Ce que la version 3.0 change pour moi

Aujourd'hui, comme une grande partie de la population mondiale, mon iPhone de David ! (c'est son nom) est passé à sa version 3.0. Ce qui veut dire, entre autres, que je peux maintenant envoyer des MMS.Ouiii ! À moi les messages instantanés avec des images ! Je vais enfin pouvoir prendre des photos de mon cul et les envoyer à tout mon répertoire !

Un de mes premiers réflexes, une fois l'OS installé, a été d'envoyer un message à Keupine, pour qu'elle arrête de me narguer avec ses MMS à la con, que jusqu'à présent je ne recevais pas, et que son téléphone tût pûrri gère sans problèmes. J'ai eu cette idée de génie, si si, vraiment, de faire parler l'image :

Sa réponse -malheureusement- ne s'est pas fait attendre :

Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver

À Happy Time, on n'est pas généreux sur la paye, comme me le rappelle quotidiennement Maman Procellus, mais on a un bon comité d'entreprise. Ils offrent (enfin, "offrent", hein, comprenons-nous bien) souvent des voyages au bout du monde, pour que les moins fortunés aient le plaisir de partir en Chine, au Yémen ou en Turquie avec touuus leurs collègues, et ça c'est trop du bonheur. Tous les ans pour la fête des mères, ils offrent aussi des cadeaux pour féliciter les reproductrices, avec une coupe de champagne en prime : du coup elles reviennent travailler en fin de journée complètement pompettes. Ils sont pas cons, notre comité d'entreprise : des cadeaux pour la fête des mères dans la plus grosse boîte à pédés de Paris, ils sont sûrs de ne pas se ruiner.

Mais cette année, ils ont entendu la révolte gronder dans nos rayons : des miyards de pédés et goudous pas contents d'être toujours lésés lors des distributions de cadeaux, parce qu'à Noël c'est la même histoire : on offre des trains électriques aux bambins, mais nous autres grands enfants, on peut se toucher (et on ne se prive pas).

C'est pour ça que l'autre jour, ils ont affiché ce mot, qui disait en gros qu'en "ces temps de crise, la culture est trop souvent oubliée. Pour permettre à tous de rêver un peu, notre CE offrira donc un chèque culture de 50 neuros à tous les employés".

Enfin, un beau geste !

Mais le seul problème, c'est l'idée qu'ils ont l'air de se faire de la culture. Parce que parallèlement à cette opération "la lecture pour tous", le magasin a essayé de booster ses ventes de livres, en organisant un évènement digne des plus grands salons littéraires.

Le jour où on nous offrait un chèque culture, comble de l'hypocrisie, on recevait également Sophie Favier en dédicace, pour la sortie de son livre "Comment j'ai perdu 10 kilos en 3 mois".

Ce jour-là, pour la première fois, j'ai eu honte de travailler à Happy Time.

Je ferme un oeil et je deviens Roi

Jeudi dernier, pour mon début de semaine -oui, mes semaines commencent tard, mais c'est pas ma faute à moi, c'est mon emploi du temps qui est fait comme ça- j'étais au défouloir pour clients, à discuter avec deux collègues. Un de nos gardes républicains Happy-Timiens s'est approché, avec à son bras un homme étrange : il portait des lunettes de soleil à l'intérieur (le con) et un grand bâton blanc, un peu comme Gandalf.Il nous a expliqué qu'en réalité cet excentrique était un aveugle -ahhh, c'est donc ça !- et nous a demandé d'appeler le service clientèle, pour qu'ils envoient quelqu'un l'aider à faire ses achats.

Le problème, c'est que le règlement vient de changer : le service clientèle ne peut plus s'occuper des cas sociaux, on doit donc mettre en place un système de chaîne. C'est à dire que depuis l'entrée du magasin, les vigiles accompagnent le pas-d'z'yeux au rayon désiré, où ils refilent le bébé au vendeur, qui passera la patate chaude au rayon suivant (enfin, si notre non-voyant a d'autres courses à faire, bien entendu). Et ainsi de suite, jusqu'à la caisse. C'est à ce moment que le système de la chaîne atteint ses limites : les caissiers ayant interdiction de quitter leur poste, le client est obligé d'attendre sagement dans un coin que la journée soit finie, afin que la personne qui l'a encaissé puisse le raccompagner jusqu'à la sortie.

Et ce jour-là, j'avais la bougeotte. On était trois chargés d'accueil, à un poste qui ne comporte que deux places. J'en ai profité pour faire mon Samaritain, et j'ai décidé d'accompagner Gandalf faire ses achats.

