Ces petites humiliations au travail (2/2)

Bien sûr j'aurais aussi pu mal le prendre, quand je suis entré dans le bureau sur le coup de huit heures, affamé comme toute la Somalie, et que tout le monde se régalait avec des hamburgers.Comico, le seul chef mâle de cette soirée, et le seul à ne pas manger, a tenté de prendre ma défense :

- Eh bien mesdemoiselles vous avez encore oublié monsieur Procellus (oui parce que toutes les semaines ça se passe comme ça) ? Je pense que dans trois mois elles penseront enfin à toi quand elles commandent...

La première à avoir fini sa bouchée a fait genre elle s'excusait :

- Oh David on est désolées. Tu voulais manger quelque chose ? Enfin bon là c'est trop tard, hihihi.

Connasse. Oui, je le voulais. Mais de toute façon, j'aurais pas pu en profiter : eux ils peuvent bâfrer tout ce qu'ils veulent parce qu'ils sont cachés dans le bureau, mais si de mon côté j'accueillais les clients avec les mains dégoulinantes du jus de gras de mon Gros Mac et de la sauce pour les frites, ça risquerait de ne pas le faire. C'est pour ça que là encore, j'ai décidé de passer outre et de ne pas me vexer.

Non, ce que j'ai vraiment mal pris, c'est la toute fin de soirée.

Comico était en train de discuter à côté avec un collègue qui passait par là et que je trouvais mignon, jusqu'au jour où j'ai appris qu'il avait déjà fait deux enfants à sa copine, alors j'ai décidé que peut-être il fallait que je me fasse une raison, et je m'en étais désintéressé. Du coup, même si la porte était ouverte, j'écoutais leur conversation d'une oreille très distraite, et j'en ai même loupé le début. J'ai commencé à prêter attention au moment où Comico lui expliquait la tecktonik :

- ...ce que c'est ? C'est trop marrant la tecktonik, ils ont l'air de canards qui se sèchent les plumes, tu as jamais vu ?

Jusqu'ici, rien d'anormal. Mais c'est juste après qu'il s'est mis à me tirer à boulets rouges dans le dos :

- Mais tiens d'ailleurs, monsieur Procellus est expert en tecktonik, on va aller lui demander !

!!! J'ai tout de suite lâché tout ce que je faisais (c'est à dire rien, mais du coup je me suis arrêté) pour faire irruption dans le bureau. Comme c'est Comico, je me suis dit que peut-être il disait ça pour me taquiner, le fripon. Mais non. Quand il m'a vu, il m'a posé la question, "Ah, tu es balèze en tecktonik, toi, non ?". Il était super sérieux.

Je ne vois pas d'où il a cru ça. Si encore j'arrivais au boulot habillé / coiffé comme ça : (monsieur que je ne connais pas sur la photo, pardon, mais voilà quoi), ou si je me mettais à danser entre deux clients je ne dis pas, mais non ! Non non non non non !

Je crois que je n'ai jamais été aussi vexé de toute ma vie -en tout cas au boulot. Alors pour leur faire comprendre, et parce qu'à mon entretien annuel on m'a reproché de ne pas aller vers eux en cas de problème, je les ai tous massacrés, en tuant Comico un petit peu plus que les autres.

Ces petites humiliations au travail (1/2)

Une autre journée caché dans ma petite pièce. Heureusement cette fois, j'aime bien les chefs qui sont dans le bureau d'à côté. Parce que souvent, c'est que des têtes de cons (normal, c'est des chefs), alors je leur parle pour faire genre, alors qu'en vrai, j'les aime pas. Mais non, ce soir, bonne pioche.Comme ils sont gentils et trop cool, je laisse la porte ouverte, pour profiter de la bonne ambiance qu'ils ne vont pas manquer de distiller, ouais, allez, on va s'éclater, quelqu'un a de la tequila ?

J'aurais dû savoir que je me trompais lourdement.

Le premier signe est arrivé au milieu de la soirée. Je lisais tranquillement, sans déranger personne, pendant qu'ils rigolaient de leur côté. Et d'un coup, shblam. La porte de communication qui claque. Comme je suis quelqu'un de prévoyant, j'avais des papiers à leur apporter, ce qui m'a donné l'occasion de voir un peu de monde (parce que sinon, le soir de la nocturne y'a pas un chat, c'est triste un magasin vide, on en pleurerait), et surtout de rouvrir la porte. Bordel.

Je retourne m'asseoir, je recommence à lire, et shblam, la porte qui se referme. Vu la situation du bureau, ça ne vient pas d'un courant d'air. C'est pas grave, j'ai toute une tripotée de documents en réserve, je peux leur en apporter toute la soirée. Leçon numéro 1 : n'ayez pas peur d'être lourd. Je suis donc retourné les voir, j'ai rerelaissé la porte ouverte, non mais qu'est-ce qu'ils s'imaginent, je vais pas me laisser faire, ils ne peuvent pas me tenir à l'écart, bande de chiens !

Je suis reretourné m'asseoir, pour me rendre compte qu'en fait ils peuvent. C'est dommage parce que ça devenait intéressant, une des chefs est célibataire, alors un autre voulait lui présenter un copain, mais elle a refusé parce que... C'est là qu'ils ont claqué la porte pour la troisième fois. Sûrement pour protéger mes chastes oreilles, hein...

La soirée s'est poursuivie avec cette délicieuse dynamique : quand je me faisais trop chier, j'allais faire signer un truc bidon ou demander un renseignement, j'arrivais à entendre trois minutes de leur conversation et ils me fermaient la porte au nez, genre ils ont des trucs à dire qui ne me concernent pas ? Bande de rats puants. J'ai fini par les laisser gagner, j'ai compris, ma présence n'est pas désirée, eh bien vous ne méritez pas que je vous accorde mon attention, peuh. Leçon numéro 2, sachez quand même vous arrêter. Et puis c'est pas grave, c'est pas comme si c'était vexant de se faire claquer la porte à la gueule toute la soirée, hein...

Non, ça n'aurait pas été grave, s'ils s'étaient limités à leur rejet perpétuel... Ah, si seulement...

Don't speak

Jeudi, comme presque toutes les semaines, j'ai sacrifié ma pause déjeuner pour aller voir mes grands-parents. Allez, ils sont vieux, ils valent bien un sandouiche dans le métro !C'est pratique comme visite, ça me permet de leur faire plaisir -ce qui est plutôt bon pour mon karma- tout en n'y restant pas trop longtemps, parce que voilà faut pas pousser non plus.

À chaque fois que j'y vais, Pépéprocellus se sent obligé de me donner un petit billet. Là encore ça n'a pas loupé. Ca n'est pas tant au point de vue moral que ça me dérange, prendre de l'argent à une personne âgée ou à mon employeur, c'est du pareil au même. Non, ce qui me gêne c'est qu'il pense que je viens uniquement pour me faire payer, et qu'il se dise qu'il a besoin de sortir son porte-monnaie pour que je leur rende visite, alors que ça n'est pas le cas.

Alors comme à chaque fois, histoire de ne pas avoir l'air trop vénal, j'aurais bien aimé lui dire que c'est pas la peine, que je ne suis pas venu là pour les sous, et que même s'il ne me donnait rien je viendrais quand même. Pas par bête sentimentalisme familial hein, uniquement pour mes points de karma, bien entendu. Mais une fois encore, je n'ai pas réussi. Alors je me suis senti coupable, mais parce que c'est plus facile et plus confortable, j'ai pris l'argent et je n'ai rien dit.

Par contre, à la différence des autres fois, quand je suis arrivé ma grand-mère dormait. Il m'a emmené dans la chambre pour me la montrer, tout petit tas sous les couvertures. Il l'a regardée un moment, et quand il a vu qu'elle respirait, il était rassuré et on a pu sortir. Ouf, parce que regarder dormir les vieilles dames, je ne suis pas entièrement fan.

Il a profité de cet instant privilégié entre nous autres hommes pour se confier un peu. Il m'a raconté qu'il n'en peut plus de devoir changer les draps tous les jours parce qu'elle s'oublie dedans avec ses ennuis gastriques (ewww, trop d'informations, trop d'informations !), et que c'est épuisant de passer la journée avec quelqu'un qui s'imagine fin avril que ce soir elle va à la messe de Noël, et que la plus grande victoire de ces derniers temps c'est d'avoir convaincu sa femme de mettre des couches, et qu'il ne sait pas quoi lui dire quand elle oublie que son fils est mort.

En général, quand quelqu'un commence à se plaindre et à déprimer, ce que je fais de mieux c'est répondre dans un demi-sourire triste pour montrer de l'optimisme et de la compassion que courage, haut les cœurs, ça va aller ! J'étais sur le point de me lancer, j'avais déjà entamé le sourire, et je me suis souvenu. Quand on est vieux, on ne peut pas faire machine arrière : à la limite on peut essayer de lutter contre les rides en se barbouillant de Q10+, mais ça ne sert à rien, on y passe tous, et personne ne peut gagner.

