherche d'un pied-de-biche que jamais je n'ai trouvé. Jusqu'au moment où j'ai reconnu le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre, et de quelqu'un qui monte les escaliers. Quand une voix m'a demandé à quelle étage je me trouvais, j'ai su que mon calvaire touchait à sa fin. J'ai expliqué que j'étais au troisième étage, et que oui, c'était effectivement pas de chance que la cabine soit arrêtée pile devant les portes de mon étage, ralala quelle ironie... Bon on me sort de là ?

Comme j'avais appuyé sur tous les boutons, une fois l'ascenseur débloqué, il s'est remis en route (à la grande surprise du réparateur qui venait de couper le courant), et les portes se sont ouvertes au deuxième étage. J'ai bondi sur le palier, zwooof, couvert de bleus mais heureux.

Libre comme l'air après trois quarts d'heure en cage, j'ai couru dans les étages à la recherche de mon sauveur. Même si je connaissais déjà la réponse, je lui ai demandé qui l'avait laissé rentrer : la dernière fois que je l'avais eue au téléphone, Céline m'avait dit qu'elle avait rappelé le gardien pour essayer de le faire culpabiliser, alors peut-être... Mais non. Monsieur Technicien était rentré en même temps qu'un voisin, sinon il serait encore à la porte.

Voilà. Il ne me reste plus qu'à pourrir mon gardien comme jamais je n'ai pourri quelqu'un, et le faire chialer sa mère jusqu'à ce que lui et sa petite famille se retrouvent concierges dans une cité pourrie du Neuf-Trois. On ne me laisse pas impunément prisonnier en pleine nuit.

Cooking Mama

L'autre jour, je bossais avec Babacar (parce que dans la vraie vie elle a le prénom d'une autre chanson de France Gall), une charmante collègue Antillaise très classe et au bord de la retraite, avec des chignons, des châles, et des broches en véritable imitation d'or. Bref, une vieille dame très gentille, qui me rappelle ma grand-mère et que j'aime donc beaucoup, bien qu'elle soit un peu bavarde à mon goût.Surtout qu'elle a un peu tendance à radoter, mais à son âge, c'est déjà bien d'arriver à ne pas pisser partout où elle s'assied.

Et comme toutes les fois où un client nous pose la question ("dites, y'a pas de vendeur ?!"), j'ai eu droit à son histoire préférée :

- Je ne vois pas pou'quoi les gens ont besoin d'un vendeu' ! Moi je n'ai pas besoin de vendeu', quand j'ai acheté mes meubles, il est venu me voi', "vous avez besoin d'un 'enseignement madame ?". Mais non j'ai pas besoin de 'enseignement, c'est moi qui sais ce que je vais mett'e chez moi, pas lui ! J'ai p'is mes mesu'es, 'ega'dé les p'ix, je n'avais pas besoin de vendeu' !

Ca fait trois fois que j'ai droit à ce même couplet, on ne s'en lasse pas.

Mais cette fois-ci, elle a enchaîné sur un sujet complètement inédit : la veille, elle avait fait de la pâtisse'ie. Alors pendant une heure, elle m'a raconté qu'elle avait voulu faire un gâteau immense, le plus gros du monde. Pour ce faire, elle a pris le plus grand de ses moules, doublé les quantités, et boum, au four. Cette partie de l'histoire a pris une petite dizaine de minutes.

Les cinquante minutes suivantes n'ont été que lamentations : elle n'avait pas l'habitude de ce moule, et il est trop cuit, et nia nia nia et nia nia nia. Pour finalement me dire qu'elle en avait donné à son petit-fils qui l'avait trouvé très bon. Et il ne disait pas juste ça pour jouer les lèche-boules, puisqu'il a voulu en reprendre. Mais il n'a pas eu le droit, parce que Babacar l'avait p'épa'é pou' en off'i' à tous les gens qu'elle aime bien.

Au moment de partir en pause, elle a donc sorti de son sac le plat le plus monstrueusement énorme que j'aie jamais vu, un truc grand comme une roue de tracteur, et à peu près aussi haut.