Ce fut ma première erreur de la journée. La seconde a été de lui demander : "alors monsieur, qu'est-ce que vous êtes venu acheter chez nous ? :D ". Il ne voit pas. Et il cherchait une petite pochette pour ranger ses papiers, et remplacer sa banane moche -on le comprend. Pendant notre voyage jusqu'au territoire de l'Homme, j'ai commencé à lui expliquer ce qu'il pourrait trouver : euuuh, c'est comme un petit sac-euh, en bandoulière (une besace David, ça s'appelle une besace), c'est à la modeuh, je sais pas si vous connaissez...?

Je me suis cru sauvé au moment où un vendeur s'est présenté à nous. Patate chaude, hop, à toi ! Mais vu la tournure que prenaient les évènements, j'ai décidé de rester. J'avais pourtant expliqué en arrivant, le plus politiquement correct du monde, que j'accompagnais un client non-voyant. Mais monsieur Tact n'avait manifestement pas la lumière à tous les étages, il n'a pas arrêté :

- Alors vous voyez, j'ai ce modèle-ci... Il y a le premier que je vous ai montré, sinon... Et je ne sais pas si vous avez vu, mais les poches sur ce modèle...

En montrant à chaque fois les besaces à Gandalf, qui souriait, imperturbable, mais ne réagissait évidemment pas plus que ça. Le fait que j'attrape tous ses articles pour les mettre dans les mains du client qui se mettait à les tripoter si sensouellement ne lui a fait tilt à aucun moment.

Du coup, j'ai décidé que je ne l'aimais pas, et j'ai tout fait pour lui pourrir sa vente. Dès qu'il s'éloignait un peu pour aller chercher le modèle suivant, je me transformais en immonde Iago du commerce, et déversais mon fiel dans l'oreille de Gandalf :

-Alors celui-ci, le vendeur le porte en ce moment même, et je n'aime pas du tout, on dirait qu'il a un k-way en bandoulière... Le deuxième ? Moui, si vous voulez vous promener avec le même sac que Paris Hilton... Ah ben oui, le cuir de cette besace peut être chouette, elle coûte quand même 220 neuros !

Et ainsi de suite. Une fois qu'il a été dégoûté de tous les modèles qu'on lui présentait (oui, bon, il est reparti bredouille, mon plan n'était pas si infaillible, mais je travaille mal dans l'urgence), j'ai dû lui faire à nouveau traverser tout le magasin, pour l'amener au rayon des tue-cafards, où je l'ai confié aux bons soins de monsieur le droguier, afin de retourner à mon poste.

J'ai poliment pris congé, et j'ai couru pour raconter cette histoire à mes collègues, qui m'ont toutes les deux posé cette excellente question :

- Mais ? S'il est aveugle, comment il sait qu'il a des cafards ?

Question qui m'a tenu éveillé jusqu'au lendemain matin.

Le jour où les ratels domineront le monde

Tout ce qui suit est rigoureusement authentique* Amis de la nature, bonjûr ! Nous allons aujourd'hui parler d'un animal plus étrange que l'ornithorynque, plus fort que l'éléphant et le rhinocéros réunis, et plus intéressant que le lapin, parce que le lapin, voilà quoi. J'ai nommé : le ratel.

Pour ceux -que j'imagine nombreux- qui voudraient s'instruire, le ratel est un mustélidé de la taille d'une grande belette, fier et unique représentant de la sous-famille des Mellivorinés (merci Wikipedia). Je suis d'accord, on s'en fout, mais ça me semblait important, sur le coup. On ne le trouve qu'en Inde et en Afrique, ce qui laisse à supposer que c'est un animal de pauvres. Pour continuer (et finir) avec les données techniques qui permettent de briller à peu de frais dans les dîners mondains, notons que le cerveau du ratel a cette particularité, si on l'observe de haut, de ressembler à un plug :

Étonnant, non ?

Mais là où le ratel se distingue des autres bêtes, c'est par son caractère : sous ses airs de mignon petit furet en peluche, c'est l'animal le plus intrépide et le plus teigneux du monde, sorte d'Attila enfermé dans un corps de Teletubby. Il tire son nom latin (Mellivora capensis) de son goût prononcé pour le miel. Winnie le sait bien, le meilleur miel du monde est celui de la redoutable abeille africaine, qu'aucun animal sensé n'ira titiller. Ça n'arrête pas le ratel, qui peut tranquillement lacérer la ruche avec ses petites pattes, et se goinfrer de miel pendant que les abeilles le piquent et piquer encore, sans que ça le dérange plus que ça. Intrépide et teigneux, on vous dit.