Et là, ma grand-mère a perdu. Je m'en suis rendu compte au moment où j'allais dire à mon grand-père que tout allait s'arranger, alors qu'on sait tous les deux que non, ça n'ira plus jamais mieux. À part le jour où elle mourra, mais ça sera quand même une amélioration très discutable. Alors je l'ai regardé, avec mon sourire triste en travers de la gorge, et je n'ai rien dit.

L'intelligence artificielle (selon David)

Quand je joue à un jeu vidéo et qu'il devient difficile d'un coup, alors qu'avant il était trop facile et je m'éclatais comme un malade à enchaîner les niveaux comme un bucheron sous amphets, je m'imagine qu'il y a un petit génie susceptible dans la machine. Genre si je viens de finir plusieurs fois premier à Mario Kart, et qu'à la course suivante tout le monde me passe devant, et je finis dernier avec quarante minutes de retard par rapport au plus lent des participants, parce que tous les adversaires m'ont jeté des carapaces et éjecté du circuit et rétréci et fait exploser, je me dis que j'ai énervé le lutin du jeu. Du coup il est tout vexé qu'on le batte aussi facilement, et il appuie sur le bouton rouge (nooon, pas le bouton rouge !), qui fait passer le jeu en mode "personne ne peut gagner, soyez maudits, humains".

Alors plutôt que de m'énerver, de jeter la console par terre en lui hurlant les pires atrocités qui me viennent à l'esprit, avant de l'achever avec une bombe de laque et un briquet en promettant son âme immortelle au Diable, qui me vengera en la réincarnant en PC qui ne tourne que sous Windows 95, je fais exprès de perdre (oui bon, après y'a pas tant de jeux que ça auxquels je peux faire exprès de perdre, du coup je ne m'enflamme pas trop souvent dans mon délire psychotique).

En faisant ça, je me dis que je vais berner le lutin. Si je perds deux fois de suite ou plus, il s'imaginera que le joueur doué qui gagnait toutes les courses est parti se pendre, et qu'il a refilé la main à un débutant, la preuve c'est qu'il finit tout le temps dernier. Du coup, le lutin tombe dans mon piège et baisse sa garde, et il fait repasser le jeu en mode "c'est possible de gagner".

Et c'est que je lui éclate sa petite gueule d'enfoiré de merde.

Le jeu des mille francs

Salut le jeune ! Ton existence est triste et morne et tu t'ennuies ? Tu as l'impression (justifiée, au moins tu ne t'imagines pas des trucs) de ne rien faire de ta vie, et que ton moment le plus glorieux c'était... euh... non bah rien en fait ?

Tu aimerais remédier à cela, avoir l'impression de servir à quelque chose, être le genre de mec qui donne tout ce qu'il a aux petits lépreux et aux petits cancéreux et aux petits enfants qui crèvent de faim dans des rues crades et du coup ils se chopent toutes les saloperies qui traînent et ils meurent avant la puberté, et en plus ils ont quarante-deux frères et soeurs qui attendent de crever derrière, mais en fait non, tu ne bouges pas ? Tu voudrais bien faire quelque chose, mais tu n'as pas le temps (bien sûr, c'est une question de temps, hein...), alors tu envoies balader d'un revers de la main que tu imagines poli la soixantaine de chieurs de Médecins du Monde / Action Contre la Faim qui te rôdent autour dès la sortie du métro ?

Eh bien ce post est fait pour toi ! Car ce post, c'est LA solution pour nettoyer ton aura salie par tant d'égoïsme et de bonnes actions tuées dans l'oeuf ! Merci qui, hmm ?

Alors oui, curieux comme je sais pas quoi, essuyant la sueur qui te coule devant les yeux parce que de tels niveaux d'excitation c'est presque trop pour ton cœur tout racorni, tu te demandes : comment, mais comment ce post peut-il sauver mon âme pécheresse des feux de la damnation éternelle ?

Eh bien c'est très simple. Il te suffit de m'aider, en répondant à une petite interrogation que je me pose.

Imaginons un mec, genre c'est pas un loser mais presque. Il a vingt-six ans, et il a commencé à bosser depuis un an et demi voire plus, dans un grand magasin Parisien où il coule des jours heureux. Il a vu à la télé qu'en ce moment y'a plein de gens qui râlent parce qu'ils doivent remplir leur déclaration d'impôts, et payer à ces sangsues d'enculés de leurs mères du Trésor Public. La question est la suivante :

Comment ça se passe, quand on doit payer des impôts ? On le sait ? On reçoit une lettre ? Et si on n'en reçoit toujours pas au bout d'un an et demi, ça veut dire quoi ? Qu'on est trop pauvre pour payer, même l'État a pitié de nos petits revenus ? Ou qu'il faut se faire connaître, signaler qu'on a travaillé et qu'on veut bien payer, m'sieur l'inspecteur, j'ai gagné de l'argent cette année, mais pas beaucoup... Ah bah c'est pas grave mon petit, on va le prendre quand même ?

Si quelqu'un sait, ça serait gentil de répondre, parce que je commence à m'inquiéter, j'aimerais pas qu'ils me doublent mes impôts à force de majorations de retard ou j'sais pas quoi (par contre si vous ne savez pas, ou si vous avez juste un truc con à dire, abstenez-vous, pour une fois)...

Mes mains qui saignent, dressées comme un totem

Alors que j'étais encore trop petit pour m'en souvenir, ma famille a été massacrée par l'homme blanc, dans sa folle conquête de nos terres. Je ne sais pas ce qui aurait pu m'arriver, si je n'avais pas été sauvé de justesse par ce clan de bisons qui m'ont élevé comme un des leurs.Puis, quand j'ai été assez âgé pour me rendre compte que je fricotais avec la mauvaise espèce, j'ai été recueilli par la tribu des Happy Time, qui font commerce de peaux de bêtes, de machines à fabriquer son propre pemmican et autres trucs inutiles sans lesquels on ne pourrait pas vivre, avec les Micmac, et les Algonquins, et les Apaches, et les Kutenai... Oui c'est vrai, les Happy Time seraient prêts à vendre n'importe quoi à n'importe qui, ça ferait presque d'eux (de nous, pardon) des putes, mais bon. On ne choisit pas sa famille.

Depuis presque deux cycles que je suis un des leurs, je commence à comprendre leur fonctionnement, à lire les changements du vent, les nuances des couleurs, et tous ces trucs de tarlouze qui sont monnaie courante dans ma nouvelle tribu. C'est pourquoi j'ai immédiatement su que quelque chose n'allait pas quand j'ai vu arriver notre Sachem, Powhatawanda. C'est un très joli nom, en français, je crois que vous le traduiriez par "femme à l'allure de tonneau et qui parle avec une voix aussi haut perchée qu'elle est courte sur pattes" (bon ok c'est nul, mais à ma décharge ça n'est pas moi qui ai commencé à la comparer à un tonneau). Elle s'est avancée vers moi, le regard sérieux et l'air grave, et s'est exprimée en ces termes :

- Ugh, papoose Procellus. Il y a bien longtemps que tu es parmi nous, et tu vas bientôt atteindre l'âge d'homme. De dures épreuves t'attendent, pour célébrer ton passage.

- Euh hein ?

- Tu vas passer ton entretien annuel.

- Ah ok.

- Les dieux de notre tribu ont parlé. C'est à moi de te faire passer les épreuves. Pour nous prouver que tu es un homme et que tu es digne de rester parmi nous, tu devras me faire jouir, en n'utilisant que ta langue.

- Aaaah !

- Non, je rigole. Je te demanderai juste de remplir ton auto-évaluation. Tu as jusqu'à la prochaine lune. Nous nous reverrons à ce moment-là, pour comparer la vision que tu as de toi, et la mienne. Je vais de mon côté préparer ta visite avec les autres chefs de notre tribu. D'ici là, que Waconda t'imprègne de sa sagesse. J'ai parlé.

Non mais elle a trop tiré sur le calumet de la paix, ou quoi ? Elle me donne des devoirs ? J'ai jeté un coup d'oeil aux parchemins qu'elle m'avait laissé. Euh, il faut que je dise si je pense que je suis un membre sérieux de la tribu ? Et si j'estime être rigoureux dans les tâches que les grands guerriers me confient ? Ah merde, y'a même une question sur comment je m'intègre à une équipe ? Mais c'est pas possib', je m'intègre pas, je les déteste tous ! Et puis qu'est-ce qu'elle croit, à me demander de m'auto-apprécier ? Elle ne sait pas que j'ai une confiance en moi qui vole en permanence au ras des mocassins, surtout en période de forte dépression ?