- Il a l'ai' bon, hein ? C'est un gâteau au yaou't, tu vois. Et je n'avais pas de yaou't natu'e, alo's j'en ai p'is un au cit'on.

Hmmm, c'est vrai qu'il a pas l'air mauvais !

Elle en a coupé plusieurs parts, avec un couteau sorti de je ne veux pas savoir où. ... Et m'a dit qu'elle allait en donner à quelques collègues au passage, avant de prendre sa pause, à tout à l'heure David !

Ooo...kay, donc quand elle parle des gens qu'elle aime bien, ça ne me concerne visiblement pas. Blam, prends-toi ça dans les dents David. C'est pas grave connasse, de toute façon j'en voulais pas de ton sale gâteau de merde, va crever, charogne, avec ton pied déjà dans la tombe !

Quand elle est revenue de pause, j'avais réussi à mettre le passé derrière moi, et à oublier ce terrible affront. J'ai eu raison, puisque juste avant que je me lève pour aller pauser à mon tour, elle a posé un sopalin à côté de mon clavier, sur lequel étaient posées deux énormes parts de son gâteau. J'avais l'impression d'avoir un petit animal à côté de moi.

- Tiens David, toi tu as d'oit à deux pa'ts !

Oooh c'est gentil merci merci merci, pardon d'avoir pensé du mal de toi ! Et je suis parti en courant pour manger tranquillement. Dans l'escalier, j'en ai pris un petit morceau du bout des doigts, pour goûter sans mordre à pleines dents, parce que c'est pas classe. ... ? ? ... Ackkkk !!!

Oh mon Dieu mais quelle horreur ! C'était le truc le pire que j'aie jamais mangé, et pourtant j'en ai bouffé, des trucs dégueulasses ! Je ne sais toujours pas comment quelque chose pouvait être aussi gras et aussi sec, après une bouchée, j'avais l'impression d'avoir avalé un tampon à la sphaigne. Et il m'en restait deux parts, aussi grosses qu'un poulet. C'est pas possible, c'est pas un aliment, c'est avec ça que le troisième petit cochon a construit sa maison !

J'ai envisagé de les jeter dans la première poubelle venue, mais j'ai pensé à Babacar, à ma grand-mère, aux vieilles dames qui préparent des gâteaux en se disant qu'elles vont faire plaisir aux gens, et je me suis forcé. J'avais les larmes aux yeux, je tremblais de partout, mais petit bout après petit bout, je suis arrivé au bout de mon calvaire. J'ai cru mourir après la première part, quand je me suis rendu compte que j'en avais encore autant à accomplir, mais j'ai tenu bon, j'ai pris sur moi, je l'ai mangé quand même car c'était offert de bon cœur.

Au bout de vingt minutes, j'avais l'impression d'être enceint de vingt mois et de n'avoir jamais bu de ma vie, alors comme ma pause était finie, soulagement, j'ai jeté le reste de gâteau et je suis remonté. J'ai bien remercié Babacar en revenant, je l'ai félicitée, c'était délicieux, et je me suis effondré sur ma chaise, en réprimant un sanglot.

J'ai essayé de me concentrer sur le boulot, pour ne plus penser à ce que je venais de vivre. J'ai réussi, puisqu'au bout d'un moment Babacar m'a dit au revoir : sa journée était finie. Elle s'est approchée pour me faire la bise, et a posé quelque chose dans mon tiroir :

- Tiens, comme tu fais la fe'metu'e, tu as d'oit à une aut'e pa't, pou' ce soi' !

J'ai eu beau supplier, crier, me traîner à ses pieds, jurer mes grands dieux que non, je ne faisais pas la fermeture, rien n'y a fait.

Arrêté par la tapette géante

Pour fêter mon retour à Happy Time, après cinq glorieuses semaines d'arrêt maladie, ils ont décidé de me mettre toute la semaine en caisse. Les bâtards.Nan mais ils m'ont bien regardé ? Même quand je me suis arrêté, ça faisait des mois que je n'étais plus allé en caisse, qu'est-ce que ça veut dire ? Genre nia nia nia, toutes les promotions que j'ai eues, les litres de sperme et de cyprine que j'ai dû avaler pour en arriver là, et je me retrouve à bosser en bas de l'échelle, avec la lie de l'entreprise ?