Pour l'avoir observé dans son environnement naturel (et vas-y que je vous balance mes vacances de rêve en Afrique -il y a huit ans- à la gueule !), je confirme : l'animal n'a peur de rien. Il peut venir fouiller les poubelles d'un campement plein de monde sans fuir une fois repéré. Non, si on tape dans les mains pour le faire déguerpir -un homme qui applaudit, normalement ça fait peur-, sa seule réaction sera de se mettre à grogner plus fort. On n'emmerde pas un ratel qui mange.

Il a beau être teigneux, il se trouve toujours un animal assez couillon pour l'attaquer. Imaginons qu'un gros lion arrive et chope le ratel : ARGN, un coup de crocs se referme sur sa blanche gorge. Drâââme dans la savane ! Non ? Non. La fourrure du ratel est beaucoup trop grande pour lui, le lion n'a mordu que son blouson. Sa pauvre victime peut ainsi se retourner dans sa propre peau pour lui fumer sa sale gueule de lion, en le traitant de petite lionne et en le renvoyant miauler chez sa mère.

Mais la vie est ainsi faite : on ne peut pas vivre que de miel. Se faire du prédateur avant le petit déjeuner, ça donne faim. Mais que mange notre petit ami à quatre pattes, se demandent vos esprits avides de connaissances ? Facile : de tout. Comme le petit teigneux aime les challenges, il ne va pas bouffer que des insectes, ah ça non ! Une de ses proies favorites (le miel n'est pas une proie), en plus des scorpions, ce sont les serpents. Plus c'est venimeux, meilleur c'est.

Fatalement, un serpent qu'on attaque ne se laisse pas faire, et au cours du combat, il est possible que notre ami le ratel se prenne une bonne dose de venin dans la gueule. Il a beau être teigneux et sortir victorieux de son combat, lorsque le poison commence à faire effet il s'effondre, vaincu par k.o. Personne n'est immortel.

À part le ratel, dont le système immunitaire ferait pâlir d'envie tous les instituts de recherche du monde : après une agonie d'une heure ou deux, il se relève, avec rien de plus qu'une légère gueule de bois, finit de manger son serpent et continue son petit bonhomme de chemin, vers de nouvelles aventures.

Alors le jour où vous croiserez une de ces petites bêtes, ne vous laissez pas berner par son air innocent. Ne vous en approchez pas, et fuyez, aussi vite que vous le pouvez, si vous ne voulez pas finir comme ce buffle, mort de s'être fait attaquer aux cojones par un ratel.

*À part la photo du timbre : contrairement à ce que nos amis Russes ont l'air de croire, les ratels ne volent pas.

L'insouciance des vacances

Il y a un an, presque jour pour jour, je passais une nouvelle étape dans ma douloureuse exploration du monde des grands : pour la première fois de ma vie d'adulte, je posais mes congés d'été. En vingt six ans, c'est un problème auquel je n'avais jamais été confronté : les vacances faisaient partie de la vie, quatre mois de repos après chaque année scolaire, un peu plus avec la fac.Mais là, je devais choisir des dates, qu'elles soient acceptées, et on me donnait quatre mois pour y réfléchir, alors que j'ai déjà du mal à me projeter d'une semaine sur l'autre. Trop dure la vie !

Surtout que les vacances, ça n'est pas vraiment mon truc : je n'aime pas le soleil, je m'ennuie à la plage, et au bout d'une semaine, ma maison me manque et je deviens comme E.T., à vouloir fabriquer une antenne avec des boîtes de conserve pour qu'on vienne me chercher.

Je m'étais longuement trituré les méninges : une décision comme ça, on ne la prend pas à la légère. J'avais fait plein de diagrammes compliqués, avec des courbes et des formules mathématiques pas encore découvertes. J'avais passé des heures à l'ordinateur, à faire des recherches et des comparaisons à m'en brûler les yeux, pour arriver à un savant résultat : je poserais deux semaines tout début juin, et pitètre une autre fin octobre.

C'était la combinaison idéale. Un peu de temps pour souffler avant de partir quelques jours me changer les idées, et j'avais une semaine pour me remettre de cet arrachage à mon foyer doux foyer. Le plan infaillible, surtout qu'à cette période-là il ne ferait pas encore trop chaud.

Curieusement, quand j'ai donné mon projet à Girafa, avec mes grands yeux brillant d'espoir, tout inquiet à l'idée qu'elle me dise "non écoute, il y a déjà trop de monde sur ces dates-là, refais-moi tout ça", elle a rigolé, et m'a dit oui tout de suite. L'avantage de ne pas supporter les températures supérieures à vingt degrés, c'est que personne ne se bat pour partir en même temps que moi.

Plus la date approchait, plus j'étais tout fou et intenable. Mes premières vacances choisies, les miennes, à moi, pas à des dates imposées par le calendrier scolaire ! Yipppeee ! J'étais tellement joyeux que j'ai eu envie de faire un peu mon kéké.