Après avoir refermé le petit dossier (douze pages, ça devient un petit dossier), la terreur abjecte de l'attente a commencé. À la prochaine lune, je risque donc de mourir. Est-ce que je vais me faire exclure de la tribu parce que je ne fais quasiment rien de ce qu'ils demandent, "signaler à mon sachem supérieur les dysfonctionnements du système", "être enthousiaste quant aux différentes animations mises en places par le grand Manitou", et autres conneries du genre ? Est-ce qu'ils vont me scalper parce que je ne me rase qu'une fois par semaine, et qu'un bon membre d'Happy Time se doit d'être glabre, et ils se disent que ça m'apprendra à avoir la peau du visage toute lisse et douce ?

La bonne nouvelle, c'est que ça n'est pas tout de suite : j'ai bien calculé, en additionnant la floraison des cactus et la mue des tatous* et en rapportant ça à la course de notre soeur Lune dans le ciel, mon rite initiatique tombera jeudi prochain (je me suis bien fait chier pour mes calculs, parce que c'était marqué sur le petit dossier). Jeudi, en sachant que ma semaine commence le mercredi et qu'en général je me rase pour le premier jour de boulot, je serai encore présentable pour apparaître devant les esprits des ancêtres. Bien, tout cela se présage plutôt bien.

La mauvaise nouvelle, c'est que Powhatawanda m'a rendu visite la semaine dernière. Jeudi prochain, c'est aujourd'hui. Adieu, donc.

*Bravo, les tatous ne muent pas ! Si tu t'es fait la remarque tout seul, tu es trop fort. Félicite-toi, tu l'as bien mérité.

Vis ma vie de pauvre

Je savais que la machine à laver était condamnée. Pourtant, elle était chouette. Elle a un joli hublot à travers lequel je peux passer des heures à regarder tourner mon linge, à encourager mes chaussettes à tourner plus vite pour rattraper mes caleçons, ou à imaginer toutes les saloperies que mes fringues peuvent faire quand elles me cachent la vue avec leurs soirées mousse.Mais voilà. Un hublot, c'est rigolo. Mais c'est fragile, aussi.

Et là, ça faisait des mois que le voyais se fendiller, en n'y pouvant rien faire. Plein de petites lignes qui partaient de l'extérieur et qui convergeaient vers le centre. J'avais fait des marques, pour voir si elles étaient fixes, ou si elles s'étendaient, les salopes. Bah elles s'étendaient, les salopes (pas de bol, quand même).

Je voulais pas racheter une machine tout de suite, parce que ça coûte quand même un rein, et à part ça elle allait plutôt bien, ma petite machine chéwie. Alors j'attendais impuissant que ça craque. J'imaginais déjà le jour où j'allais rentrer et découvrir qu'elle avait dégueulé mon linge et toute son eau dans la cuisine, en y cachant plein de petits bouts de verre. Oh quelle impatience, qu'est-ce que j'allais m'amuser ce jour-là ! En plus je serai obligé d'aller au lavoir, de taper mon linge en chantant et d'échanger les derniers ragots avec les autres lavandières, berk !

Ce que je ne savais pas, c'est que le lave-vaisselle était jaloux de l'attention que je porte au lave-linge. Alors pour me montrer que lui aussi mérite qu'on s'en occupe, il a décidé de mourir. Comme ça, d'un coup.

Mais il a été vicieux : quand j'appuie sur le bouton marche / arrêt, le voyant de mise sous tension s'allume, jusqu'ici tout va bien. Mais dès que je lui ferme sa porte, ça fait CLAC ! et je fais sauter les plombs. Hi hi, on le refait une ou deux fois pour vérifier, oui, c'est rigolo, ça arrête tout, bon ça suffit David l'électricité c'est pas un jouet !

Coup de bol, il est encore sous garantie. Donc il faut appeler le SAV pour leur expliquer le problème. Voilà. Y'a qu'à. Téléphone. Ouaip. Mais j'aime pas le téléphone, ça fait peur, en plus je veux pas les appeler, ça doit juste être une résistance ou un truc tout con, je pourrais le changer moi-même, je veux pas je veux pas je veux paaas !

À cause d'un petit blocage, je me suis donc tapé trois semaines de vaisselle à la main, comme les gueux, pouah, mais l'eau elle est chaude, faut mettre les mains dedans ? Et puis le produit vaisselle ça abîme la peau, au s'cours !

Alors aujourd'hui, j'ai décidé que ça suffit, je vais pas laisser une phobie idiote me pourrir l'existence et détruire mon si fragile épiderme. Alors je vais les appeler. C'est décidé. Je compte jusqu'à trois et j'y vais. Allez. Finalement, pour gagner un peu de temps, et pour ne pas passer pour un demeuré total quand ils viendront, je vais essayer un truc, juste pour voir. Si je le branche sur une autre prise, est-ce que ça va encore être tout cassé ?

NON ! Miracle, je l'ai réparé tout seul, et sans avoir à téléphoner je vous prie ! Oui c'est vrai, je suis un loser de m'être cogné la vaisselle pendant trois semaines, à faire tremper les assiettes, décoller des épinards incrustés dans la porcelaine, tout ça parce que j'ai pas peur de téléphoner mais presque, surtout que j'aurais pu penser à essayer ça tout de suite. Mais pensons un instant à l'humiliation que j'ai évitée si les plombiers du BHV étaient venus chez moi, avaient débranché une prise pour en essayer une autre et étaient repartis en levant les yeux au ciel. Hein, je passe déjà moins pour un abruti, non ? Non ? Non.

Monsieur le nouveau directeur

Et hop, comme l'année dernière à la même époque, on m'a envoyé en réunion, pour entendre parler de la qualité de notre accueil dans le magasin. Genre c'est important, l'accueil des clients.J'y suis allé en traînant la patte, parce que mon bouquin recommence à devenir bien, et on m'avait prévenu que la réunion durait plus de deux heures, et fait chier merde. En plus je veux pas y aller, maintenant que j'ai monté un échelon, je vois pas pourquoi je devrais me taper une réunion avec les autres grouillots, c'est vrai quoi (leçon n°1 : reniez vos origines), et puis on m'a dit que le nouveau directeur en profitait pour nous identifier tous individuellement, sûrement pour faire des repérages et préparer en secret l'invasion de ses camarades aliens. Je les sens les coups tordus de ce genre, c'est comme un sixième sens.

Qu'à cela ne tienne. Je me suis perdu un peu en chemin, parce que ça se passait dans une partie du magasin que je ne connais pas (vous le saviez vous qu'il y a des backrooms dans les sous-sols d'Happy Time ?), mais j'ai été sérieux, et je suis arrivé presque à l'heure. Après avoir passé cinq minutes à choisir une chaise, non, trop basse, trop molle, trop branlante -il faut savoir être exigeant, j'étais prêt. Je leur ai donc fait signe qu'on pouvait commencer.

En fait non, ça n'était pas moi qu'on attendait, mais le nouveau directeur. On a bien fait, parce que je me suis fait un nouvel ami, quand il est arrivé. Pour commencer, il nous a serré la main à tous.

Je voulais faire bonne impression, et mes parents m'ont bien appris qu'une poignée de main franche, ça plaît toujours. Il ne faut pas tendre une main de mollusque hémiplégique, mais une poigne de fer, pour montrer qu'on est un mec qui en veut, avec des couilles en acier trempé, ouais ! Le problème c'est que ses parents ne devaient pas avoir les mêmes principes que les miens, alors je lui ai à moitié broyé la main molle et moite qu'il me tendait. Oups, bêtise ?

Ca n'était que le début d'une longue série. Pendant que j'essayais de lui expliquer pourquoi sur certains points on a des scores de merde en qualité d'accueil, en lui expliquant que vraiment on fait un métier ingrat et difficile, il m'a simplement répondu sur un ton froid de directeur :

- Vous savez, si c'était facile on n'aurait pas besoin de vous, on le ferait nous-même.

Ooo... kay. Connard ? Tu veux la guerre sale fils de pute ? Enfin je pouvais pas vraiment lui répondre ça, on ne se connaît pas encore assez, alors je lui ai juste fait mon regard qui tue : on plisse les paupières au maximum en prenant un air méchant et vindicatif, ça fait peuuur, brrr !

Et puis on est entrés dans le vif du sujet. Plein de consignes aussi bizarres qu'étranges : on ne doit pas dire "Bonjour !" quand un client se présente, mais "Bonjour monsieur !" (ou madame, si c'est une femme), c'est plus poli. Euh oui monsieur le directeur, mais c'est pas naturel et c'est idiot, non vous trouvez pas ? Non il trouvait pas, alors je me suis tu.

Par contre, quand il nous a dit qu'il voulait qu'on regarde le nom des clients sur les cartes bleues pour leur dire "Au revoir monsieur Dupont !", je me suis lancé, et j'ai (vainement) tenté de faire valoir mon point de vue.