Heureusement pour eux, je suis docile et obéissant, j'ai fait ce qu'on me demandait. Surtout que c'est rigolo aussi, de jouer à la marchande. Bonjour monsieur, ça va monsieur ? Ca vous fait deux cent euros monsieur (oui, à Happy Time, c'est le tarif moyen, quoi qu'on achète). Vous payez par carte bleue monsieur ?

Oui, monsieur payait par carte bleue. J'ai fait comme on m'a appris. Même si l'appareil est posé juste devant son nez, c'est à moi de mettre la carte du client. Alors je l'ai mise. Comme une chienne. Encore, et encore, et encore. Who's yer daddy, bitch ?!

Au bout d'un moment, le temps de reprendre mon souffle, j'ai suggéré à monsieur de composer son code, pour voir ce qui se passait. Il a obéi, et pour m'occuper (signe que je travaille peut-être là depuis trop longtemps), j'ai commencé à compter les secondes entre les étapes du paiement : code bon, 1-2-3, validation en cours, 4-5-6-7-8-9, impression, 10-11-12 paiement accepté, on peut retirer la carte.

Sauf que là, arrivé à 4, le message sur mon viseur a changé : "carte interdite". Ah tiens ? Un peu de nouveauté dans ma morne existence ? Est-ce que je suis vraiment prêt à changer mes habitudes ? J'avais intérêt, parce que sur ces entrefaites, le viseur m'a parlé à nouveau : "capturer carte".

Et merde.

La capture de carte, c'est un peu comme faire un bon mot au Scrabble en utilisant le Z et le Q : si on joue bien, ça rapporte un max, mais c'est quand même assez difficilement réalisable. Contrairement à ce que je m'imaginais quand j'en ai entendu parler la première fois, la capture de carte n'a rien à voir avec un safari, ou un truc cool du même genre : on n'a pas de lasso, pas de fusil, on ne traque pas sa piste encore chaude avec un guide local, et on ne doit pas l'affaiblir avant de lui jeter une pokéball.

Non, dans le commerce c'est beaucoup moins glamour : ce sont des cartes volées, ou sur lesquelles il n'y a plus une thune, et il faut déployer des ruses de Sioux pour : les récupérer, appeler la sécurité, leur demander de venir, faire patienter le client sans lui rendre sa carte, tout en le maintenant dans une ignorance totale et dans un état d'esprit calme et détendu, pour qu'il vive chez nous une expérience de shopping inoubliable. Vu les circonstances, de ce côté là ça devrait être dans la poche.

Et ensuite, en bon chasseur de prime, on n'a plus qu'à attendre la récompense de Visa.

En voyant le message, il a fallu que je réfléchisse très vite. Après cinq semaines d'absence à me gaver de Soul Calibur et Torchwood, c'était pas évident. J'ai commencé par sortir la carte de l'appareil, le visage impassible (parfois, je me dis que je devrais jouer au poker). Pendant le quart de poil de couille de seconde que ça m'a pris, j'ai eu cette idée absolument géniale : et si je mentais* ?

- Oh, fichtre, que c'est embêtant monsieur, il y a un problème avec la machine ! Je vais appeler quelqu'un pour qu'on vienne réparer, alors !

Ce qui m'a permis de justifier mon coup de téléphone à la sécurité, et je me suis senti tellement malin que j'ai failli mouiller mon caleçon. Ma proie était ferrée, je la tenais entre mes doigts agiles. Il fallait faire attention à ne pas la laisser s'échapper, parce que si le mec en face demandait à récupérer sa carte, je n'avais pas vraiment de raisons de la garder. J'ai adopté l'attitude du "je joue avec la carte tellement je suis cool et nonchalant, j'attends qu'on vienne me dépanner, tiens si je me mettais à siffloter, fufufu..." Tout en m'arrachant les yeux à scruter l'horizon, à la recherche de mon sauveur.

