Hand in my pocket

Ca fait plusieurs années que je vis une relation torride et passionnée avec ma veste en cuir. Je l'aimais quand je l'ai vue, toute neuve et encore brillante dans le magasin, à peine arrachée du dos d'un buffle innocent, et je l'aime encore maintenant, beaucoup moins neuve, toute patinée sur mes robustes épaules.Ma première veste d'adulte, merde, c'est quasiment un dépucelage !

Comme je l'aime à la vie à la mort, je veux partager plein de trucs avec elle, alors je la traîne partout où je vais. Elle m'a suivi à Prague, Copenhague, Londres, Paris, Maisons-Alfort, et même au bout du monde, tout là-bas en Seine-et-Marne. Elle ne m'a tenu chaud aucun hiver, mais je l'ai quand même gardée. Elle m'a fait suer comme un porc plusieurs étés, mais je ne l'ai pas rangée (enfin si forcément, au dessus de quinze je sors à moitié à poil tellement j'ai chaud, donc je vais pas mettre un blouson tout l'été, mais je l'ai portée le plus possible, quoi).

Je l'ai emmenée chez mes parents, chez tous mes plans cul, elle m'a servi de couverture au cinéma, et de serviette pour m'allonger dans l'herbe (parce que sinon y'a plein de petites bêtes qui piquent et c'est désagréable). Parfois, je me dis que je pourrais porter autre chose, de temps en temps, surtout que j'ai trois miyards d'autres manteaux (ou alors juste trois, je confonds toujours) dans mon placard, qui ne servent à rien d'autre qu'à prendre de la place. Mais non, pas envie, les autres ils sont moches.

Son seul problème, c'est qu'elle supporte mal l'utilisation que j'en fais. Pourtant mes parents m'avaient prévenu : il ne faut pas mettre ses mains dans ses poches, parce que tu as les mains acides, petit David, et ça attaque le tissu !, ou un truc dans le genre. Et moi, mon seul problème c'est que je n'apprends jamais.

Je l'avais emmenée une première fois chez le couturier, quand la poche gauche commençait à donner des signes de faiblesse :

- Bonjour monsieur le retoucheur, vous pouvez réparer mon manteau s'il vous plaîîît ?

- Mais bien entendu mon enfant, ça fera vingt euros.

- Oh pitaing, pour une poche ? Mais euh, vous vous touchez, un peu, non ?

- Non non. Je me retouche, ha ha ha !

- ... Ok, vingt euros et vous vous taisez (le salaud, il avait tout prévu).

Mais là, quand la même poche est morte à nouveau, bientôt suivie par la droite, puis par la poche intérieure, je me suis dit que ça n'était pas possib'. Non, il n'est pas question de retourner chez ce voleur, cet incapable dont les réparations tiennent à peine un an !

J'ai alors eu l'idée du siècle : recoudre moi-même ces putains de poches de merde. Grâce à mes tendances kleptomanes, j'ai piqué les nécessaires de couture de tous les hôtels où je suis passé, je suis bien équipé, ça va. Et puis j'ai assez regardé Cendrillon et Enchanted, ça n'a pas l'air bien compliqué de rapiécer un vêtement. Le plus difficile, ça a été de trouver des souris et des oiseaux doués avec une aiguille et assez aimables pour m'aider.

En fait ouais, ça a été tellement difficile que j'ai dû me débrouiller tout seul. Je me suis ainsi rendu compte que ça n'est pas si facile, la couture -d'ailleurs je ne vois pas trop pourquoi on présente ça comme un métier féminin, je n'ai jamais autant pissé le sang qu'en maniant les aiguilles. Parce que oui, j'ai voulu faire mon kéké : oh nooon, j'ai pas besoin de dé à coudre, c'est pour les mauviettes, ou pour faire joli dans Peter Pan, moi je suis plus malin que ç... AAARGLAïE ! Alors, je suis sagement allé voir la dame du rayon mercerie d'Happy Time, et j'ai acheté un protège-doigt. C'est ainsi qu'à l'inverse de Pénélope, j'ai pu achever mon ouvrage, et retrouver l'usage de mes poches. Quel bonheur de pouvoir y remettre les mains, et mes clefs, et tous ces trucs que je n'osais plus y ranger parce que ça risquait de les abîmer !

En plus, je me suis rendu compte que j'étais plutôt doué, pour la couture. Alors si jamais je me fais virer de chez Happy Time (un jour, ils vont se rendre compte que je ne fais rien et que je le fais mal), je pourrai toujours me reconvertir dans la retoucherie. Ouais, c'est ça. Plus jamais.