Encore une histoire de bouffe au boulot (2/2)

Dimanche, Comico était bien parti. En guise de cadeau d'adieu, il s'était amusé à dérégler le téléphone, en poussant la sonnerie au maximum.Le téléphone est ma responsabilité (j'ai un nouveau poste très intéressant) mais j'ai dû appeler tout le bureau à la rescousse. C'est un vieux fossile filaire, sans écran, juste des touches. On les a toutes tripotées, les salopes, sans jamais trouver celle qui permettait de régler le volume. Plusieurs coups de fil à Comico, en le menaçant, rappelle-nous connard, tout Happy Time est en route pour te lyncher, mais il n'a jamais répondu.

Mon sang froid légendaire ne m'a pas fait défaut, et je suis rapidement tombé à genoux, en hurlant et en sanglotant pour implorer le téléphone : arrête de sonner aussi fort, s'il te plaît, arrêêête ! Finalement, comme je l'attrapais pour le jeter contre le mur, j'ai remarqué le bouton "sonnerie" sur le côté. Ah... Euh... Dites, vous allez rire...

C'est à ce moment qu'est arrivée notre chef du premier étage : madame 1. Si elle était surprise de nous trouver tous hagards et les oreilles en sang, elle n'en a rien laissé paraître. Elle était par contre désolée de n'avoir pas pu venir hier pour le pot de Comico, mais elle avait une de ces migraines... Pauvre chérie, tout ça pour nous faire croire que t'as pas passé ton jour d'école buissonnière à baiser, chuis sûr. Ce qui la désolait surtout, c'est qu'elle avait préparé un gâteau pour l'occasion. Et en disant ça, elle sort de derrière son dos un plat grand comme un terrain de foot, rempli jusqu'à la gueule de tiramisu.

!!! Un peu de tiramisu, et tous les soucis de la matinée seront oubliés, allez madame 1, sers-nous vite ! Tout le monde allait y avoir droit, surtout qu'on était moitié moins nombreux que la veille (une fois de plus, Happy Time n'avait prévenu personne qu'il ouvrait le dimanche, on était donc en mini effectif), même toi David, pauvre petite Cosette. Comme je suis poli, je n'ai pas réclamé et j'ai attendu qu'on m'en propose.

Elle s'est rendu compte vers six heures qu'elle m'avait oublié.

- Mais... Tu as eu du gâteau David ?

- Non madame 1, j'ai répondu, en lui faisant ma mine de chien battu.

- Alors tu arrêtes tout, on fermera en retard s'il le faut, mais tu vas dans mon bureau et tu te se...

J'imagine que la fin de la phrase était "sers", mais le temps qu'elle finisse, j'avais déjà traversé le magasin en flèche et je défonçais sa porte à coups de masse (comme quoi, c'est utile de toujours en garder une avec soi, ils ne mentaient pas dans Nicky Larson).

Je connais ce bureau, on y faisait le pot de Comico la veille, c'est pratique, il y a un réfrigérateur, accessoire indispensable s'il en est, quand on est chef. J'imagine que le tiramisu y est caché...? Bingo !

Une lueur victorieuse brille dans mon regard. Un peu de vice, aussi. Toi, petit tiramisu, tu vas prendre cher, je te le dis...

C'est en le sortant de sa froide cachette que j'ai compris que la bataille n'allait pas être si facile. Bien sûr, il y a un couteau dedans. Je vais pouvoir m'en couper une part facilement. Mais ensuite ? Ensuite, il n'y a pas d'assiettes. J'ai beau chercher, fouiller dans les armoires, les tiroirs, les dossiers personnels, je n'en trouve pas. J'envisage un instant d'utiliser une serviette, comme pour une tarte, mais poser une génoise imbibée de café et recouverte de crème sur un morceau de papier absorbant... Je ne le sens pas. Hmmm. Et si... Non, on ne peut pas faire ça... Mais quand même...

Je finis par céder et mange à même le plat. Shroumpf, shroumpf. Oh mon Dieu. C'est presque le meilleur tiramisu que j'aie mangé de ma vie ! Presque, parce que le meilleur tiramisu du monde c'est celui de Carrefour, vendu au rayon yaourts, n'en déplaise à toute l'Italie (si je meurs demain, c'est que la Cosa Nostra lisait mon blog).

Alors je continue : sans scrupules, je me fais une deuxième part, sans prendre la peine de me servir du couteau, puisque de toute façon je la mange encore à la barbare, yihaaa ! À ce moment, mon ange d'épaule gauche apparaît, pendant que mon diable d'épaule droite continue de bâfrer.

Il ne dit rien, non. Simplement, d'un regard plein de reproches et de désolation, il me fait comprendre ce que je suis en train de faire. De quoi est-ce que j'aurais l'air si quelqu'un entrait dans le bureau et me trouvait, du chocolat plein la gueule, en train de coupablement manger un gâteau à même le plat ?

Le sombre manteau de la honte m'enveloppe et me glace. Mortifié de m'être conduit comme un porc, et surtout un peu pisseux à l'idée que quelqu'un rentre (madame 1 partage le bureau avec madame sous-sol et monsieur rez-de-chaussée), j'ai chassé cette vilaine idée de manger tout le mascarpone pour ne laisser que la génoise, et décidé de me racheter une conduite.

Et j'ai fini par trouver le parfait substitut d'assiette : un gobelet en plastique ! Comme je suis quelqu'un de consciencieux, j'ai voulu tout bien faire. Alors j'ai posé ma cuiller, et j'ai essayé de me servir avec le couteau.

Bien sûr, servir du tiramisu dans un verre avec un couteau en plastique, c'est mission impossible : quand j'ai eu fini, le gobelet était rempli d'une espèce de mélange immonde blanchâtre et marron et solide et crémeux, les filles de 2girls1cup se seraient régalées.

Mais j'ai décidé que l'honneur était sauf, alors j'ai rangé le tiramisu là où je l'avais trouvé, amputé de trois (généreuses) parts, et je suis reparti travailler. Comme personne n'était venu et que j'étais assez fier de mon ingéniosité, j'y suis retourné avec mon verre à la main, en me disant que si elle me voyait me régaler, madame 1 me proposerait d'en rapporter chez moi, pour pas laisser ça, quand même !

J'ai eu beau faire ma Meg Ryan et mimer tous les orgasmes de la Terre en finissant mon verre, elle n'a jamais levé les yeux. La boulimie ne paie plus.