Et tu enfanteras dans la douleur
Le plus rigolo avec mon nouveau poste, c'est que plein de gens avec qui je bossais avant me traitent maintenant comme si j'avais un quelconque pouvoir, ou même des responsabilités vis à vis d'eux, et du coup ils viennent me parler de leurs problèmes, genre j'en ai quelque chose à foutre.C'est par exemple le cas de Cheveux Gras, une fille qui est rentrée dans la boîte pile en même temps que moi, même qu'on avait fait notre formation ensemble (et déjà à l'époque, elle ne connaissait pas le shampooing). Elle est arrivée l'autre jour dans le bureau où j'ai pris mes quartiers d'hiver, et après m'avoir salué avec respect et déférence (parce que c'est vrai, je suis un peu le mec qui est presque juste en dessous de sa n+1), elle m'a annoncé :
- Ah. Euh... Ben... Félicitations...? (Ewww !)
J'ai réprimé tant bien que mal mes instincts de Lieutenant Ripley : je me suis assis sur mes mains, pour ne pas risquer de lui cramer la gueule au lance-flammes, à elle et à l'alien qui lui pousse dans le ventre. Et surtout, je me suis concentré sur l'idée que la Compagnie pourrait encore avoir besoin d'elle, une fois qu'elle aura vêlé. Je me suis quand même reculé un peu, au cas où ça serait contagieux, et j'ai fait discrètement sonner mon téléphone (l'avantage d'avoir deux lignes) :
Une fois seul, j'ai voulu m'accorder une petite pause pour me remettre de toutes ces émotions, mais je me suis souvenu que je ne faisais rien, avant que Cheveux Gras vienne me déranger. Alors j'ai juste attendu que toutes mes chefs soient là, en me préparant à avoir l'air débordé. Quand elles sont arrivées, on a pu commencer notre débriefing sur tout ce qui va mal dans le magasin en ce moment, une façon de polie de dire qu'on a échangé nos ragots. C'est comme ça que j'ai appris que nos pompiers (ouaiiis, on a nos propres pompiers !) étaient bourrés en permanence, et qu'on venait d'en virer un parce qu'il piquait des cannettes de Coca pendant ses rondes de nuit. Le con.
Le moment était parfait. Je leur ai annoncé l'horrible nouvelle :
Sous-entendu : "non mais vous y croyez, quelle conne hein ? Quand on n'est pas capable de mettre un stérilet correctement on se fait ligaturer les trompes, parce que maintenant il va falloir la remplacer, et attendre huit mois qu'elle revienne pour nous raconter comment son chiard est le plus joli et qu'il va sûrement mourir parce qu'il a pleuré bizarrement ce matin".
Mais j'avais oublié un détail : à cet instant précis, j'étais entouré de femmes. Les "ohhh !" et les "ahhh !" ont fusé, et on a passé une heure à se raconter nos souvenirs de grossesse, et comment on l'a appris, et à qui on l'a dit, et elle a de la chance... Mais non les filles mais arrêtez, c'est horrible, une femme enceinte c'est chiant et caractériel et ça se croit tout permis et ça a des hémorroïdes, tout ça pour sortir un petit troll tout fripé qui va brailler à s'en péter le cul pendant au moins quinze ans, et si ça se trouve elle va vouloir qu'on lui touche le ventre pour le sentir bouger ! Ohhh. Ahhh.
Je ne me suis jamais senti aussi seul.