C'est une attitude qui a l'air assez efficace, puisque j'ai farpaitement réussi à endormir la confiance du sale voleur de merde client, qui pensait vraiment voir arriver quelqu'un de la maintenance. Niark niark niark, je suis machiavélique.

Bien sûr, il a voulu faire des histoires quand il a compris ce qui se passait, et je me mets à sa place : moi non plus j'aimerais pas faire mes courses et qu'un grand type à l'air patibulaire m'annonce froidement que j'ai perdu ma carte, ma dignité (parce que oui, c'est plus rigolo s'il y a plein de monde qui fait la queue autour), et que je ne repasse pas par la case départ.

Mais bon. La capture a réussi (je suis trop doué, je suis sûr que moi aussi j'aurais pu libérer Ingrid), ce qui veut dire : kaching. Alors tant que ça n'arrive qu'aux autres et que ça me rapporte de l'argent, je suis prêt à accepter les injustices de ce genre.

*Attention les enfants, mentir, c'est très mal. Faites comme moi, ne mentez jamais.

Je rêve que je te fais tout bas une déclaration, ma déclaration

Même si je ne leur en ai pas parlé, mes parents ont bien senti que j'allais plutôt mal en ce moment : ils ne se sont jamais autant acharnés à me répéter encore et encore et encore que j'avais vraiment un boulot de merde qui ne paye rien.C'est beau l'instinct parental, ça permet de dire les mauvaises choses pile au mauvais moment !

Ceci dit, c'est vrai qu'ils ne payent pas beaucoup à Happy Time -en même temps, je ne travaille pas beaucoup non plus, comme ça on est quitte. Je m'en étais rendu compte quand j'ai dû remplir ma déclaration d'impôts.

J'étais (presque) un peu excité en recevant les papiers : ma première déclaration, youhouuu, je suis un grand, ça y est ! J'avais même décidé de la remplir sur internet, en me disant que je m'en sortirais sûrement mieux que sur le papier, comme tout le monde a l'air de trouver ça compliqué, on va choisir la voie de la facilité.

Je pensais que ça serait un peu solennel de télédéclarer, mais c'était à peine plus excitant que si j'avais acheté un billet de train. Ca reste quand même une expérience dont je ne suis pas vraiment sorti grandi : non seulement je me suis planté et j'ai dû recommencer deux ou trois fois, mais en plus, avec touuut ce qu'ils m'avaient payé en un an, j'étais en dessous du minimum imposable.

Ce que vous devez à l'État : peau de zob.

Même si je n'avais pas forcément envie de donner mon bel argent, j'étais un peu vexé qu'on n'en veuille pas. Oh bah non monsieur Procellus, gardez-le, vous en avez plus besoin que nous, ça nous gênerait... Bien sûr, j'aurais pu être content avec mon boulot qui me laisse plein de temps libre, me paye assez pour subvenir à mes besoins tout en me laissant voler sous le radar de Bercy, mais non. Je me disais même que j'avais dû me tromper, c'est pas possible de gagner aussi peu, et je vais avoir un redressement fiscal, mais c'est pas ma fauuute !

J'en ai même parlé à ma mère, qui m'a demandé si j'avais bien tout rempli. Ben oui, duh. Même la case du "nombre d'heures travaillées dans l'année" ? Ben non, duh, ça avait pas l'air d'être pour moi. Si si, c'est pour tout le monde, pauvre tanche, c'est pour la prime à l'emploi.

Alors j'ai rerererempli ma télédéclaration. Et cette fois-ci, surprise, je devais aux impôts... un montant négatif ! Tadaaah ! Un peu étonné je dois dire, et par acquis de conscience, j'ai tout repris de zéro, en comptant bien, et c'est reparti pour un tour.

Re-montant négatif. Mais pas le même.

Alors on recommence. Sans trembler. En ignorant ces tics nerveux qui me parcourent tout le corps, et le sang qui commence à me couler des oreilles. Re-re-montant négatif, mais le même que la première fois.

Euh... On va dire que c'est bon là, non ? J'en ai bien sûr reparlé à ma mère, nommée pour l'occasion experte ès impôts.