J'ai réfléchi à une blague pendant des jours et des jours, jusqu'à lui donner la perfection du diamant : ma dernière semaine de boulot, j'attends qu'il y ait assez de monde dans le bureau. Ni trop, sinon je passerai inaperçu, ni trop peu, sinon ça ne sert à rien. Quand ils sont assez nombreux, je fais mine d'aller voir l'emploi du temps de la semaine à venir, et je commence à m'inquiéter : "Ralala c'est bizarre, je suis pas sur les plannings de la semaine prochaine !", histoire d'attirer l'attention sur moi. Et quand tout le monde s'interroge, la résolution de mon hilarant gag arrive, cerise sur un gâteau que tous vont bientôt m'envier : "ah ben chuis bête ! C'est mes vacances, bande de moules !". Et je n'ai plus qu'à partir, impérial.

Le jour J, je suis donc arrivé dans le bureau, en pouffant à l'idée du bon tour que j'allais leur jouer. J'ai attrapé le planning de la semaine suivante, et ouvert des grands yeux pleins d'effroi : j'étais encore noté dessus. Plan B ! Plan B !

Je me suis mis à pousser des hurlements effarés en courant partout dans le bureau, pour expliquer à qui voulait l'entendre mon horrible situation. Pour me calmer, on m'a conseillé d'appeler Girafa sur le champ. Elle m'a alors expliqué que suite à un malheureux concours de circonstances, elle avait oublié de communiquer mes dates de vacances aux filles du planning, qui ne savaient donc pas que je ne serais pas là, et comme on en avait parlé deux mois plus tôt, Girafa m'avait complètement zappé.

C'était aussi un peu ma faute : en bon puceau des congés, je ne savais pas qu'il fallait signer un papier pour montrer qu'ils avaient été acceptés, genre une conversation ne suffit pas pour les valider, bureaucratie de merde. J'avais passé mon dernier jour de boulot avec des sueurs froides partout dans le dos, parce que sans mon papier, pas de Copenhague. Et comme ils demandent en février de leur rendre nos projets de dates d'été, je risquais de me faire envoyer bouler, en m'y prenant vingt-quatre heures à l'avance. Heureusement, tout avait fini par s'arranger.

Alors cette année, je m'y suis pris différemment. Déjà, j'ai ressorti le tableau Excel de la dernière fois, pour reposer les mêmes dates. Une nouvelle fois, Girafa a ricané quand je lui ai dit à quel moment je souhaitais partir.

Le jour du départ approche : dans trois semaines c'est la quille. Et cette fois-ci, j'ai bien remarqué que je n'avais -à nouveau- pas signé mon bon de sortie, on me la fera pas deux fois de suite ! J'ai donc tout de suite appelé Girafa. Trois semaines avant le départ. Deux mois après avoir posé mes dates.

- Allô, c'est David bordel. Je t'appelle parce que je n'ai toujours pas signé pour mes vacances, et l'autre moche là-bas, elle part après moi et elle a déjà eu son papier, d'abord !

- Ah, justement je voulais t'en parler, parce que pour moi, tu fais partie des gens qui ne m'ont pas encore donné leurs dates...

J'ai insisté pendant dix minutes, en faisant intervenir tous les détails qui pouvaient me revenir : ce qu'elle portait, où on se trouvait, les réactions qu'elle a eues... Mais rien. Elle ne se souvient absolument pas qu'on ait eu une conversation au sujet de mes vacances.

Si j'étais parano, je pourrais croire qu'elle m'en veut.

Dans le vingt mini

Avec Lapin, une des principales sources d'engueulades est de savoir qui va faire la cuisine. Comme je suis un grand malin, je m'arrange pour toujours aller chez lui, ce qui me laisse l'excuse du "mais je suis l'invité, c'est pas à moi de le faire, et puis je sais pas où sont rangées les affaires !".Je le sais bien, ce numéro ne peut pas fonctionner à tous les coups, il va finir par voir clair dans mon jeu : je sais parfaitement bien où sont les poêles et les casseroles, je suis fourbe, c'est une honte. Mais vu que ma seule alternative est de le regarder avec mes yeux de cocker en me plaignant d'être fatigué de touuut ce travail que j'ai fait à Happy Time, il a bien fallu que je trouve une solution.

Homme de nombreuses ressources, j'ai donc eu cette idée géniale : aller acheter du chinois à emporter les soirs où manifestement je ne gagnerai pas ! Tadaaah, simple comme ni hao ! Le plus difficile a été de trouver une bonne cantine. Il y avait bien l'espèce de boui boui en bas de chez lui, mais ça avait l'air trop malsain : ils avaient une tête à servir du chien et des œufs de cent ans qui en ont en fait deux cent, en se mouchant dans les chips à la crevette.