- Ah non je suis désolé mais ça me choquerait qu'on m'appelle par mon nom de famille quand je fais mes courses. - Oui bah faites-le quand même, les clients aiment. - Euh non au contraire, je suis pas sûr qu'ils apprécient qu'on observe leur carte bleue comme ça. - Les magasins de luxe appellent les clients par leur nom, alors on le fait. - Ouais mais on n'est pas un magasin de luxe, on vend des vibros cachés dans des livres, vous savez ? - Je veux qu'on appelle les clients par leur nom. - M'en fous j'le ferai pas d'abord.

J'ai gagné, il a fini par s'en aller -enfin ça c'est dans ma tête, en vrai il est parti déjeuner, mais j'aime me dire que c'est ma force de persuasion hors du commun qui l'a poussé hors de la pièce, pour le renvoyer dans l'enfer directorial dont il n'aurait jamais dû s'évader.

La réunion a pu continuer comme sur des roulettes, maintenant que l'autre crétin avec ses mains molles n'était plus là pour nous embêter. Mais ils m'ont obligé à me remettre en question, ces salauds, je commence à me demander si je suis autant fait pour ce job que je le pensais (et ça serait dommage, un boulot aussi épanouissant).

Ils nous ont posé une question innocente : quel est l'aspect le plus rigolo et sympathique du métier ? Dans ma tête, je réfléchissais. Qu'est-ce que je trouve amusant dans mon travail ? Hmmm, toucher l'argent ? Jouer avec l'argent ? Compter l'argent ? Quand même pas renifler l'argent, ça serait bizarre ?

Non, c'est "le contact avec la clientèle" qu'il fallait répondre. Ah. Ca.

Behind closed doors

Un peu de géographie Happy Timienne, pour bien comprendre ce qui va suivre.En ce moment, je navigue entre quatre postes, à quatre étages différents. À l'étage tout en bas, dans les bas-fonds du magasin, ma petite pièce à moi où je bosse est adjacente au bureau des chefs. Tellement adjacente que je suis obligé de traverser ledit bureau pour aller bosser, c'est la seule porte d'entrée. Bon, je fais un schéma, parce que vous êtes tous des buses et vous n'y comprenez rien (comment ça j'ai trop de temps libre à Happy Time ?) :

Ensuite, on est censés être indépendants : je vis ma vie avec les clients qui arrivent face à moi, pendant qu'en arrière-plan, ils passent leur journée à refaire les plannings et manger du chocolat (si si, c'est ça être chef). Ca, c'est sur le papier, parce que dans la réalité les choses sont un peu différentes.

Déjà, quand je bosse là, j'aime bien laisser la porte de communication ouverte, parce que je suis tellement bien caché qu'aucun client ne me trouve ou presque, alors c'est un peu moins triste de les entendre s'amuser à côté pendant que je meurs d'ennui. Et puis c'est facile de faire passer la journée plus vite, il suffit d'avoir toujours un bouquin avec soi.

Mais l'autre jour, alors que j'étais en train de lire la suite et fin des aventures de Lyra, Barbamama -une de mes chefs- est passée devant la porte, s'est arrêtée pour me dire bonjour (elle est gentille Barbamama), et a fait les gros yeux en voyant ce que je faisais (de la lecture, donc). Elle m'a expliqué que je peux lire tant que je veux, personnellement elle s'en bat les trompes, mais vu mon emplacement stratégique, ça serait bien d'éviter, il y a des chefaillons moins gentils qui risquent de me tomber dessus. En plus en ce moment ils ont plein de réunions avec la nouvelle direction (ouais, on vient de changer de direction, on n'a peur de rien), et un des points abordés systématiquement c'est la lecture des chargés d'accueil : il faut pas. J'essaye de ne pas le prendre pour moi, mais là, avec mon bouquin sur les genoux, c'est pas facile.

Alors quand elle est passée une deuxième fois et que j'étais encore en train de lire, elle a pris les mesures qui s'imposaient : elle a fermé la porte, pour que je puisse continuer mon bouquin sans risques d'être dérangé. Gnin hin hin hin ! Sauf qu'en fermant cette porte, elle m'a fait basculer dans ce monde merveilleux où ma vie est écrite par un mauvais scénariste de sitcom.

D'un côté, je suis bien triste d'être coupé de toute l'animation du bureau, mais de l'autre, il y a quand même des avantages à être indépendant ! Je peux par exemple m'adonner à mon activité préférée de quand je suis tout seul au boulot : me coincer un stylo entre le nez et la lèvre supérieure pour me faire une moustache. Trooop fort !

Évidemment, ce genre de jeu c'est drôle cinq minutes, pas plus, et le troisième tome de la Croisée des Mondes est vraiment super chiant, alors il a vite fallu trouver autre chose à faire. Tiens, si je fouillais dans les tiroirs ?

Ah trop fort, y'a une collègue qui a oublié son catalogue de vacances, je vais le feuilleter ! Hop, je le pose sur le bureau, et je me plonge dedans, en faisant tourner la chaise sur elle-même, un peu comme un rocking-chair horizontal, et c'est mieux, parce qu'un rocking-chair normal ça file la gerbe.

Alors que je finissais mon tour de chaise en feuilletant la Grèce, limite à faire des fils avec mon chewing-gum en tirant dessus, je remarque que quelqu'un s'avance dans la partie clients. Je lève les yeux.

C'était le sous-directeur.

Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, il était accompagné d'une quinzaine d'autres personnes. Bordel on se redresse et on fait glisser le catalogue dans la corbeille à mes pieds, vite !

Et ils ne passaient pas juste comme ça, nooon, ça aurait été trop beau que le Big Boss me prenne la main dans le sac pendant sa promenade digestive -oui bon c'est sûr, j'étais pas en train de piquer dans la caisse, mais l'interdiction de lecture venant de lui directement, je doute qu'il le prenne très bien. Une fois que tout le monde a été arrivé, je les ai vus se déployer en face de moi, au ralenti comme dans un film, et ils se sont mis à me regarder. Eh ?

Ils venaient pour analyser la disposition des postes de travail, et voir quelles modifications on pourrait y apporter, alors ils sont bien restés dix minutes à m'observer sous toutes les coutures, comme une bête curieuse. J'adore, j'étais super à l'aise, avec tous ces yeux fixés sur mon absence de travail.

Y'en avait même un qui prenait des notes, et un autre qui me posait des questions pour savoir ce qu'à mon avis on pourrait faire pour améliorer notre qualité de vie. Euuuh... Ben au point où on en est, une télé ?

Dans ma boîte

Aujourd'hui, en revenant de courses, j'ai pris mon courrier.The End.

Non, je rigole, ha ha, sacré déconneur ce David, hein !

Donc, j'ai pris mon courrier, et je me suis dirigé d'un pas décidé vers l'ascenseur. Ô surprise, un voisin que je ne connais pas me le gardait bien au chaud. Vite vite, j'arrive, merci monsieur !

Je n'ai pas bien vu en rentrant, mais il m'a semblé qu'il est plutôt mignon. C'est là que mon éducation Breevandekampienne est venue tout flinguer. En petit garçon modèle (genre), on m'a bien appris que c'était maaal de montrer du doigt, et aussi de fixer les gens, donc je n'ai pas tellement pu le dévisager pour vérifier.

Alors il a bien fallu se donner une contenance, surtout que si je le regarde une deuxième fois, je risque de me rendre compte qu'en fait il est moche, ou pire, quelconque, et ma vie sera foutue et je n'aurai plus qu'à arracher les fils électriques de mon lustre pour me pendre avec.

Bien évidemment, j'habite au troisième, alors tout ça s'est passé super vite. J'ai donc réagi à l'instinct. Comment faire pour avoir l'air à l'aise et distant donc désirable, face au voisin potentiellement mignon ?

Je sais, je vais ouvrir mon courrier ! Alors ça c'est le catalogue Carrefour, ça s'ouvre pas, ça c'est un prospectus, ça c'est les DVD de la Bande à Picsou que j'avais commandés, je vais éviter, y'a quand même mieux pour faire bonne impression... Je vais ouvrir cette mystérieuse enveloppe kraft à l'allure officielle, en plus je me demande ce que ça peut bien être, ho ho ho, quel suspense dans ma vie de tous les jours !

D'un geste vif et énergique, j'utilise ma clef comme ouvre-lettres. Je crois que j'aurais difficilement pu être mieux inspiré.

C'était le catalogue IEM.