D'après elle, cette coquette somme (quand même -mais faut pas dire combien, quand on est Français ça ne se fait pas, alors chut) serait déduite de ma prochaine déclaration, parce que faut pas pousser non plus. C'est dommage, parce que finalement je m'y étais fait à cette idée de ne pas payer d'impôts, mais au contraire d'en recevoir !

Et puis l'autre jour, j'ai reçu deux lettres du Trésor Public : dans la première, ils me félicitaient bla bla, bien rempli bla bla, votre prime pour l'emploi vous sera remboursée automatiquement, vous n'avez aucune démarche à faire. Euh... C'est cool ça, non ?

Et dans la deuxième enveloppe : mon chèque (enfin, le premier : vu le nombre de fois où j'ai validé ce putain de formulaire de merde, j'attends la suite d'une minute à l'autre).

Mais... Quand on est riche, ça ne s'arrête jamais ? Non, mais rassurez-vous : quand on est pauvre c'est pareil.

Et pour le pire (2)

Tout ce que je savais avec certitude du mariage de mon cousin éloigné au troisième degré, c'est que ça ne se passerait pas chez lui dans la Creuse. La tradition veut que la cérémonie se déroule chez la mariée, et des gens qui célèbrent encore les fiançailles sont des gens qui doivent respecter les traditions.Ce qui était chouette, c'est que d'après mon père qui l'avait déjà vue, la future épousée est Laotienne ou un truc dans le genre. Ça tombe bien, parce que même si le mariage d'un quasi inconnu promet d'être monstrueusement chiant, une petite visite du Laos au passage, ça fera mieux passer la pilule.

Et l'autre jour, quand il est revenu des fiançailles, j'ai eu droit à un compte-rendu, au cours duquel il m'a bien entendu rappelé la date du futur mariage, auquel je n'ai pas le droit d'échapper. Et puis, il a glissé cette information :

- Ah oui, et ça se passera vers Maubeuge. En fait elle est ch'tie.

Hein ? Tu es Ch'tie toi, avec tes yeux bridés et ta face de citron ? Mais ça change tout, le Nord c'est presque pire que la Creuse ! Presque, parce que rien n'est pire que la Creuse -et c'est du vécu, pas un a priori de Parisien de base. L'ennui, c'est que ça va pas être évident de se défiler : quand il m'avait demandé si je venais, j'avais répondu un vague "mmgrmbllll", qui a été interprété à tort comme un "oui".

Heureusement, le compte-rendu ne s'arrêtait pas là :

- Et puis Martin, c'est le type qui réfléchit !

- Euh comment ça ? C'est par rapport à moi que tu dis ça ?

- Non non, mais comme il n'a plus son père pour le conseiller (ouais, de tous mes cousins et affiliés, je suis le seul à avoir encore mon pôpa, ce qui me permet, à chaque réunion de famille, de narguer tous ces pauvres orphelins de merde), il se demande s'il fait le bon choix, et tout...

C'est là que la solution m'est apparue, limpide comme de l'eau de source. J'ai dit que j'irais au mariage. Or, Martin n'est pas complètement sûr. S'il n'y a plus de mariage, je suis sauvé, sans avoir à me dédire !

Je ne sais pas encore comment je vais m'y prendre : lui dégoter une vieille ex qu'il aime encore, ou avec qui le sexe était meilleur, une nouvelle maîtresse, dénigrer sa future femme, réveiller des penchants homosexuels refoulés, mais j'y arriverai. Un an. J'ai un an pour torpiller ce couple infernal et échapper à cette horreur.

Ou simuler ma propre mort, ça marche aussi.

