Say my name, bitch !
Quand Girafa avait parlé de me changer de poste, elle m'avait décrit en détail le profil qu'ils désiraient, et ça m'avait un peu surpris. Ce qu'il fallait pour ce boulot c'était Divad, mon jumeau maléfique qui m'est diaboliquement opposé en tout : quelqu'un avec des grandes capacités sociales, à l'aise au téléphone, de bonne humeur et rigoureux dans son travail.Elle avait bien insisté sur le besoin de rester souriant en toutes circonstances, surtout au téléphone, parce qu'un sourire ça s'entend. Alors même si on m'appelle vingt fois de suite pour la même question idiote, je dois garder à chaque fois du soleil dans la voix : "mais non voyons, il n'y a pas de questions idiotes ! (Il n'y a que des sottes gens. Et tu es leur chef)".
Ca n'a pas été facile, mais j'ai appris. J'ai appris le téléphone, à parler à des gens que je ne vois pas, et en leur souriant. Même si quand je ne suis pas en ligne je suis morne et dépressif et que j'ai envie de me trancher la gorge à mains nues, dès que ça sonne, j'attrape le combiné et j'y vomis toutes mes ondes positives de ma voix chaude et enjouée. Et je retombe dans ma neurasthénie dès que je raccroche. C'est chouette, ce job va m'aider à entretenir ma schizophrénie.
On m'avait aussi prévenu qu'au début, tout le monde allait me demander qui j'étais, quand je décrocherais. Alors même si on m'a demandé cent fois "c'est qui ?", j'ai répondu cent fois en souriant "c'est David, tu appelles pour quoi ?". Par contre, on ne m'avait pas prévenu que j'allais être confondu. La première fois, je n'y ai pas fait attention, j'ai décroché :
- Nounours ?
J'ai failli mal le prendre, mais je n'ai rien dit, ou plutôt si, je l'ai poliment corrigée, cette gourde, avant de poursuivre la conversation. Et c'est arrivé, encore et encore et encore. Tout le temps, tous les jours, on me confond avec Nounours, ou Pierre, ou Paul, ou mon chef que je suis le seul à trouver beau (dans ces cas-là je suis flatté, mais ça n'arrive pas souvent). Et systématiquement, je réponds comme si c'était la première fois, et que c'était encore rigolo au bout de trois mois que personne ne me reconnaisse, bande de raclures.
Et parfois... Je m'en souviendrai toute ma vie. C'est arrivé un jour où j'étais particulièrement en forme. Quand le téléphone a sonné, je l'ai attrapé, mes chacras tellement béants que mon yang coulait à flots, sur la chaise, sur mes chaussures et dans le combiné. J'ai pris ma plus belle voix, celle avé le bel assent channntant du sudeuh (non c'est pour rire, je hais l'accent du sud et ses propriétaires, si ça ne tenait qu'à moi, on atomiserait tout le sud de la Loire -et un jour, ça ne tiendra qu'à moi) :
- ... Euh...? Nathalie ?
Je ne crois pas que je m'en remettrai un jour.