C'est ainsi qu'a commencé notre longue quête vers un traiteur pas trop dégueu. À l'instar des Hébreux fuyant vers la Terre Promise, nous nous éloignions de plus en plus de la maison, en tentant de trouver un restaurant moins pire que le précédent. On a parfois dû se taper une demi-heure de trajet, en passant devant mille empoisonneurs, juste pour acheter notre sachet de nems, par flemme de faire à bouffer. Boulet et boulet veulent un plat chaud.

Et puis un jour, notre poil dans la main a été plus fort que notre prudence : on a décidé de tenter le restaurant en bas. Tin-tin tin-tiiiinnn ! Surtout que c'était idiot d'aller aussi loin : le resto est dans le même immeuble, on n'avait que deux étages à descendre.

Il en a fallu du courage pour pousser cette porte : un petit restaurant tellement sombre et sordide qu'il avait toujours eu l'air fermé, de toutes petites fenêtres, une porte qui a une tête à grincer... Mais non. Il était juste désert. Personne, à part la patronne et son mari en train de discuter. On a vite vu qui portait la culotte dans cet établissement : dès qu'elle s'est rendu compte que deux clients venaient d'entrer, madame a crié quelque chose en asiatique à son cher et tendre, qui a filé dare-dare en cuisine. Et tout sourire, elle s'est tournée vers nous.

Bonjour madame... Possible de prendre du niam niam à emporter...? Elle a hoché la tête très vite en souriant : "Oui, oui, empo'ter, oui !".

Déjà un bon point. Après avoir fait notre choix, madame Wong -qui prépare manifestement elle-même les nems, même que c'est écrit sur le menu- nous a lancé sa phrase, son gimmick, sa signature. George Clooney a son "what else ?", Valérie Lemercier son "c'est moi qui l'ai fait !", madame Wong, elle, regarde l'horloge, et lance en souriant : "Oui ? Dans le vingt mini, d'acco' ?". Systématiquement.

Parce qu'il se trouve que c'est le meilleur restaurant chinois du monde entier de l'univers, et que depuis ce jour, il est devenu notre cantine attitrée. Et à chaque fois, inlassablement, madame Wong regarde l'horloge, a l'air de calculer difficilement, et nous annonce toute fière : "Oui ? Dans le vingt mini, d'acco' ?". Elle ne ment jamais : vingt minutes, pas une de plus, ni une de moins, et on peut manger comme des princes.

Il faut dire qu'on y va souvent, commander chez elle. Depuis deux ans, on connaît la carte par cœur : à la question "qu'est-ce qu'on mange ce soir ?", on se répond maintenant "bah, un dix-huit, et un dix-neuf ?". Certes, connaître par cœur les numéros de la carte est pathétique.

Surtout qu'au bout d'un moment, malins que nous sommes, nous avons remarqué que madame Wong était rien qu'un sale rapace. Deux ans, voire plus, que nous l'aidons à réaliser la quasi-totalité de son chiffre d'affaires. Est-ce qu'elle nous offrirait de temps en temps un verre de saké avec notre commande ? Des petites chips à la crevette ? Du nougat ? Des baguettes ? Les boissons (parfois la dèche est grande) ?

Peau de zob.

À chaque fois, on paye plein pot, et on n'a que ce qu'on a commandé. Pas un grain de riz de plus. Et qu'on ne me fasse pas croire qu'elle ne nous reconnaît pas, la garce : dès qu'on ouvre sa porte, elle nous tend la carte spéciale "à emporter", également appelée "photocopie de merde". Bien sûr, ça ne nous empêche pas d'y retourner dans les trois jours. Mais du coup, à chaque fois qu'on déballe le sac, on se met à pester, comme deux petits vieux acariâtres que nous sommes : "roooh, quand même elle exagère, tu crois qu'elle nous aurait offert le coca ? Nan. MORUE ! Et scrogneugneu et scrogneugneu". Et on boude, jusqu'à la fois suivante, vexés de ne pas avoir eu de cadeau(x).

Mais l'autre soir, j'ai perdu à la courte paille, et c'est moi qui ai dû aller commander et payer. Pour une fois, j'ai regardé d'un œil distrait la petite note qu'elle nous avait fait, et je l'ai comparée avec ce que disait l'appareil à carte bleue. Ça m'a permis de voir que madame Wong n'est pas si radine que ça. La note indiquait vingt-deux euros et cinq centimes. Royale, elle ne m'en a fait payer que vingt-deux.