Le Kiki de tous les Kikis

Quand j'étais petit, ma maman lavait le linge avec Bonux, la lessive des champions. Même que ça sentait super bon. Mais le plus chouette avec Bonux, c'était quand même le cadeau. J'en étais presque à me rouler dans la boue tous les jours pour qu'on lave le linge plus souvent et que je puisse avoir d'autres Kikis (presque, j'ai dit), parce que les Kikis, c'était vraiment super génial (vingt ans plus tard, rien n'a changé). Après les Kikis, ils ont eu cette idée de génie de sortir les lucioles. C'était encore plus fabuleux, parce que ça brillait. Plein de petites bêtes en forme de vers immondes avec des ailes et qui s'éclairaient dans le noir, youhouuu ! Le jour où j'ai compris comment ça marchait, j'ai eu une super idée. Ah, les lucioles emmagasinent de la lumière qu'elles renvoient dans le noir, ou un truc dans le genre (oui, c'est de la magie, et la magie, ça s'explique toujours par "ou un truc dans le genre") ? Alors pour qu'elle phosphoresce encore plus, et que je devienne le maître du Monde, avec la luciole la plus brillante de toutes, j'avais pensé à en coincer une dans un abat-jour, juste au-dessus de l'ampoule, pour qu'elle récupère toute la lumière directement à la source. Bien sûr, je l'ai oubliée et elle a fondu.

Et puis un jour, ma maman a dû décider que j'étais trop vieux pour ces conneries, et on a arrêté d'acheter Bonux. On est passés à Dash 2 en 1, avec des vrais cristaux de je sais pas quoi dedans, pour avoir des petits orgasmes en lavant son linge. Ca faisait aussi sentir bon le linge, alors le jour où je suis parti et où j'ai dû laver mes affaires moi-même (l'horreur), j'ai fait comme ma môman : j'ai acheté du Dash. Ca sentait pas exactement comme à la maison, mais ça allait quand même.

Et l'autre jour, en faisant les courses, sur quoi je suis tombé ? De la Bonux, évidemment ! Et en regardant vite fait, j'ai vu qu'ils pratiquaient encore cette opération si basse du cadeau. Comme j'avais fini ma vieille lessive Dash de merde, je me suis jeté sur le paquet, et j'ai couru à la caisse, tout impatient de rentrer à la maison vider la lessive dans les toilettes, pour jouer avec ma nouvelle peluche, ou faire vivre plein de choses à ma nouvelle petite figurine, qui allait sans aucun doute devenir ma nouvelle meilleure amie. Ben ouais, face à l'adversité, rien de tel qu'une bonne vieille régression infantile pour aller mieux !

Arrivé chez moi, j'ai éventré la boîte. J'ai tout de suite reconnu l'odeur, c'était comme avant, quand j'étais petit, heureux et insouciant. Marcel Proust, tu n'as rien inventé. Tout fébrile, j'ai plongé dans la main dans la poudre blanche. À vue de nez, c'était de la bonne. Mais on n'était pas là pour ça. L'important, c'était le cadeau. Le cadeau !

Je l'ai vu, il dépassait un peu. Alors j'ai tiré. Et j'ai sorti un bout de papier glacé : "en cadeau : voici ton code pour télécharger gratuitement un titre d'un artiste Universal Music ! Rendez-vous sur bonux.fr !"

Non non, je ne suis pas dégoûté...

Des femmes qu'on n'oublie pas

Un jour à Happy Time, j'ai découvert une nouvelle collègue : Bonita. Je l'avais déjà vue, mais sans jamais lui parler. C'est elle qui est venue entamer la conversation, comme toujours : on a beau essayer de tenir les gens à distance, il faut toujours qu'ils essayent de briser la glace, de discuter, tout ça, c'est chiant... Ce jour-là, elle a commencé à me dire qu'elle était désolée d'être arrivée aussi en retard, qu'elle pensait vraiment qu'elle commençait à midi, que normalement elle aurait pas dû me laisser tout seul pendant une heure, surtout que comme elle était en avance, ça faisait une heure qu'elle se faisait chier au café d'en face. Ah, tu es en retard ? J'avais pas remarqué, bon on passe à autre chose, tu me fous la paix ?

Mais non, Bonita n'était pas du genre à foutre la paix ! Elle est de cette race qui a tout le temps besoin de parler, de raconter sa vie, et bla bla bla bla sans jamais s'arrêter... Alors j'ai pris mon mal en patience, et j'ai écouté. Pire, j'ai même discuté aussi.

