Jusqu'ici tout va bien

Depuis tout petit, je suis légèrement maladroit. Mon père avait même l’habitude de dire que j’avais deux mains droites (oui, parce que gaucher, tout ça…). Ca a commencé très tôt : pendant une réunion de famille, à l’époque où mes parents n’avaient pas encore divorcé (c’est dire si ça remonte, quand j’avais six ans ils n’étaient déjà plus ensemble), on m’avait mis à table, avec les grands. Trop la classe.On m’avait même laissé utiliser de la vaisselle d’adulte, pour une fois je ne mangerai pas dans ma gamelle Mickey. Funeste erreur : à peine on m’avait porté un verre à la bouche que je t’y plantais mes petites dents de lait, argn ! Une cassure nette. On me ressort le morceau de cristal de la bouche (chez les Procellus, on ne boit pas dans des verres de cantine), et on m’interdit de boire dans autre chose que du plastique jusqu’à mes trente ans (courage, en 2012 ça sera bon !).

Il y a aussi eu la fois où j’ai posé la main (volontairement, pour voir si c’était sec) dans le mastic fraîchement posé de la fenêtre qu’on venait de changer, qui a donc l’empreinte de mon doigt depuis ce jour –j’avais dix-sept ans ; celle où à force de jouer au con je suis tombé dans le port d’Athènes, dans la zone de plaisance, où tous les bateaux vident leurs toilettes (là j’étais plus jeune) ; ou encore le jour où on est arrivés très en retard à un déjeuner familial parce qu’on avait dû faire un détour d’ urgence chez le médecin : le petit s’était planté un hameçon dans le doigt, et même en forçant on ne pouvait pas l’enlever.

Bref, je n’en loupe pas une. J’aimerais bien faire partie de ces gens qui savent faire trois pas sans se péter la gueule ou faire exploser le sanibroyeur dans la chambre d’hôtel d’un pays dont ils ne parlent pas la langue, mais non.

J’ai beau être prudent, faire attention à mes affaires, je n’y peux rien, je suis maladroit. Un jour où je voulais refermer le MacBook, j’ai réussi à le faire tomber du haut de ma table, rebondir contre un pied de chaise, et je l’ai regardé s’immobiliser comme une merde sur la moquette. Intact.

C’est ça l’avantage de ma situation : à force de catastrophes, j’ai fini par neutraliser le mauvais Ju-ju. Je lâche tout, mais plus rien ne se casse. Le verre qui tombe dans l’évier ? Pas une égratignure.

J’avais quand même un peu peur, quand j’ai eu l’iPhone : il a remplacé mon ancien portable, dont je me servais comme réveil. Comme son prédécesseur, je le pose tous les soirs sur ma table de nuit, en attendant qu’il chante au petit matin pour me dire de me lever. Mais l’iPhone n’est pas un vrai portable, il n’a pas de touches en relief qui l’empêchent de glisser sur une table aussi lisse que lui. C’est ainsi que tous les matins, visant comme un pied, je fais taire mon téléphone en l’envoyant bouler par terre. Wizzz... Shebam.

Et tous les matins, il se relève sans une égratignure.

Pourvu que ça dure.