Des femmes qu'on n'oublie pas

Un jour à Happy Time, j'ai découvert une nouvelle collègue : Bonita. Je l'avais déjà vue, mais sans jamais lui parler. C'est elle qui est venue entamer la conversation, comme toujours : on a beau essayer de tenir les gens à distance, il faut toujours qu'ils essayent de briser la glace, de discuter, tout ça, c'est chiant... Ce jour-là, elle a commencé à me dire qu'elle était désolée d'être arrivée aussi en retard, qu'elle pensait vraiment qu'elle commençait à midi, que normalement elle aurait pas dû me laisser tout seul pendant une heure, surtout que comme elle était en avance, ça faisait une heure qu'elle se faisait chier au café d'en face. Ah, tu es en retard ? J'avais pas remarqué, bon on passe à autre chose, tu me fous la paix ?

Mais non, Bonita n'était pas du genre à foutre la paix ! Elle est de cette race qui a tout le temps besoin de parler, de raconter sa vie, et bla bla bla bla sans jamais s'arrêter... Alors j'ai pris mon mal en patience, et j'ai écouté. Pire, j'ai même discuté aussi.

C'est comme ça que j'ai appris qu'on avait plein de trucs en commun : elle aussi était fan des dessins animés au petit-déjeuner, et elle était à fond dans les Totally Spies ! Bon par contre, elle aimait bien se faire un poulet rôti ou les restes du chinois de la veille de bon matin, et là j'ai eu du mal à la suivre. Mais voilà, j'avais découvert que Bonita était super sympa.

C'est à partir de ce jour que je me suis mis à bien l'aimer : on se faisait la bise, j'allais la voir si je la croisais pendant ma pause, je l'ai même ajoutée à mes contacts Facebook (c'est dire) et tout et tout...

Mais petit à petit, j'ai eu l'impression que ça commençait à déraper : quand elle me faisait la bise, elle me caressait tout doucement l'épaule, j'avais droit à des clins d'œil, elle me prenait par le bras pour qu'on se promène dans Happy Time, comme un gentleman (oui oui, je suis un gentleman) et sa lady... Elle me racontait aussi ses problèmes avec son copain, un mec plus vieux qu'elle qui avait l'air très très méchant, même si j'ai un peu oublié pourquoi, parce qu'au bout d'un moment c'est physique, on est obligé de ne plus écouter. Forcément, j'ai tout de suite compris (surtout avec les caresses sur l'épaule, en fait) que Bonita était folle de moi et me draguait, ce qui est farpaitement naturel.

Alors, un jour où on bossait ensemble et où on lisait "Le sexe pour les paresseuses" pour passer le temps et apprendre plein de façons de stimuler son minou sans trop d'efforts, j'en ai profité pour lui glisser avec classe et subtilité que mon truc à moi, c'était plutôt les bites. Pour la première et unique fois depuis que je bosse dans ma boîte à pédés, j'ai été obligé de faire mon coming-out. C'était bizarre.

Mais pas autant que le regard de Bonita. Merde, c'était quoi ce regard ? Si ça se trouve elle est hyper réac', pour elle l'homosexualité c'est le pire des crimes, et elle va venir chez moi pour me lapider en pleine nuit, aaah !

Mais non, quelques temps se sont passés sans qu'on se croise, parce que c'est quand même un grand magasin (et parce que j'étais en vacances, et elle aussi), et on a fini par se retrouver, sans que je me sois retrouvé recouvert de pierres. Suspense, est-ce qu'elle était encore dingue de moi ? Est-ce qu'elle se souvenait que c'était un amour impossible ?

Smack, smack, la bise, le clin d'œil, la caresse sur l'épaule... Ok, elle se souvient bien de qui je suis. Pendant qu'on marchait, bras dessus, bras dessous, je lui ai demandé des nouvelles de son homme, pour mettre une barrière entre nous, souviens-toi, tu es en couple, catin !

- Et alors, tu en es où avec ton copain, il va bien ?

- Ah, je t'ai pas dit, on a rompu ? (Iiiih !) Mais bon, c'était pas "il", c'est "elle", hein.

... C'est comme ça que j'ai appris l'horrible vérité. Elle n'avait jamais été folle de mon corps. C'est juste une lesbienne honteuse et très tactile. Déception, quand même.

Érotomane, moi ? Nooon, si peu...