C'est comme ça que j'ai appris qu'on avait plein de trucs en commun : elle aussi était fan des dessins animés au petit-déjeuner, et elle était à fond dans les Totally Spies ! Bon par contre, elle aimait bien se faire un poulet rôti ou les restes du chinois de la veille de bon matin, et là j'ai eu du mal à la suivre. Mais voilà, j'avais découvert que Bonita était super sympa.

C'est à partir de ce jour que je me suis mis à bien l'aimer : on se faisait la bise, j'allais la voir si je la croisais pendant ma pause, je l'ai même ajoutée à mes contacts Facebook (c'est dire) et tout et tout...

Mais petit à petit, j'ai eu l'impression que ça commençait à déraper : quand elle me faisait la bise, elle me caressait tout doucement l'épaule, j'avais droit à des clins d'œil, elle me prenait par le bras pour qu'on se promène dans Happy Time, comme un gentleman (oui oui, je suis un gentleman) et sa lady... Elle me racontait aussi ses problèmes avec son copain, un mec plus vieux qu'elle qui avait l'air très très méchant, même si j'ai un peu oublié pourquoi, parce qu'au bout d'un moment c'est physique, on est obligé de ne plus écouter. Forcément, j'ai tout de suite compris (surtout avec les caresses sur l'épaule, en fait) que Bonita était folle de moi et me draguait, ce qui est farpaitement naturel.

Alors, un jour où on bossait ensemble et où on lisait "Le sexe pour les paresseuses" pour passer le temps et apprendre plein de façons de stimuler son minou sans trop d'efforts, j'en ai profité pour lui glisser avec classe et subtilité que mon truc à moi, c'était plutôt les bites. Pour la première et unique fois depuis que je bosse dans ma boîte à pédés, j'ai été obligé de faire mon coming-out. C'était bizarre.

Mais pas autant que le regard de Bonita. Merde, c'était quoi ce regard ? Si ça se trouve elle est hyper réac', pour elle l'homosexualité c'est le pire des crimes, et elle va venir chez moi pour me lapider en pleine nuit, aaah !

Mais non, quelques temps se sont passés sans qu'on se croise, parce que c'est quand même un grand magasin (et parce que j'étais en vacances, et elle aussi), et on a fini par se retrouver, sans que je me sois retrouvé recouvert de pierres. Suspense, est-ce qu'elle était encore dingue de moi ? Est-ce qu'elle se souvenait que c'était un amour impossible ?

Smack, smack, la bise, le clin d'œil, la caresse sur l'épaule... Ok, elle se souvient bien de qui je suis. Pendant qu'on marchait, bras dessus, bras dessous, je lui ai demandé des nouvelles de son homme, pour mettre une barrière entre nous, souviens-toi, tu es en couple, catin !

- Et alors, tu en es où avec ton copain, il va bien ?

- Ah, je t'ai pas dit, on a rompu ? (Iiiih !) Mais bon, c'était pas "il", c'est "elle", hein.

... C'est comme ça que j'ai appris l'horrible vérité. Elle n'avait jamais été folle de mon corps. C'est juste une lesbienne honteuse et très tactile. Déception, quand même.

Érotomane, moi ? Nooon, si peu...

Et pour le pire

Du côté de ma mère, il y a pas mal de famille : mes grands-parents maternels ont / avaient (ben ouais, ça commence à mourir hein...) plein de frères et sœurs, qui ont fait plein d'enfants, comme mon oncle et ma tante qui ont pondu cinq filles, du coup c'est un peu compliqué de se souvenir qui est qui, quand on raconte des histoires :

- Attends, Sophie, c'est qui déjà ? - Voyons David, c'est facile : Sophie c'est la fille de Colette, qui est la tante par alliance de la cousine de Jean-Pierre, qui est le fils de Michel, et qui est donc... euh, ben... toi ? Sophie, c'est toi ?

Du côté de mon père, c'est plus simple. Sa famille n'était pas très étendue, et presque personne n'a fait d'enfants, c'est limite lui le plus fertile de la tribu. Du coup, les histoires de famille avec Papaprocellus, ça donne un peu ça :

- Ca va ? - Ouais, et toi ? - Bah ça va.