Money Money Money

Aujourd'hui on va bien rigoler, je vais vous parler de mon salaire, "Oh nooon David, pas l'argent, c'est sale, s'il te plaît !". Eh bien si.Tout d'abord il faut savoir qu'au bout d'un an et demi dans la boîte, je n'ai toujours pas réussi à lire ma fiche de paie. C'est vrai quoi, c'est compliqué, y'a plein de chiffres, et des colonnes, et des machins, du coup je regarde toujours le total et c'est tout, sans savoir combien je suis payé de l'heure ni rien. De toute façon je suis sûrement plus heureux en n'en sachant pas trop. Et quand je discute avec les collègues, apparemment je suis pas le seul à ne rien comprendre à leurs calculs (ou alors, ils essayent juste d'être gentils et me disent qu'eux non plus n'y captent rien juste pour ne pas me vexer, c'est possible aussi).

La seule personne à avoir à peu près essayé de m'expliquer comment ça fonctionne, c'est Girafa, ma grande chef, quand j'étais allé la voir pour demander ma promotion. Elle avait passé vingt minutes à essayer de me dissuader de vouloir ce nouveau poste. Sans succès, tout ce qu'elle me disait ça avait l'air super fun :

- Et tu seras confronté à plein de connards clients très énervés, tu es un peu le défouloir de bout de course... - Bring it on, bitch ! :D

Résignée, elle avait fini par me parler des avantages : "bon, et il y a aussi la question du salaire...". Je savais bien avant d'aller la voir que c'était payé un peu plus. Mais je voulais pas passer pour une pute vénale, alors j'ai fait mon fayot à mort. J'ai avancé la main pour l'arrêter, et j'ai lancé ce qui va sûrement rester dans les annales des grands moments de Procellus :

- Oh non mais tu sais, c'est pas pour l'argent !

Le tout accompagné d'un petit sourire timide mais complice. La grosse honte, quoi. Elle a quand même continué à m'expliquer.

Notre salaire Happy Timien est divisé en deux parties. On a le fixe d'un côté, qui ne bouge pas (d'où son nom), auquel on additionne la prime de magasin, qui elle varie en fonction du chiffre d'affaire (donc ceux qui savent où je bosse, viendez un peu plus dépenser votre argent chez nous, Dieu me le rendra bien). Et là, avec le nouveau job, pour continuer de m'enculer mais pas trop, on augmente mon fixe (c'est bien), et on baisse ma prime de magasin (c'est moins bien). Rien ne se perd, rien ne se crée. Girafa m'a expliqué à quel point ça allait changer mon train de vie : pour un temps plein, ça fait à peu près une différence de cinquante euros brut par mois. ... Ok, je suis à temps partiel (par fainéantise, oui et alors ?), donc c'est vraiment pas pour l'argent.

Et hier, j'ai reçu mon premier nouveau salaire, youhouhouuu ! C'est là que ça devient rigolo.

Parce qu'avec mon nombre d'heures, quand on me baisse la prime de magasin et qu'on m'augmente le fixe, je gagne moins qu'avant. Heureusement que c'est pas pour l'argent, sinon j'aurais été un peu déçu.

Les mystères du monde : l'ostréovorogénèse

Bienvenue à toi ami lecteur ! Ce soir, pour célébrer le nouveau tournant de ce blog, qui à partir de dorénavant devient éducatif et donc utile, je te propose de te pencher (petit coquin) sur un sujet passionnant, ouais ! Nous allons en effet étudier l'un des plus grands mystères de tous les temps, j'ai nommé l'huître. Non parce que c'est vrai, après tout, qu'est-ce qu'on sait de l'huître, à part le fait que c'est dégueulasse et que ça ressemble à un gros mollard ? Pas grand chose, et même wikipedia ne peut pas répondre à la question cruciale, qui aujourd'hui nous taraude : d'où vient cette curieuse idée de manger des huîtres ?

Eh bien, sois rassuré, ami lecteur, grâce à mes recherches sur le sujet, tu n'auras plus à te retourner des heures dans ton lit, incapable de trouver le sommeil, à cause de cette question qui finissait par te rendre fou : qui, putain, qui a eu l'idée de bouffer ça ?!

Tout a commencé il y a bien longtemps, avant la naissance de Jésus Christ notre sauveur. Sur les côtes d'Armorique, Guéric Ker-Elouan, ignorant tout du rôle qu'il allait jouer dans la gastronomie (ahem) mondiale, se sentait tout tristoune. C'était les fêtes de fin d'année, et il allait encore se retrouver tout seul : sous prétexte qu'il était différent, personne ne voulait entendre parler de lui, et encore moins l'inviter à fêter des trucs, comme son anniversaire ou l'équinoxe de Printemps (à l'époque, l'année commençait et finissait un peu plus tard). Parce que Guéric n'était pas comme les autres Celtes, qui plus tard deviendraient nos fiers Bretons : il avait du goût. Il savait que le beurre ne se mange pas salé, que le kig-ha-farz c'est franchement dégueu, non mais sérieusement, un ragoût de lard ?, et que 6% ça ne suffit pas à faire passer le cidre pour de l'alcool. Alors, les autres salauds du village le prenaient de haut, peuh, et Guéric était malheureux comme les pierres.

Et un beau jour -enfin, aussi beau que puisse être un jour en Bretagne-, alors qu'il déclamait son mal-être face à l'océan dans des grands vers très mylènefarmeriens, en faisant rimer "sang" avec "maman", ou "mort" avec "encore", plein de trucs comme ça, trop naze le mec, genre il se prend pour un poète, quelque chose par terre attira son regard : un petit caillou plutôt plat, mais pas complètement, un peu comme une coquille de mollusque, mais en très vilain. Tiens ? Saperlipopette, mais qu'est-ce donc, se dit-il en se grattant la tête d'un air stupéfait ? Comme il n'avait pas d'amis, et pas de vie non plus (plusieurs siècles plus tard, il aurait fait un excellent geek), il décida de rapporter sa trouvaille à sa hutte.

En plus du goût, Guéric se distinguait de ses congénères par une intelligence hors du commun. Et en voyant cette caillasse moche, il sentait, non, il savait qu'à l'intérieur il allait trouver quelque chose de formidable, qui allait changer le monde à jamais, parce qu'on ne pouvait créer une coquille aussi repoussante que pour cacher le plus grand trésor de la Terre !

Il passa des jours et des nuits à s'écorcher les mains dessus, sans comprendre le message que l'Océan avait essayé de faire passer en scellant l'huître (car c'est bien d'elle dont il s'agissait, tu l'auras compris ami lecteur) à l'araldite : quand un truc est fermé comme ça, nul n'est censé l'ouvrir. C'est pendant qu'il égorgeait un porc avec son glaive, comme le faisait toute la Bretagne à cette époque (et d'ailleurs, encore aujourd'hui, je suis sûr que dans certains coins reculés...), que l'idée lui vint : bon sang (c'est le cas de le dire), mais puisque ça ouvre une gorge comme un rien, si ça s'trouve, ça marchera aussi pour le Précieux ! En effet, avec un outil, la tâche fût quand même grandement facilitée. Il découvrit alors ce que personne n'aurait jamais dû découvrir, l'enfant honteux des océans, si bien camouflé depuis la nuit des temps : l'huître.

En voyant cette chose molle et grisâtre et puante, Guéric se dit qu'il l'avait laissée trop longtemps hors de l'eau, et que son trésor avait tourné. L'aspect de vieille morve et l'odeur qui s'en dégageaient auraient dû éloigner le pire des charognards, aussi, les dieux se désintéressèrent de la suite des évènements. Ils croyaient l'humanité hors de danger. Ils n'avaient pas imaginé que Guéric puisse être aussi têtu. Après avoir jeté sa vieille huître pourrite au feu purificateur, il partit en chercher une autre, pour voir comment c'était dedans quand c'est frais. Cette fois-ci, il pensa même à prendre son glaive, parce que ça avait quand même été 'achement plus simple à ouvrir comme ça.

Surprise, la seconde huître, fraîche comme la première neige, avait la même gueule de travers, elle sentait juste un peu moins fort que l'autre. Tudieu mais c'est quoi ça, se demanda Guéric ? Il l'asticota un peu avec le bout de son glaive, poc, poc, se demandant si c'était vivant, mort, une plante, une bête, une déjection, une blague ? Il finit par comprendre que non, c'était pas une blague, et que vivant ou mort, il venait de découvrir la matière la plus dégueulasse du monde.

Et probablement le meilleur moyen de se venger de ces cons de planteurs de dolmens.

Il en passa du temps, sans dormir ni manger, à peaufiner son plan, des heures durant ! Mais ses efforts finirent par payer puisqu'il mit au point ce petit bijou de perfection stratégique, à faire pâlir d'envie Napoléon.

Profitant d'un instant d'inattention, pendant que tout le village était en train de se murger la gueule au chouchenn, il vira toutes les crêpes au sarrasin de la table du buffet de la fête de la Nouvelle et Belle Année, et les remplaça par plein plein plein de douzaines d'huîtres. Ah, ces salauds se foutent de ma gueule quand je leur dis que le beurre doux c'est meilleur sur les tartines ? Rira bien qui rira le dernier, bande de ploucs, on va voir vos gueules quand vous allez vous retrouver à manger du glaviot ! Et comme la vengeance, il décida de leur servir crues et froides. Parce que c'est encore pire de les manger vivantes. Mouahaha !

