À la croisée des chemins

Ma dernière lubie, c'est de bosser dans le tourisme (pas pour avoir des prix sur les plages de sable blanc nia nia nia, j'ai horreur de ça), une fois que j'aurai fini de trouver Happy Time amusant. Mais bon, pour ça il faut une formation (pour faire du tourisme hein, pas pour ne plus s'amuser à Happy Time). Alors, je me suis renseigné. Il y a moyen de préparer ça par correspondance, ce qui m'évite de retourner à l'école, et de me faire appeler monsieur et taxer mon tipp-ex par tous ces boutonneux à peine sortis du lycée, et en plus ça me permet de rester encore un peu dans mes murs actuels, tellement confortables. Le seul petit souci, c'est qu'il faut faire des stages, et j'ai beau ne pas bosser à temps plein, ça risque d'être problématique, au niveau des horaires.

Pas grave, je vais aller voir Naëlle, la fille chargée de... euh... de... en fait, personne ne sait. Même quand, ivre de curiosité, je lui ai demandé, elle n'a pas été capable me dire de quoi elle s'occupait. Mais tout le monde s'est accordé à dire qu'elle était la seule à pouvoir me renseigner.

Alors pendant ma pause, j'ai pris mon courage à deux mains (mais j'aurais pu le prendre avec une seule, c'est pas un gros courage) et je suis monté au septième, vers les bureaux, vers Naëlle. Et vers la treizième dimension (insérer ici une musique angoissante).

Arrivé devant la porte, j'ai toqué mais pas trop fort, parce que tous ces murs en préfabriqué, on ne sait pas trop à quel moment ça va se casser la gueule, et quand on m'y a invité, je suis entré. Naëlle et ses colocataires de bureau étaient là, ce qui tombait plutôt bien -enfin surtout pour Naëlle, parce que les autres je m'en fous un peu. Je venais de m'asseoir quand, surprise et joie mêlées, elles m'ont proposé une part de gâteau et à boire, toutes les trois en chœur.

Euh pardon ? Je venais voir Naëlle, mais peut-être que je suis monté trop haut et que je suis arrivé directement sur l'île du Plaisir ? Vous avez du nectar, et de l'ambroisie ? Bon je vais juste prendre un jus de pommes alors. Du coup, c'est la bouche à moitié pleine des restes d'un gâteau d'anniversaire fêté en loucedé dans leur bureau (c'était donc ça) que j'ai dû expliquer le pourquoi de ma venue :

- 'e oud'ai fai' u'e fo'mafion dans le (un peu de jus de pommes pour faire passer) tourisme, et j'ai vu qu'il y avait des stages, comment je peux faire, dis, dis ?

- Bonne question, hé hé, j'en sais rien !

- Bah arrête de rigoler bêtement et cherche, non ?

Alors elle a renversé la tête en arrière et s'est caressé les cheveux à deux mains, dans une pose très L'Oréalienne, parce qu'être jolie, ça aide à mieux réfléchir -enfin peut-être pas, mais quand on ne sait pas quoi dire, il vaut mieux être bien coiffée. Et soudain, elle a redressé la tête. Elle savait.

- Ce qu'il te faut c'est un fongécif !

- Hein pardon ? Mais non tu as pas compris, je n'ai pas de champignons, je veux bosser dans le tourisme !

- Non non, pas un fongicide, un fongécif, bêta !

- ??? C'est une insulte ? Ca se mange ? C'est sexuel ?

- Un fongécif, ça veut dire que tu arrêtes de bosser pendant un mois, six mois, un an, tout en continuant à percevoir ton salaire, et pendant ce temps on te laisse faire ta formation, à l'école, et après tu nous reviens, car ton âme immortelle nous appartient pour l'éternité.

- Hmm, donc mis à part le côté "école", qui est hors de question, c'est super intéressant, non ?

C'est à ce moment là que Girafa, ma Big Boss, est sortie de son bureau, curieusement situé à l'intérieur de celui de Naëlle (l'architecte d'Happy Time boit).

- Comment ça on parle de fongécif, David veut nous quitter ?!

- Hein mais non pas du tout, c'est Naëlle qui me parle de ça !

- Oui, exactement. J'ai regardé mon agenda, j'ai vu que j'avais du temps libre, alors j'ai eu envie de proposer un fongécif à quelqu'un, et c'est tombé sur David !

- Ah mais il fallait me demander, Naëlle, si tu veux vraiment faire partir des employés j'ai des noms à te proposer !

Et elles ont rigolé toutes les deux, sans que je comprenne vraiment pourquoi, parce que le niveau des blagues : zéro. Girafa est partie, et je me suis dit que j'allais en faire autant, surtout qu'avec tout ça ma pause touchait à sa fin. J'ai promis à Naëlle que j'allais me renseigner sur cette histoire de fongécif, oh oui alors, parce que les champignons, quelle horreur !

En sortant du bureau, j'étais tout songeur, à me demander si je n'allais quand même pas saisir cette chance en or de poursuivre mon désir fou de devenir "vendeur de rêve" (mais non, letudiant.com ne survend pas le job !), quand dans le couloir, j'ai croisé Girafa, "par hasard" (on ne me la fait pas à moi).

- Alors David, tu veux t'en aller, c'est vrai ?

- Beeen... Non, je voulais juste voir pour bosser dans le tour...

- Parce qu'en fait, je voulais te voir ! Voilà, j'aimerais te proposer une nouvelle promotion, un nouveau job moins stressant, pour lequel tu serais parfait puisque tu es un tel parangon de génialitude, et que tu sens tellement bon, et que ton corps de rêve semble avoir été taillé par les dieux ! Bien sûr, ça serait temporaire, tu pourrais arrêter à tout moment si ça ne te convient pas, mais au final ça serait pour t'offrir encore une autre promotion, et finalement voir si tu aimerais prendre ma place, voire celle du directeur ?

J'ai ouvert la bouche pour répondre... Et je suis parti en courant.

Parce que maintenant à cause de cette conne, je dois choisir entre : 1) suivre une formation pour faire un boulot qui pourrait potentiellement me plaire (glop), mais en arrêtant Happy Time pour aller suivre des vrais cours avec des vrais gens (super pas glop), ou 2) grimper les échelons d'Happy Time, donc rester dans une boîte où je m'éclate pour avoir un boulot un peu plus intéressant (glop), mais pour au final me manger le mur, parce que le jour où je me rendrai compte que c'était un job de merde et que ce que je voulais faire c'est du tourisme, il sera trop tard (super pas glop).

Et je suis très mauvais pour faire des choix (c'est d'ailleurs pour ça que j'ai une Magic 8 Ball et un Oui-Ja Board, mais j'ai peur que là ça ne m'aide pas).