Les mystères du monde : l'ostréovorogénèse
Bienvenue à toi ami lecteur ! Ce soir, pour célébrer le nouveau tournant de ce blog, qui à partir de dorénavant devient éducatif et donc utile, je te propose de te pencher (petit coquin) sur un sujet passionnant, ouais ! Nous allons en effet étudier l'un des plus grands mystères de tous les temps, j'ai nommé l'huître. Non parce que c'est vrai, après tout, qu'est-ce qu'on sait de l'huître, à part le fait que c'est dégueulasse et que ça ressemble à un gros mollard ? Pas grand chose, et même wikipedia ne peut pas répondre à la question cruciale, qui aujourd'hui nous taraude : d'où vient cette curieuse idée de manger des huîtres ?
Eh bien, sois rassuré, ami lecteur, grâce à mes recherches sur le sujet, tu n'auras plus à te retourner des heures dans ton lit, incapable de trouver le sommeil, à cause de cette question qui finissait par te rendre fou : qui, putain, qui a eu l'idée de bouffer ça ?!
Tout a commencé il y a bien longtemps, avant la naissance de Jésus Christ notre sauveur. Sur les côtes d'Armorique, Guéric Ker-Elouan, ignorant tout du rôle qu'il allait jouer dans la gastronomie (ahem) mondiale, se sentait tout tristoune. C'était les fêtes de fin d'année, et il allait encore se retrouver tout seul : sous prétexte qu'il était différent, personne ne voulait entendre parler de lui, et encore moins l'inviter à fêter des trucs, comme son anniversaire ou l'équinoxe de Printemps (à l'époque, l'année commençait et finissait un peu plus tard). Parce que Guéric n'était pas comme les autres Celtes, qui plus tard deviendraient nos fiers Bretons : il avait du goût. Il savait que le beurre ne se mange pas salé, que le kig-ha-farz c'est franchement dégueu, non mais sérieusement, un ragoût de lard ?, et que 6% ça ne suffit pas à faire passer le cidre pour de l'alcool. Alors, les autres salauds du village le prenaient de haut, peuh, et Guéric était malheureux comme les pierres.
Et un beau jour -enfin, aussi beau que puisse être un jour en Bretagne-, alors qu'il déclamait son mal-être face à l'océan dans des grands vers très mylènefarmeriens, en faisant rimer "sang" avec "maman", ou "mort" avec "encore", plein de trucs comme ça, trop naze le mec, genre il se prend pour un poète, quelque chose par terre attira son regard : un petit caillou plutôt plat, mais pas complètement, un peu comme une coquille de mollusque, mais en très vilain. Tiens ? Saperlipopette, mais qu'est-ce donc, se dit-il en se grattant la tête d'un air stupéfait ? Comme il n'avait pas d'amis, et pas de vie non plus (plusieurs siècles plus tard, il aurait fait un excellent geek), il décida de rapporter sa trouvaille à sa hutte.
En plus du goût, Guéric se distinguait de ses congénères par une intelligence hors du commun. Et en voyant cette caillasse moche, il sentait, non, il savait qu'à l'intérieur il allait trouver quelque chose de formidable, qui allait changer le monde à jamais, parce qu'on ne pouvait créer une coquille aussi repoussante que pour cacher le plus grand trésor de la Terre !
Il passa des jours et des nuits à s'écorcher les mains dessus, sans comprendre le message que l'Océan avait essayé de faire passer en scellant l'huître (car c'est bien d'elle dont il s'agissait, tu l'auras compris ami lecteur) à l'araldite : quand un truc est fermé comme ça, nul n'est censé l'ouvrir. C'est pendant qu'il égorgeait un porc avec son glaive, comme le faisait toute la Bretagne à cette époque (et d'ailleurs, encore aujourd'hui, je suis sûr que dans certains coins reculés...), que l'idée lui vint : bon sang (c'est le cas de le dire), mais puisque ça ouvre une gorge comme un rien, si ça s'trouve, ça marchera aussi pour le Précieux ! En effet, avec un outil, la tâche fût quand même grandement facilitée. Il découvrit alors ce que personne n'aurait jamais dû découvrir, l'enfant honteux des océans, si bien camouflé depuis la nuit des temps : l'huître.