Mais Guéric sous-estimait tellement le mauvais goût des siens !

Quand on mange du gros intestin de porc entassé dans un boyau de boeuf en ayant fait cuire le tout dans un bouillon parfumé au foin, on n'est pas rebuté par un étalage de corps visqueux sur la table du banquet de Pleine Lune. Au contraire. Les Bretons furent heureux et soulagés de manger autre chose que leurs sempiternels plats lourds, et décidèrent que c'était bon (même si ça serait peut-être une bonne idée de cacher le goût de marée avec par exemple un filet de citron), à un tel point qu'ils décidèrent que ce mets délicat envoyé par les dieux serait à partir de ce jour leur tradition de nouvelle année.

Ne trouvant décidément pas chaussure à son pied, parce que les bigoudènes ça va bien cinq minutes, Guéric finit par se reproduire par mitose. Et jusqu'au jour de sa mort (après une longue vie sans sexe, donc), lui et sa descendance perpétuèrent leur petite coutume : se moquer tous les ans de ces crétins qui se régalent en gobant ce qui, à ce jour, se rapproche quand même plus du mollard que du fruit de mer. Au fil des siècles, les descendants de Guéric et de ses concitoyens se sont dispersés à travers le monde, trop heureux de quitter leur bout de terre fouetté par l'océan et les orages et les marées noires etc. Mais l'héritage culturel est plus fort que tout, et les deux traditions entrelacées se sont transmises, et nous sont parvenues intactes : tous les ans à Noël, les barbares mangent des huîtres pendant que ceux qui ont une cervelle se moquent d'eux.

Et voilà, ami lecteur, tu sais maintenant pourquoi certains dégénérés (dont tu fais peut-être partie, il n'y a pas de honte à avoir) mangent cet étrange mollusque à Noël ! T'es impressionné, hein ? Allez pour la peine, si tu es sage, un jour je te raconterai peut-être l'histoire du premier homme qui a eu l'idée d'éventrer un mouton pour lui arracher les boyaux et les tendre sur un morceau de bois pour en faire une raquette.

Vis ma vie de Sophie Marceau

Maintenant que je suis un homme, et que j'ai entamé ma lente ascension jusqu'au sommet d'Happy Time, que je ne suis plus ce simple grouillot au service de tous et supérieur à aucun, j'ai décidé de renouveler ma garde-robe. Finis les vieux ticheurtes moches, je vais essayer d'avoir l'air un peu plus sérieux, alors de temps en temps, je vais porter une chemise, tenue d'adulte s'il en est !J'en avais déjà une très jolie, qui faisait habillé sans faire pingouin, avec des couleurs mais rien de trop criard, bref, parfaite pour ce que je voulais faire : avoir l'air adulte mais pas trop. Le problème, c'est que suite à un malencontreux accident de lavage, maintenant elle est toujours jolie en bas, mais la moitié supérieure est complètement décolorée, alors forcément, ça le fait beaucoup moins.

Pas grave, direction Gap (le magasin, pas la ville), ils devraient bien avoir quelque chose de mettable ! Presque immédiatement, en rentrant dans la boutique, nos regards se sont croisés. À l'autre bout de la pièce, elle était là, étendue lascivement sur un présentoir : la chemise de mes rêves.

D'une blancheur immaculée, toute de lin tissée, une merveille. Parce que oui, j'aime beaucoup les chemises en lin, je sais pas pourquoi, mais je trouve que ça fait pirate sensuel. Alors forcément, c'est un peu mon rêve d'aller bosser habillé en pirate sensuel. Un rapide coup d'oeil au prix, ah ouais, quand même ? Mais... elle a été tissée à la main par une princesse Perse ou quoi, pour coûter autant ? Pas grave, de toute façon elle est jolie, et elle est toute douce, on dirait des fesses de bébé (vérifions quand même la composition ?), j'achète !

Longtemps je l'ai gardée dans le dressing, sans oser la porter. Et un jour je me suis décidé. Délicatement, je l'enlève de son cintre, et je la mets. La salope. Je passe tellement de temps à l'enfiler (la salope, bis repetita placent), à me dire qu'elle est douce et gna gna gna que je finis par me mettre en retard.

J'arrive à l'heure mais essoufflé à Happy Time, tout heureux dans ma nouvelle tenue. Et je me dis que j'ai eu raison de la mettre, parce que tout le monde est très gentil avec moi, tous les vendeurs qui travaillent dans les parages viennent me papillonner autour, ça fait une heure que je suis là et j'ai déjà eu deux propositions de mariage, dis donc c'est chouette d'avoir autant de succès !

Au bout d'un moment, j'ai eu envie de pipi. Je suis allé aux toilettes, j'ai fait ma petite affaire et je me suis lavé les mains. Ce faisant, j'ai levé les yeux vers la glace au-dessus du lavabo. Là, j'ai compris le pourquoi de mon succès du jour.

Certes, ma chemise est très jolie. Mais elle est aussi excessivement transparente. J'ai donc passé la journée à montrer mes tétons à tout le magasin.

L'amant de Lady Chatterley

En ce moment à Happy Time, on fait des travaux. D'ailleurs, tous les employés le disent, même ceux qui sont entrés dans la boîte il y a dix ans : "depuis que je suis arrivé c'est en travaux".Et c'est vrai, petit bout d'étage par petit bout d'étage, ils rénovent, jusqu'au moment où ils auront fini et ça aura pris tellement longtemps qu'il faudra recommencer du début, c'est l'histoire de la vie.

Hier, on rénovait le petit bout d'étage en face de mon poste. Je m'étais emporté de la lecture, parce qu'il n'y a jamais personne le mercredi soir, et si j'ai l'air de m'ennuyer les chefs vont encore me donner des trucs à faire.

J'avais à peine entamé le tome 2 de La Croisée des Mondes quand j'ai remarqué un mouvement juste devant moi. Vite j'ai rangé le bouquin, j'ai enlevé les pieds du bureau et j'ai planqué ma clope et ma bière, un client, ayons l'air disponible ! Ca n'était pas un client. C'était L'Ouvrier, en train de faire des trucs au mur à côté de moi.

Une toute petite vingtaine d'années, une casquette sexy (et pourtant, c'est pas donné à tout le monde de rendre une casquette sexy !), un joli nez tout mignon, une barbe de trois jours pour pas faire trop gamin, parce que bon, ouvrier c'est un métier d'homme, y'a que dans le porno gay où on veut nous faire croire que des minets prépubères construisent des immeubles. Il avait eu la bonne idée de mettre plein de trucs dans ses poches (son mètre, un niveau, une enclume, un congélateur...), du coup son pantalon arrêtait pas de tomber, et on voyait son boxer qui dépassait, gnihihihi.

Évidemment, il avait quelque chose qui le grattait sous son ticheurte, alors il passait souvent la main dessous pour se soulager, et à chaque fois ça soulevait du tissu, et à chaque fois comme par hasard, ça montrait un peu de son ventre, plat comme une patinoire, avec plein de jolis muscles dessinés dessus, awouaaah... Même ses bras étaient tous musclés, mais pas du vilain muscle de gym queen bleargh, non, du joli muscle de travailleur manuel, noueux et naturel.

Bref le fantasme idéal, ni trop viril ni trop fiotte, même pas trop cliché, juste parfait.

Même qu'il montait sur un escabeau juste sous mon nez, pour faire plein de trucs en haut du mur. J'ai passé je sais pas combien de temps à mater, à me décaler dès qu'un client arrivait pour pas qu'il me bloque la vue. Je sentais bien les litres de bave couler de ma bouche pour me détremper les genoux, mais c'est pas ma faute, il était trop beau !

À un moment, il s'est rendu compte que mon poste allait le gêner pour prendre ses mesures. Il a bien essayé de tendre les bras au maximum, mais il a dû se rendre à l'évidence : c'était pas pratique du tout. Comme dans un film, au ralenti, nos regards (ivres de désir) se sont croisés. Et j'ai compris que mes fantasmes les plus fous allaient enfin se réaliser, il allait avoir besoin de moi, and then at the end they fuck. Il a fait une dernière tentative, essuyé un nouvel échec. Alors il m'a demandé, tout sourire :

- Dis saurais-tû atteindreuh c'muuur une fois ?

Patatras. L'accent belge. Je n'ai rien contre nos amis d'outre-Meuse, ils sont tellement gentils qu'on leur pardonne Amélie Nothomb ou Natacha Amal, j'adore la Belgique (c'est vrai !), woohooo le Manneken-Pis et les frites, je les remercie même de nous avoir fait parvenir Peyo et les Leonidas, mais bon faut bien reconnaître qu'avec les Picards, ils se partagent le prix de l'accent le plus tue-l'amour du monde, si si je vous assure.