Procellus, ou la fidélité récompensée.

Parce qu'on est tous des stars

L'autre jour, alors que je m'ennuyais ferme au boulot, on m'a envoyé remplacer une caissière, "pour un temps indéterminé". Je savais que je venais de me faire avoir : certes, la journée promettait d'être looongue, j'étais normalement bloqué jusqu'à la fin à un défouloir pour clients horrible, où personne ne vient jamais, à part les vendeurs du rayon voisin. Passer huit heures d'affilée à faire la conversation à des pédés quinquagénaires qui chantent Dalida en imitant Renato et Zaza sauf que c'est pour de vrai : mon rêve. Mais la caisse où je devais faire mon remplacement est encore pire : personne ne passe, jamais, ni clients, ni vendeurs, ni lutins malicieux. Perdu au milieu des canapés et des lits, condamné à guetter le chaland en souriant bêtement, vive l'attente active (c'est toi la tante active, ho ho ho).

Alors forcément, quand un péquenaud vient payer, on le voit arriver de loin, dans ce désert aride. Et c'est rigolo, celui-ci j'avais l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Quand il est arrivé à la distance où je peux enfin distinguer autre chose que formes et des couleurs, ça a immédiatement fait tilt : Christian Rauth.

Mais siii, Christian Rauth, celui qui jouait Auquelin dans Navarro ! Lui, là :

Dès que j'ai vu qui c'était, je me suis senti un peu gêné : c'est vrai quoi, reconnaître Christian Rauth de Navarro et des Monos, c'est quand même un peu la teuhon. Du coup j'ai fait comme si de rien n'était, et j'imagine que ça a dû l'arranger aussi : quand on est Christian Rauth, ça doit pas être facile à vivre tous les jours. Ceci dit, la facture qu'il m'a présentée était à son vrai nom : il est donc soit masochiste, ou il se prend pour une vraie star, ou bien il a tristement conscience que personne ne sait plus qui il est, à part les mamies et les fans de Roger Hanin (genre).

Et justement, il y en avait une à côté, de mamie. Assise à un bureau avec sa petite fille, elles étaient en train de finaliser une vente, quand elle a tourné la tête dans ma direction. Derrière la cataracte, ses yeux se sont tout de suite illuminés, comme ceux d'un enfant au matin de Noël quand elle a vu Auquelin. D'un coup, la petite dame toute sèche et toute voûtée a laissé la place à une gamine insupportable, qui trépignait sur sa chaise en ouvrant et en fermant la bouche à toute vitesse.

Elle m'a jeté un regard, pour me dire "Mais ! Mais ! Vous avez vu ! Il y a une célébrité à votre caisse monsieur !". Je lui ai souri très poliment, et fait un petit signe de tête : "Oui, je sais j'ai vu", et je suis retourné à ma star déchue. Les conversations télépathiques : ça n'existe pas que dans les films.

En repartant, il est passé à côté de la vieille dame, et son pacemaker a failli griller. Elle tirait frénétiquement sur la manche de sa petite fille, mais la pauvre n'avait que vingt ans, et c'est un peu jeune quand même (surtout qu'il était de dos) : elle n'a pas compris ce qui agitait autant mère-grand.

Une fois leur vente terminée, elles sont venues à ma caisse :

- Oh, vous avez vu monsieur ! C'était... Mais qui c'était déjà... Palsambleu !

- Christian Rauth madame... Vous l'avez vu dans Navarro... Mais il n' ya vraiment pas de quoi en faire un tel plat...

J'avais du mal à y croire. Reconnaître un acteur de la trempe de celui-ci, c'est une chose. Mais en être tourneboulée au point d'en discuter avec le caissier, c'était déjà plus improbable. Elle était toujours en train de payer, les joues encore rosies de ses émotions, quand la collègue sus-remplacée est revenue. Pour rire, je lui ai lancé un spirituel :

- Tiens, tu viens de louper Christian Rauth...

Contre toute attente, elle est devenue hystérique :

- Ahiii ! Mais c'est l'acteur de Père et Maire ! Où ça ? Quand ça ? Il a acheté quoiii ?

J'étais atterré. Des gens. Des vrais gens. Fans de Christian Rauth. Et du coup, ça a relancé la vieille groupie de plus belle. Je ne savais plus où me mettre, alors je suis parti. Je les ai laissées toutes les deux, à s'alimenter de plus en plus fort comme une explosion nucléaire, à s'échanger le nom des stars qu'elles avaient pu croiser dans notre magasin, et attention hein, pas de la gnognotte, quand je les ai quittées elles en étaient à Anny Duperey, eh faut pas déconner !

Procellus, ou le star system des has (never) been.