En voyant cette chose molle et grisâtre et puante, Guéric se dit qu'il l'avait laissée trop longtemps hors de l'eau, et que son trésor avait tourné. L'aspect de vieille morve et l'odeur qui s'en dégageaient auraient dû éloigner le pire des charognards, aussi, les dieux se désintéressèrent de la suite des évènements. Ils croyaient l'humanité hors de danger. Ils n'avaient pas imaginé que Guéric puisse être aussi têtu. Après avoir jeté sa vieille huître pourrite au feu purificateur, il partit en chercher une autre, pour voir comment c'était dedans quand c'est frais. Cette fois-ci, il pensa même à prendre son glaive, parce que ça avait quand même été 'achement plus simple à ouvrir comme ça.
Surprise, la seconde huître, fraîche comme la première neige, avait la même gueule de travers, elle sentait juste un peu moins fort que l'autre. Tudieu mais c'est quoi ça, se demanda Guéric ? Il l'asticota un peu avec le bout de son glaive, poc, poc, se demandant si c'était vivant, mort, une plante, une bête, une déjection, une blague ? Il finit par comprendre que non, c'était pas une blague, et que vivant ou mort, il venait de découvrir la matière la plus dégueulasse du monde.
Et probablement le meilleur moyen de se venger de ces cons de planteurs de dolmens.
Il en passa du temps, sans dormir ni manger, à peaufiner son plan, des heures durant ! Mais ses efforts finirent par payer puisqu'il mit au point ce petit bijou de perfection stratégique, à faire pâlir d'envie Napoléon.
Profitant d'un instant d'inattention, pendant que tout le village était en train de se murger la gueule au chouchenn, il vira toutes les crêpes au sarrasin de la table du buffet de la fête de la Nouvelle et Belle Année, et les remplaça par plein plein plein de douzaines d'huîtres. Ah, ces salauds se foutent de ma gueule quand je leur dis que le beurre doux c'est meilleur sur les tartines ? Rira bien qui rira le dernier, bande de ploucs, on va voir vos gueules quand vous allez vous retrouver à manger du glaviot ! Et comme la vengeance, il décida de leur servir crues et froides. Parce que c'est encore pire de les manger vivantes. Mouahaha !
Mais Guéric sous-estimait tellement le mauvais goût des siens !
Quand on mange du gros intestin de porc entassé dans un boyau de boeuf en ayant fait cuire le tout dans un bouillon parfumé au foin, on n'est pas rebuté par un étalage de corps visqueux sur la table du banquet de Pleine Lune. Au contraire. Les Bretons furent heureux et soulagés de manger autre chose que leurs sempiternels plats lourds, et décidèrent que c'était bon (même si ça serait peut-être une bonne idée de cacher le goût de marée avec par exemple un filet de citron), à un tel point qu'ils décidèrent que ce mets délicat envoyé par les dieux serait à partir de ce jour leur tradition de nouvelle année.
Ne trouvant décidément pas chaussure à son pied, parce que les bigoudènes ça va bien cinq minutes, Guéric finit par se reproduire par mitose. Et jusqu'au jour de sa mort (après une longue vie sans sexe, donc), lui et sa descendance perpétuèrent leur petite coutume : se moquer tous les ans de ces crétins qui se régalent en gobant ce qui, à ce jour, se rapproche quand même plus du mollard que du fruit de mer. Au fil des siècles, les descendants de Guéric et de ses concitoyens se sont dispersés à travers le monde, trop heureux de quitter leur bout de terre fouetté par l'océan et les orages et les marées noires etc. Mais l'héritage culturel est plus fort que tout, et les deux traditions entrelacées se sont transmises, et nous sont parvenues intactes : tous les ans à Noël, les barbares mangent des huîtres pendant que ceux qui ont une cervelle se moquent d'eux.
Et voilà, ami lecteur, tu sais maintenant pourquoi certains dégénérés (dont tu fais peut-être partie, il n'y a pas de honte à avoir) mangent cet étrange mollusque à Noël ! T'es impressionné, hein ? Allez pour la peine, si tu es sage, un jour je te raconterai peut-être l'histoire du premier homme qui a eu l'idée d'éventrer un mouton pour lui arracher les boyaux et les tendre sur un morceau de bois pour en faire une raquette.