D'ailleurs à la fin de la soirée, j'étais arrivé à la page 100 de mon bouquin.

L'effet papillon

Il paraît que j'écris mal. Moi, je n'en crois rien.De toute façon, même si c'est vrai (et je ne dis pas que ça l'est !), c'est la faute de mon grand-père, qui un jour a déclenché une réaction en chaîne aux conséquences désastreuses. Ca date de quand j'étais petit. J'allais dormir tous les mardis soirs chez mes grands-parents, pour une raison qui avec le recul m'échappe totalement. C'était chouette, Pépéprocellus venait me chercher chez ma mère, on prenait le bus jusqu'à Porte Maillot, où on s'arrêtait un moment pour taper la discute avec les putes, parce qu'un bon réseau social, ça se travaille très jeune. Et ensuite, on prenait le métro jusqu'à chez eux.

C'est que tout s'est joué. Impatient d'avoir le petit-fils le plus brillant de tout l'univers, du monde et de la galaxie, mon grand-père s'était mis en tête de m'apprendre à lire avant l'âge règlementaire, en me faisant décrypter le nom des stations. Les premiers mots que j'ai su lire ont donc été "Argentine", "Les Sablons", "Sully-Morland" (oui, on finissait sur la ligne 7)... Des trucs relativement faciles à réutiliser dans la vie de tous les jours, c'est vrai. Ca a été long et dur, mais le jour où j'ai réussi à déchiffrer correctement "Franklin Delano Roosevelt", Pépéprocellus a déclaré que ma formation était terminée, et qu'il était trop balèze de m'avoir appris tout seul comme ça (mon exploit à moi, on s'en foutait un peu du coup, salauds d'adultes).

Je suis arrivé en CP tout fier de mon savoir, même que j'avais plein de copains dans la classe que j'impressionnais trop, ouaiche, vous voyez les mecs, dans cette case Babar il dit "Bonjour". Alors on m'a fait partir directement en CE1, comme je savais déjà lire ça servait à rien que je reste là à perdre mon temps avec ces têtes de cons qui voulaient me retenir avec eux dans la fange. Je me suis donc retrouvé dans une classe du 93 où tout le monde faisait une tête de plus que moi, à devoir faire des devoirs, alors qu'avant, en CP, quand je rentrais je pouvais me coller devant la télé et regarder Flipper le dauphin et profiter de mon insouciante jeunesse. Heureusement, un mois après mon changement de classe, la maîtresse s'est mise en grève, pour protester contre plein de trucs, Mitterrand salaud, le peuple aura ta peau, tout ça tout ça, et on ne l'a plus jamais revue. Je n'ai plus jamais eu d'année scolaire aussi courte...

Ensuite, ma mère a déménagé vers une banlieue moins trash, les Hauts de Seine, c'est quand même plus glamour. Et je me suis retrouvé en CE2 avec une maîtresse un peu vieille France, qui nous forçait à écrire au stylo plume et nous donnait des coups de règle sur les doigts quand on osait moufter, aïeuh.

En bon gaucher, je passais mes journées à consciencieusement étaler l'encre sur mes feuilles au fur et à mesure que j'écrivais. C'était laid. J'avais des vieilles notes à cause des gros pâtés que je faisais. Et mes effroyables malheurs écritoires ne s'arrêtaient pas là, que nenni ! J'ai passé je sais pas combien de samedis à faire des lignes, parce que soi-disant que j'écrivais comme un sagouin, que mes lettres ne ressemblaient à rien, que je méritais le bûcher pour oser faire des trucs aussi moches et appeler ça de l'écriture. Mais c'était pas ma faute ! On m'a privé de cours d'écriture en CP et en CE1, à cause de mon grand-pèreuh d'abord madame ! :(

Elle a insisté, m'a travaillé au corps pour que je fasse des lettres bien rondes comme elle voulait, avec des boucles sur les L, des pleins et des déliés sur les majuscules, mais moi j'avais bien compris qu'elle voulait juste briser mon esprit, me retirer ma personnalité en m'empêchant de faire comme je le sentais. Ses efforts ont été vains. Jamais je n'ai cédé à son odieuse dictature ! ¡ Viva la revolución !

Pour se venger, elle avait dû mettre un mot dans mon dossier scolaire, pour dire à tous mes futurs profs de me reprocher mon écriture. Ca n'a jamais raté. Jusqu'à ma dernière année de fac, sur toutes mes copies, j'ai eu droit à du "soignez l'écriture". Moi je dis, allez tous vous faire foutre. J'écris bien. La preuve, c'est que j'arrive à me relire.

Enfin, en général. Parce que le domino que mon grand-père -relayé par l'école primaire, n'ayons pas peur de montrer les coupables du doigt- a poussé en me forçant à apprendre à lire alors que mon heure n'était pas encore venue, me privant ainsi de cours préparatoires et élémentaires, n'en finit pas de faire tomber les suivants. L'autre soir, à cause de sa petite lubie, je me suis retrouvé devant un interphone, incapable de relire le code que j'avais griffonné à la va-vite en partant de chez moi.

Ca n'arrive pas qu'à la télé

Et merde. Là, sur le quai du métro, un ancien plan cul Happy Timien que j'évite consciencieusement, maintenant qu'on a consommé, parce que tout ce qu'il me veut, c'est remettre le couvert (et je le comprends). Je dis pas que ça n'avait rien d'agréable, mais bon ça va aller, on a joué à touche-pipi une fois, on va passer à autre chose maintenant garçon, ok ? Le magasin est assez grand pour que j'arrive à ne pas le croiser souvent, mais là sur le quai, c'est déjà plus délicat. Surtout que je l'ai regardé, il m'a regardé, c'est difficile de faire genre "ah bah je t'avais vu, je me suis pas arrêté !". Alors je pourrais le laisser en tête de train et poursuivre mon petit bonhomme de chemin jusqu'au bout de la station, mais vu qu'on va prendre le même métro et que maintenant sur la ligne 1 il n'y a plus qu'un seul grand wagon, je repère immédiatement la faille dans mon plan.

Alors je prends le taureau par les cornes. Plop, plop, j'enlève les écouteurs, et je vais lui dire bonjour :

- Ah David salut ça faisait longtemps, ça va ! (Oui parce que ça n'est pas une question, il m'informe que je vais bien. On est comme ça à Happy Time, tellement soucieux du bien-être d'autrui qu'on ne se laisse pas le choix, par défaut, ça va)

- Salut, ouais ouais, (pas assez longtemps, si on me demande mon avis, mais) ça va.

- Ah tiens ? Qu'est-ce que t'as fait à tes cheveux ?

- ??? Euh, bah rien euh d'abord pourquoi ?

- Ah... C'est peut-être ça alors... Faut que tu les coupes non ? Ou que tu mettes du gel ou quelque chose, au moins ?

- ...

- ...

- Je vais y aller je crois. Oui, c'est ça. Je vais te trancher la carotide d'un coup de dents, et je vais y aller.

Alors pour la suite, n'oubliez pas : les plans cul du travail, c'est des gens comme les autres, avec leur sensibilité et tout, donc il faut les traiter avec respect, parce que sinon ils vous diront plein de choses pas gentilles (et presque pas forcément vraies) sur votre coupe de cheveux, pour se venger, si si.

Ma vie en main : jour 1

Aujourd'hui, comme l'année dernière (et comme l'année d'avant, je suis un homme qui aime les traditions), je passais un concours administratif. Et comme l'année dernière, c'était le CAPES d'Anglais, parce qu'I have in ze bilouque, quand même.Et à la différence des autres fois, aujourd'hui j'y suis allé. Yay me ! (Oui moi !, pour nos amis non bilingues)

J'y allais surtout par curiosité, parce que la malédiction qui pèse sur mes frêles épaules est bien douloureuse : que je l'aie ou que je le foire, ma vie sera foutue et je n'aurai plus qu'à m'acheter un koala et un fusil, faire un carton dans la rue et m'enfuir au Pérou pour tenter de repartir de zéro. Oui je sais, ça paraît un peu complexe comme plan, mais c'est dire à quel point je suis désespéré.

Surtout que là, ça serait bien le diable que je l'aie, ce putain d'exam de sa mère la pute. Aujourd'hui c'était l'épreuve de civi, et déjà à la fac j'étais une grosse merde en civi. Je m'entendais bien avec la prof, on passait tous les cours à se vanner mutuellement, mais c'est pas pour ça qu'elle me mettait des bonnes notes, apparemment elle attendait surtout que je lui parle de son cours. Pov' fille, va.