Les habits neufs de l'empereur

Bientôt, je vais devoir me rendre, la mort dans l'âme, au mariage de ce cousin que je connais à peine. Dans le Nord, si Dieu ne s'est pas décidé à faire disparaître cette non-région d'ici là. À chaque fois que je vois mon père il m'en parle : "allez tu viendras dis dis tu viens allez viens viens viens il faut que tu viendes !", et ainsi de suite pendant des heures, en se roulant par terre et en tapant du pied, même que s'il continue ses caprices, il aura rien que du charbon à Noël. Son principal argument pour me traîner à cette noce de merde c'est que "tu ne vas pas te transformer en ours, quand même !". Tout d'abord, je me permets de rigoler bien fort : HA HA HA ! Ensuite, je m'insurge : ne pas assister au mariage d'un quasi-inconnu avec une fille que je n'ai vu qu'une fois en .jpeg, ça ne fait pas de moi un ours. Vouloir passer tout mon temps libre enfermé chez moi et montrer les dents dès qu'on veut m'emmener en soirée, ça, peut-être. Et encore. L'autre soir, Papaprocellus qui pense avoir réponse à tout m'a rétorqué que certes, je le connais à peine : mais c'est justement l'occasion d'élargir mon cercle social ! Et là c'était mort : après "élargir mon cercle", le mini Bigard qui sommeille en moi s'est mis à rire si fort que je n'ai plus rien entendu. Je le cache pourtant du mieux que je peux ce petit salaud, mais parfois il réussit presque à se frayer un chemin à l'air libre. Il cherche à tuer ma réputation, je le sais.

Pour l'instant, je tiens bon : j'ai presque réussi à faire accepter à mon père l'idée que peut-être je ne viendrais pas. À celui-ci, au moins, parce qu'un mois après, la fifille d'un couple de ses amis que je connais depuis tout petit se marie aussi. Décidément, c'est contagieux. J'ai fêté la nouvelle année avec elle pendant presque la moitié de ma vie, alors ça pourrait être rigolo de venir.

Mais le problème, comme j'en parlais avec Grololos, c'est que je ne sais pas quoi me mettre. Trop dure ma vie ! Je ne suis jamais allé à un mariage, à part celui d'une amie de lycée, mais j'étais arrivé quand ils sortaient de la mairie, et c'est à peu près le moment de la cérémonie auquel j'avais prévu de partir. Et vu que son mariage a duré à peine plus longtemps que celui de Britney et Jason Alexander, je ne suis pas sûr que ça compte vraiment. Du coup, je suis tout novice : comment on doit s'habiller pour aller nocer ? Chic ? Très chic comme pour les soirées de l'ambassadeur ? Avec des gants et une canne ?

J'ai demandé des conseils au boulot, vu que Grololos a le même souci que moi : invitée à deux mariages en mai et juin, elle doit aussi trouver sa tenue. Mais sa jambe presque intégralement plâtrée risque de freiner sa créativité vestimentaire. Alors, quand je lui ai demandé ce que je pourrais porter, elle a dû faire un méga-transfert de la mort qui tue :

- Tu pourrais mettre... Un costume en lin ! Avec une chemise à jabots ! Et puis et puis, un chapeau, je suis sûre que tu as une tête à chapeaux ! Hein les filles, il a une tête à chapeaux ! Et aussi, et aussi un labrador, achète un labrador, c'est toujours très chic un labrador ! Et puis un carrosse, et...

Devant tant d'enthousiasme, j'ai fini par sourire et me taire, en attendant que ça passe et en pensant à autre chose, en me demandant qui allait bien pouvoir m'aider. Finalement, c'est Lapin (oui, celui-là même, j'ai une vie sentimentale difficile à suivre) qui s'y est collé.

Il était content, Lapin, surtout que je ne suis absolument pas chiant, en ce qui concerne les vêtements : soit je ne veux rien essayer parce que rien ne me plaît, soit je sais exactement ce dont j'ai envie, et je refuse d'essayer -ou de regarder- quoi que ce soit, vu que rien de ce que je vois ne ressemble à ce que je veux.

Là, on était dans le second cas de figure. Ma tenue parfaite m'était apparue une nuit, dans un rêve : c'est celle-là qu'il me fallait ! Un joli complet à la Kennedy, avec une chemise blanche, qui aurait des rayures blanches aussi, ni trop voyantes ni trop discrètes, et une cravate rayée rose, parce que j'ai beau porter des vêtements d'homme, je n'en suis pas moins fiotte.

