Ascenseur pour l'échafaud

Hier soir, je revenais de chez Lapin, tout content de retrouver mon chez moi et de ne pas rentrer trop tard : minuit moins le quart, madame Placard, ça va faire du bien de se coucher tôt.Comme toujours, j'ai pris mon courrier. Comme toujours, je n'en avais pas.

Je suis donc allé prendre l'ascenseur, parce que trois étages, c'est quand même difficile. Une fois dans la cabine, j'ai rangé mon tout nouvel iPhone (oui oui, c'est gratuit, c'est juste pour dire que j'en ai un), en attendant d'arriver à destination. Quand j'ai senti qu'on s'arrêtait -au troisième étage donc- la porte a commencé à s'ouvrir : j'ai avancé un pied, et... et plus rien.

Dans ces cas-là, c'est fou comme on peut être vif : il ne m'a pas fallu bien longtemps pour comprendre, face à cette porte entrouverte de quelques centimètres seulement, que j'étais coincé dans mon propre ascenseur, à mon propre étage. Bordel de queue de merde de pute à chier sa race !

Je savais que j'étais au bon étage, alors Mac Gyver power, j'ai essayé d'ouvrir les portes moi-même. Ils le font dans un film sur deux, ça doit pas être bien compliqué ! J'ai donc glissé mes petits doigts agiles dans l'entrebâillement, et j'ai tiré, tiré de toutes mes forces, tiré encore et encore, pour finalement réussir à ouvrir à peu près de la largeur de mon genou. Et avec mes jambes de poulet, ça ne fait pas un gros genou. Surtout que ça n'était que la porte intérieure de la cabine, la porte extérieure n'avait bien sûr pas bougé d'un poil.

C'est là que je me suis résolu à faire ce que mes parents m'ont toujours interdit : j'ai appuyé sur le bouton alarme. Il y a eu un tas de bruits de tonalités dans le haut-parleur, je me suis demandé s'il y avait quelqu'un au bout du fil vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et finalement une charmante voix m'a indiqué que oui :

- Céline bonsoir ?

- Bonsoir non, c'est pas Céline, c'est David, je suis coincé dans mon ascenseur...

On a ensuite discuté pendant cinq bonnes minutes, parce qu'on n'était pas d'accord sur mon adresse et l'identification de ma cabine. Comme j'étais celui qui était enfermé dans la boîte, j'ai décidé que j'avais sûrement raison et que je ne lâcherais pas l'affaire. Quand elle a enfin reconnu que j'étais mieux placé qu'elle pour savoir où je me trouvais, elle m'a posé la question fatidique :

- Et il y a un code pour entrer chez vous ?

- Non, un interphone.

- Ah, et à quel nom on peut sonner pour entrer ? Il y a quelqu'un dans votre appartement ?

- ... Non.

- Un gentil gardien qu'on peut déranger à toute heure du jour et de la nuit ?

- Non, juste un gardien.

On a dû mettre tellement de temps à discuter qu'à peine je lui avais confirmé le nom de mon gardien, on était coupés. Super. J'ai eu beau rappuyer sur le petit bouton jaune, elle n'a jamais redécroché. La vieille pute.

J'étais en train d'essayer d'éventrer les portes de ma mini prison à mains nues quand j'ai entendu mon iPhone sonner (je vous ai dit que j'ai un iPhone depuis peu ?). Immédiatement, je l'ai sorti de ma poche, et j'ai fait glisser mon doigt pour décrocher :

- Allô ? Allô ?

- ...

- Allô ? Allô ? ALLÔ !!!

J'ai mis quelques dizaines de secondes avant de me rendre compte que la prise casque était encore branchée, et que madame Otis était sûrement en train de parler à mon écouteur dans ma poche. Vite vite, débranchons tout ça, allô madame Céline !

Elle m'appelait pour me prévenir qu'elle venait de téléphoner à mon gardien, qui avait refusé de se déplacer pour ouvrir au technicien quand il arriverait : il n'est pas responsable de l'ascenseur, et, selon ses dires, "les gens n'ont qu'à se démerder". Okay...

Donc on fait quoi ? Ca fait vingt minutes que je suis enfermé ici, j'aimerais bien savoir que je vais bientôt sortir, quoi... Céline m'a assuré qu'on allait trouver une solution, et m'a promis de me tenir au courant -en même temps, ça m'arrangeait.

Après un appel à Lapin, plusieurs tentatives malheureuses pour ouvrir ces putains de portes, et la panique qui commençait à monter (je ne suis pas claustrophobe, mais bon, la perspective de passer la nuit ici, tout ça tout ça...), j'ai rappelé Céline, pour savoir ce qui allait se passer : combien de temps ils mettent pour arriver, qu'est-ce qu'on fait si vraiment le gardien refuse d'ouvrir, est-ce qu'elle sait si on peut manger une veste en cuir, après tout c'est animal...?

Elle m'a assuré qu'elle allait tanner mon gardien, insister, au pire appeler un voisin, au risque de se faire engueuler, mais qu'elle ne me laisserait pas là, quand même ha ha ha. Une nouvelle fois, ça m'arrangeait. La mauvaise nouvelle, c'est que le temps moyen d'intervention est de trente minutes, et qu'en plus on n'était pas certains qu'ils pourraient rentrer.

Alors pour passer le temps, j'ai essayé de m'occuper, joué un peu avec mon téléphone, rappelé Céline, Lapin, fouillé mon sac à la recherche d'un pied-de-biche que jamais je n'ai trouvé. Jusqu'au moment où j'ai reconnu le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre, et de quelqu'un qui monte les escaliers. Quand une voix m'a demandé à quelle étage je me trouvais, j'ai su que mon calvaire touchait à sa fin. J'ai expliqué que j'étais au troisième étage, et que oui, c'était effectivement pas de chance que la cabine soit arrêtée pile devant les portes de mon étage, ralala quelle ironie... Bon on me sort de là ?

Comme j'avais appuyé sur tous les boutons, une fois l'ascenseur débloqué, il s'est remis en route (à la grande surprise du réparateur qui venait de couper le courant), et les portes se sont ouvertes au deuxième étage. J'ai bondi sur le palier, zwooof, couvert de bleus mais heureux.

Libre comme l'air après trois quarts d'heure en cage, j'ai couru dans les étages à la recherche de mon sauveur. Même si je connaissais déjà la réponse, je lui ai demandé qui l'avait laissé rentrer : la dernière fois que je l'avais eue au téléphone, Céline m'avait dit qu'elle avait rappelé le gardien pour essayer de le faire culpabiliser, alors peut-être... Mais non. Monsieur Technicien était rentré en même temps qu'un voisin, sinon il serait encore à la porte.

Voilà. Il ne me reste plus qu'à pourrir mon gardien comme jamais je n'ai pourri quelqu'un, et le faire chialer sa mère jusqu'à ce que lui et sa petite famille se retrouvent concierges dans une cité pourrie du Neuf-Trois. On ne me laisse pas impunément prisonnier en pleine nuit.