Et voilà, on a fait le tour des gens qu'on connaissait ! Enfin non, c'est pas vrai. Parce que mon père avait un cousin, qui a fait deux enfants : Martin et Martine (non, ils ne s'appellent pas vraiment comme ça). Alors du coup, c'est... euh... mes cousins ? Cousins au deuxième degré ? Bref, on s'en fout.

Parce que quoi qu'ils soient, je ne les ai jamais vraiment beaucoup vus : je me souviens vaguement qu'on leur rendait visite de temps en temps quand j'étais petit, qu'ils essayaient d'être gentils avec moi en me passant mon 33 tours des meilleurs génériques de dessins animés (Mimi Cracra, Bibifoc...), mais que je voulais jamais y aller, c'était à la campagne (encore pire que la campagne, la Creuse), berk, et même que leur chat m'avait griffé, une fois.

Alors fatalement, ainsi va la vie bla bla bla, un jour on a fini par se perdre de vue (ah quand même !). Et quinze ans plus tard, le jour où j'ai réussi à m'enfuir de chez ma mère pour vivre la grande et belle aventure de l'indépendance, en plein dans la capitale, ouah !, j'ai appris qu'ils habitaient à cinq minutes de mon nouveau chez moi. Du coup, on a essayé de se voir une fois ou deux, salut, je suis ton "cousin" (moi j'y crois pas trop à cette histoire de cousins), on s'est pas vus depuis quinze ans, ça va, ouais et toi, bah ça va. Comme je ne suis pas très liant, on n'a pas vraiment donné suite.

Et cinq ou six ans plus tard, alors que je bossais tranquillement à Happy Time, sur qui je suis tombé ? Leur môman, que j'ai reconnue tout de suite ! Oh que le monde est petit ! Enfin pas tant que ça, parce qu'Happy Time en journée, c'est un peu le repère secret de toutes les vieilles Parisiennes. C'était chouette de la revoir, surtout qu'elle en a profité pour m'annoncer que Martin se mariait, et que j'étais cordialement invité.

Papaprocellus m'en a parlé le soir même, qu'il fallait absolument que je vienne, quand même, le mariage de Martin ! Allez David, ça sera le week-end du quinze août, tu viens ! Euh... Mais y'a des chances que ça soit chiant, non ? Comme ça ne me disait pas grand chose, d'aller au mariage de quelqu'un que je ne connais pas, dans la Creuse (!!!), en amoureux avec mon père, j'ai rusé. J'ai menti que jamais ils ne me laisseraient prendre des vacances à cette période, quand même papa, tu te rends pas compte, le mois d'août ! La plus grosse période de l'année ! En plus on avait des dates précises pour poser les vacances, là je m'y prends trop tard, jamais ils n'accepteront ! Évidemment, ils auraient accepté.

Et hier soir, comme je le voyais pour dîner, il m'en a reparlé :

- Bon et moi je pars ce week-end à Trouduculdumonde, voir Martin. Je pars... euh... le vendredi et je reviens le samedi. Non, c'est pas ça. Je pars le samedi et je reviens le dimanche. Non attends. On peut tromper une personne mille fois... Je pars... euh... C'est quand le quinze ?

- Vendredi.

- Bon alors c'est ça, je pars le vendredi, et je reviens le samedi soir.

Comme je suis plutôt vif, et que j'ai été nourri à grands coups de Quatre Mariages et un Enterrement, j'ai tout de suite tiqué.

- Euh ? Mais si tu rentres le samedi, ça veut dire que le mariage a lieu quand ? Le vendredi ? C'est bizarre non ?

C'est là que mon univers a basculé.

- Hein ? Mais non qu'est-ce que tu racontes ? Là c'est pas le mariage, c'est juste les fiançailles ! Ah non, t'inquiète pas, le mariage tu viens, ça sera à la Pentecôte 2009, t'as le temps cette fois !

Argl. Je risque donc d'être obligé de me taper le mariage chiant de parfaits inconnus qui célèbrent encore les fiançailles (non mais franchement, de nos jours, qui fête encore les fiançailles ?), dans la Creuse, avec mon père.

Tout est à refaire.