L'amant de Lady Chatterley

En ce moment à Happy Time, on fait des travaux. D'ailleurs, tous les employés le disent, même ceux qui sont entrés dans la boîte il y a dix ans : "depuis que je suis arrivé c'est en travaux".Et c'est vrai, petit bout d'étage par petit bout d'étage, ils rénovent, jusqu'au moment où ils auront fini et ça aura pris tellement longtemps qu'il faudra recommencer du début, c'est l'histoire de la vie.

Hier, on rénovait le petit bout d'étage en face de mon poste. Je m'étais emporté de la lecture, parce qu'il n'y a jamais personne le mercredi soir, et si j'ai l'air de m'ennuyer les chefs vont encore me donner des trucs à faire.

J'avais à peine entamé le tome 2 de La Croisée des Mondes quand j'ai remarqué un mouvement juste devant moi. Vite j'ai rangé le bouquin, j'ai enlevé les pieds du bureau et j'ai planqué ma clope et ma bière, un client, ayons l'air disponible ! Ca n'était pas un client. C'était L'Ouvrier, en train de faire des trucs au mur à côté de moi.

Une toute petite vingtaine d'années, une casquette sexy (et pourtant, c'est pas donné à tout le monde de rendre une casquette sexy !), un joli nez tout mignon, une barbe de trois jours pour pas faire trop gamin, parce que bon, ouvrier c'est un métier d'homme, y'a que dans le porno gay où on veut nous faire croire que des minets prépubères construisent des immeubles. Il avait eu la bonne idée de mettre plein de trucs dans ses poches (son mètre, un niveau, une enclume, un congélateur...), du coup son pantalon arrêtait pas de tomber, et on voyait son boxer qui dépassait, gnihihihi.

Évidemment, il avait quelque chose qui le grattait sous son ticheurte, alors il passait souvent la main dessous pour se soulager, et à chaque fois ça soulevait du tissu, et à chaque fois comme par hasard, ça montrait un peu de son ventre, plat comme une patinoire, avec plein de jolis muscles dessinés dessus, awouaaah... Même ses bras étaient tous musclés, mais pas du vilain muscle de gym queen bleargh, non, du joli muscle de travailleur manuel, noueux et naturel.

Bref le fantasme idéal, ni trop viril ni trop fiotte, même pas trop cliché, juste parfait.

Même qu'il montait sur un escabeau juste sous mon nez, pour faire plein de trucs en haut du mur. J'ai passé je sais pas combien de temps à mater, à me décaler dès qu'un client arrivait pour pas qu'il me bloque la vue. Je sentais bien les litres de bave couler de ma bouche pour me détremper les genoux, mais c'est pas ma faute, il était trop beau !

À un moment, il s'est rendu compte que mon poste allait le gêner pour prendre ses mesures. Il a bien essayé de tendre les bras au maximum, mais il a dû se rendre à l'évidence : c'était pas pratique du tout. Comme dans un film, au ralenti, nos regards (ivres de désir) se sont croisés. Et j'ai compris que mes fantasmes les plus fous allaient enfin se réaliser, il allait avoir besoin de moi, and then at the end they fuck. Il a fait une dernière tentative, essuyé un nouvel échec. Alors il m'a demandé, tout sourire :

- Dis saurais-tû atteindreuh c'muuur une fois ?

Patatras. L'accent belge. Je n'ai rien contre nos amis d'outre-Meuse, ils sont tellement gentils qu'on leur pardonne Amélie Nothomb ou Natacha Amal, j'adore la Belgique (c'est vrai !), woohooo le Manneken-Pis et les frites, je les remercie même de nous avoir fait parvenir Peyo et les Leonidas, mais bon faut bien reconnaître qu'avec les Picards, ils se partagent le prix de l'accent le plus tue-l'amour du monde, si si je vous assure.

D'ailleurs à la fin de la soirée, j'étais arrivé à la page 100 de mon bouquin.