Rions un peu avec les handicapés (et non pas d'eux, parce que ça serait mal)

L'autre jour à Happy Time, un vendeur est arrivé avec un client aveugle malvoyant aux capacités visuelles diminuées, en me demandant d'appeler quelqu'un pour l'aider à faire ses p'tites courses.Facile. Je sais très z'exactement ce qu'il faut faire.

Je prends mon téléphone, et je compose de mes petits doigts agiles le numéro du service clientèle, vous inquiétez pas, je les appelle tout de suite. Ca sonne là monsieur, ils vont pas tarder à décrocher. D'un instant à l'autre. Ca sonne toujours, hein. Ils vont me répondre. Vous bougez pas, surtout.

Au bout d'un quart d'heure, j'ai essayé leur deuxième numéro. Vous inquiétez pas monsieur, vous voyez ce... Oups, pardon. Enfin bon si vous pouviez voir, j'ai à la main un annuaire rempli de numéros pour les joindre !

Au bout du cinquième essai, quelqu'un a enfin décroché. Hourra ! Mais là, j'ai rencontré un nouvel obstacle.

- Oui bonjour, je suis avec un client...

Alors merde, est-ce qu'on peut encore dire "aveugle" en face de la personne, ou est-ce que maintenant ça va être politiquement incorrect, vu qu'on est censés dire "malvoyant", c'est sûrement que "aveugle" ça le fait pas, mais d'un autre côté, est-ce que "malvoyant" ça fait pas un peu faussement condescendant, oh mon Dieu et si j'hésite trop longtemps à dire quelque chose ça va être encore pire, allez David lance-toi !

- ...non-voyant, et il voudrait qu'on l'aide à f...

- Ah d'accord attendez ne quittez pas.

Alors donc monsieur, je les ai eus, et euh, comment dire, ils m'ont mis en attente... D'ailleurs je mets le haut-parleur, qu'on puisse tous profiter de leur musique de patientage tellement irritante. Ca va bien sinon ? Il fait chaud hein pour la saison...

Les dix premières minutes, c'était assez facile de se donner une contenance, de faire semblant de furieusement essayer d'avoir quelqu'un au bout du fil, mais dix minutes, c'est mon grand maximum. Surtout que je ne pouvais pas combler en lui faisant des petits regards désolés, là j'étais en direct à la radio, il fallait maintenir une ambiance sonore en permanence.

Heureusement, lui avait un peu plus l'habitude, et il n'a pas arrêté de parler, jusqu'à ce que le service clientèle se décide à nous envoyer quelqu'un. On a donc eu droit à l'embarrassante discussion sur les origines de sa maladie, et sa désolation en se disant qu'il ne pourra pas avoir d'enfants parce qu'ils risqueraient d'être aveugles eux aussi. C'est toujours très facile de savoir quoi répondre dans ces cas-là. "Oh mais non, ne dites pas que vous avez 95% de chances de faire des p'tits aveugles, focalisez plutôt sur les 5% de chances de ne pas leur refiler votre cécité !" Voilà voilà, l'optimisme selon Procellus...

Mais il n'était pas là pour se confier, non. Lui son truc, c'était de nous raconter des blagues, à Collègue et à moi.

Pour situer, Collègue est une femme que nous qualifierons galamment "d'un certain âge", récemment mutée d'un autre Happy Time de pauvres qui vient de fermer, une histoire terrible et très chiante sur laquelle je n'ai pas demandé de détails, ça va quoi. Et pendant toute la journée, Collègue m'a parlé de comment ça se passait avant dans son autre magasin, "et qu'il fallait qu'on soiye gentils avec le client, malgré qu'ils nous parlaient mal...". Et si vous ne voyez pas l'erreur, vous n'êtes pas digne de ce monument littéraire qu'est mon blog.

Mais le talent de Collègue ne réside pas que dans son utilisation approximative du français, non monsieur ! Elle brillait aussi par ses capacités intellectuelles hors du commun.

La plupart des blagues du client étaient des devinettes, et des classieuses s'il vous plaît :

- Vous connaissez la différence entre un pull-over et une moule ?

Et Collègue est comme tous ces gens un peu simples, pouah les gens simples, elle compense en étant une véritable crème (moi je suis brillant, donc je peux me permettre d'être un salaud).

Alors à chaque devinette, une lueur enfantine venait illuminer son visage, et pour lui montrer que celle-là elle la connaissait pas, elle agitait vigoureusement son sourire béat de gauche à droite. Je n'ai pas eu le cœur de lui expliquer ce qu'être aveugle impliquait.