Et aujourd'hui, ça m'a pas l'air tellement mieux parti : on a eu un texte sur la dévolution à analyser, et moi la dévolution, à part le fait que ça prend un accent en français et pas en anglais, j'ai pas grand chose à en dire. En plus c'est pas facile de se concentrer pour faire la paraphrase trop discrète de la mort qui tue qui passera pour des vraies connaissances, parce qu'en anglais il y a 90% de filles et 10% de pédés, et une salle d'examen pleine de filles à petites vessies, ça passe son temps à se lever pour aller faire un petit pipi et remplir sa bouteille pour boire et re-avoir envie de pisser, et c'est chiaaant !

Mais bon on s'en fout, je suis juste là pour voir comment c'est, et pour pouvoir dire "j'y étais". Mon seul problème c'est qu'il faut tenir 2h30 avant d'avoir le droit de sortir, et ce que j'ai à dire peut se synthétiser en une petite dizaine de minutes.

C'est pour ça qu'au bout d'un moment j'ai craqué. Tel le couguar bondissant sur sa proie, souple, félin et mortel, j'ai sauté sur l'opportunité que les gens de la maison des examens m'avaient fournie. Profitant du petit miyon de feuilles de brouillon mis à notre disposition (pour fabriquer des profs, on s'en moque pas mal de la déforestation, bande de salauds), j'ai complètement lâché cette affaire si chiante d'Edward Heath et de dévolution bla bla bla, et je me suis servi du brouillon pour écrire ce post. :mrgreen:

En plus c'est cool, parce que ça me permet d'écrire plein de choses très vite, alors ça me donne un air de savant, cool, ils vont tous être dégoûtés et laisser tomber et je l'aurai par défaut. C'est donc ainsi que vous profitez en différé de mes impressions en direct, j'espère que vous êtes impressionnés, bande de moules.

Rions un peu avec les handicapés (et non pas d'eux, parce que ça serait mal)

L'autre jour à Happy Time, un vendeur est arrivé avec un client aveugle malvoyant aux capacités visuelles diminuées, en me demandant d'appeler quelqu'un pour l'aider à faire ses p'tites courses.Facile. Je sais très z'exactement ce qu'il faut faire.

Je prends mon téléphone, et je compose de mes petits doigts agiles le numéro du service clientèle, vous inquiétez pas, je les appelle tout de suite. Ca sonne là monsieur, ils vont pas tarder à décrocher. D'un instant à l'autre. Ca sonne toujours, hein. Ils vont me répondre. Vous bougez pas, surtout.

Au bout d'un quart d'heure, j'ai essayé leur deuxième numéro. Vous inquiétez pas monsieur, vous voyez ce... Oups, pardon. Enfin bon si vous pouviez voir, j'ai à la main un annuaire rempli de numéros pour les joindre !

Au bout du cinquième essai, quelqu'un a enfin décroché. Hourra ! Mais là, j'ai rencontré un nouvel obstacle.

- Oui bonjour, je suis avec un client...

Alors merde, est-ce qu'on peut encore dire "aveugle" en face de la personne, ou est-ce que maintenant ça va être politiquement incorrect, vu qu'on est censés dire "malvoyant", c'est sûrement que "aveugle" ça le fait pas, mais d'un autre côté, est-ce que "malvoyant" ça fait pas un peu faussement condescendant, oh mon Dieu et si j'hésite trop longtemps à dire quelque chose ça va être encore pire, allez David lance-toi !

- ...non-voyant, et il voudrait qu'on l'aide à f...

- Ah d'accord attendez ne quittez pas.

Alors donc monsieur, je les ai eus, et euh, comment dire, ils m'ont mis en attente... D'ailleurs je mets le haut-parleur, qu'on puisse tous profiter de leur musique de patientage tellement irritante. Ca va bien sinon ? Il fait chaud hein pour la saison...

Les dix premières minutes, c'était assez facile de se donner une contenance, de faire semblant de furieusement essayer d'avoir quelqu'un au bout du fil, mais dix minutes, c'est mon grand maximum. Surtout que je ne pouvais pas combler en lui faisant des petits regards désolés, là j'étais en direct à la radio, il fallait maintenir une ambiance sonore en permanence.

Heureusement, lui avait un peu plus l'habitude, et il n'a pas arrêté de parler, jusqu'à ce que le service clientèle se décide à nous envoyer quelqu'un. On a donc eu droit à l'embarrassante discussion sur les origines de sa maladie, et sa désolation en se disant qu'il ne pourra pas avoir d'enfants parce qu'ils risqueraient d'être aveugles eux aussi. C'est toujours très facile de savoir quoi répondre dans ces cas-là. "Oh mais non, ne dites pas que vous avez 95% de chances de faire des p'tits aveugles, focalisez plutôt sur les 5% de chances de ne pas leur refiler votre cécité !" Voilà voilà, l'optimisme selon Procellus...

Mais il n'était pas là pour se confier, non. Lui son truc, c'était de nous raconter des blagues, à Collègue et à moi.

Pour situer, Collègue est une femme que nous qualifierons galamment "d'un certain âge", récemment mutée d'un autre Happy Time de pauvres qui vient de fermer, une histoire terrible et très chiante sur laquelle je n'ai pas demandé de détails, ça va quoi. Et pendant toute la journée, Collègue m'a parlé de comment ça se passait avant dans son autre magasin, "et qu'il fallait qu'on soiye gentils avec le client, malgré qu'ils nous parlaient mal...". Et si vous ne voyez pas l'erreur, vous n'êtes pas digne de ce monument littéraire qu'est mon blog.

Mais le talent de Collègue ne réside pas que dans son utilisation approximative du français, non monsieur ! Elle brillait aussi par ses capacités intellectuelles hors du commun.

La plupart des blagues du client étaient des devinettes, et des classieuses s'il vous plaît :

- Vous connaissez la différence entre un pull-over et une moule ?

Et Collègue est comme tous ces gens un peu simples, pouah les gens simples, elle compense en étant une véritable crème (moi je suis brillant, donc je peux me permettre d'être un salaud).

Alors à chaque devinette, une lueur enfantine venait illuminer son visage, et pour lui montrer que celle-là elle la connaissait pas, elle agitait vigoureusement son sourire béat de gauche à droite. Je n'ai pas eu le cœur de lui expliquer ce qu'être aveugle impliquait.

Post naze de bogossitude qui ne se reproduira pas c'est promis, mais parfois c'est dur de ne pas.

Bon bien sûr on peut se consoler en se disant qu'il n'en a plus que pour quelques mois maximum à être baisable, vu que les jeunes Anglais ne sont sexy que pendant un an ou deux, après, ils se retransforment en Anglais normaux, mais pour l'instant...Ah, mon Dieu, pour l'instant...

(Prince Harry si tu me lis, un formulaire de contact et moi-même sommes à ton entière disposition)

L'appareil sanglant de la destruction

Hier à Happy Time, j'ai fait une petite bêtise. Oh, trois fois rien.

Une toute petite erreur de rien du tout, presque sans conséquences.

Ma légère maladresse a juste bloqué une cliente pendant près de cinq heures dans le magasin, et monopolisé trois services entiers, avant qu'on réussisse à régler le litige.

Bien évidemment, au bout d'un moment la cliente a craqué, et quiconque passait à moins de dix mètres d'elle se retrouvait immédiatement foudroyé sans comprendre ce qui lui arrivait (ah, cette pauvre Cécile qui lui a proposé un thé nous manquera bien...).

Jusqu'au moment où elle s'est effondrée en larmes (enfin j'ai fait pleurer une cliente !).

Ce qui est bien à Happy Time, c'est qu'on a toujours la possibilité d'appeler nos responsables à la rescousse, quand les choses se gâtent.

Ce que j'ai fait assez rapidement, ben oui j'allais pas me laisser faire sans réagir.

Du coup, deux de mes chefs (les deux qui ont tenté de m'aider) ont failli se retrouver avec une plainte au cul, qui finalement se limitera à un blâme. Vu l'état dans lequel elles sont parties le soir, je crois que je vais être responsable de deux vies brisées par l'alcoolisme.

Bien sûr, je n'ai pas pu suivre toute l'affaire, j'ai participé activement au conflit pendant deux heures et demie, avant de réussir à m'extirper des griffes de la cliente. Une fois l'orage calmé et le fauve contenu, je suis vite allé demander à Sachem ce qui allait se passer, maintenant :

- Oh on a plus ou moins réussi à rattraper le coup. Mais bon, t'inquiète pas, t'as rien fait de mal ! Et il n'y aura aucune suite pour toi.

En gros, tout le monde a morflé, sauf moi. :mrgreen:

Bien, bien. Ma mission de destruction se déroule à merveille. Encore deux ou trois fois coups comme celui-là, et je n'aurai plus qu'à dégager leurs carcasses encore chaudes, pour qu'Happy Time soit mien à jamais. Bientôt.