Alors ce samedi, profitant d'avoir eu ma journée à Happy Time, je l'ai traîné dans les boutiques. Si j'avais été Lapin, je crois que ce jour-là je me serais défoncé la tête avec un club de golf. On a regardé des centaines de cravates : trop roses, trop rayées, pas assez foncées, trop claires, trop saumon, trop framboise, avec les bonnes rayures mais pas de la bonne couleur... Mais pour ma défense, une vision c'est sacré. Et puis, je n'irais pas jusqu'à dire que c'est bien fait, salaud, fallait pas me quitter !, parce que je ne suis pas si mesquin, mais même s'il est revenu, tout finit par se payer.

De fil en aiguille (et on admire ce sens de l'à-propos), on s'est retrouvés à Happy Time. J'avais déjà le costume et une chemise "qui pourrait faire l'affaire si vraiment on ne trouvait rien de mieux". Ne manquait plus que la cravate. J'étais en train de dire à Lapin que si on croisait quelqu'un que je connaissais, il me prendrait sûrement pour un loser, à avoir eu mon samedi pour revenir au magasin, quand patatras : on est tombés sur un copain de la sœur de l'ex de Lapin, collègue de son état, et véritable commère -bien qu'hétérosexuel, comme quoi...

J'avais trouvé la bonne cravate, avec une autre chemise, 'achement mieux que la première, bien que ne collant pas du tout à la vision, mais c'était pas grave : tout en rose, qui contraste à merveille avec mon costume anthracite, je suis certain d'éclipser la mariée. J'avais payé. Il n'y avait plus qu'à partir, mais il a fallu qu'on tombe sur ce crétin. On s'est enfuis dare-dare après lui avoir dit bonjour, parce que je déteste me justifier et raconter ma vie aux gens, mais c'était trop tard : dans les cinq minutes, mon téléphone sonnait.

Grololos et deux autres bureautières poussaient des cris d'orfraies dans mon oreille, que c'était inadmissible de passer à Happy Time sans venir les narguer dans notre clapier slash bureau, viens immédiatement ! Alors, pour ne pas passer pour un salaud en plus d'un loser, j'y suis allé. J'ai dû expliquer pourquoi j'étais venu : bla bla bla deux mariages, bla bla bla chemise...

Elles ont exigé que je leur montre mes achats, et je me suis exécuté. En plus d'être un loser, je me suis transformé en gros snob :

- Bah David, t'es con, tu as acheté une chemise et une cravate aujourd'hui alors que tu sais qu'on est en soldes dans trois jours ?

- Ouais, j'sais, mais boââârf...

Alors, j'ai paniqué : je savais que je venais sûrement de dire une connerie grosse comme moi, et qu'elles allaient me lapider, se moquer de moi et me cracher à la figure. Je me suis dit que ça serait sûrement moins grave si j'ajoutais quelque chose. N'importe quoi, mais quelque chose. J'ai décidé d'avoir l'air cool :

- Nan mais en plus, t'vois quoi, les mariages ça me saoule, j'suis même pas sûr d'y aller...

- Ah bon ? Alors pourquoi tu viens d'acheter un costume et des chemises ?

J'étais pris au piège, prêt à m'écrouler sous le poids de mes contradictions internes. Je voulais rétorquer qu'on s'en foutait du mariage, j'avais surtout acheté le costume parce que c'est cool, et que ça me rassure dans mon statut d'adulte d'avoir autre chose que des t-shirt Gap et des pulls Jules dans mon armoire. Mais plus on me demande des explications, plus je m'affole, et plus les idées se mettent à s'agiter dans tous les sens. Alors je me suis mis à bafouiller, à toutes les insulter, à faire des bulles avec ma bouche, et je suis reparti en courant et en hurlant.

Les relations sociales et moi, on a encore du chemin à parcourir.

Bébé cuisine deviendra grande

Il y a à peu près un an, mon lave-vaisselle est mort. Oui, c'est vrai, je pensais l'avoir réparé tout seul comme un grand, mais quand au bout de quelques jours il avait fait "pffft" et s'était mis à sentir le brûlé, je m'étais dit que peut-être ma réparation n'avait pas tenu.

À cause de ma célèbre phobie du téléphone, j'ai attendu... euh, longtemps, et peut-être même plus, avant de me résoudre à appeler le BHV, puisque cette raclure de Lapin avait refusé de passer le coup de fil à ma place, le salaud, j'vous jure. Quand madame S.A.V. du Bazar de l'Hôtel de Ville avait décroché, j'avais eu la désagréable impression qu'elle me prenait pour un con :

- Madame, ouin, c'est mon lave-vaisselle il marche pu, il a fait pfouit, ça a senti le brûlé et maintenant il s'allume pu :(

- Avez-vous vérifié que l'appareil était branché sur le secteur ?

-...

C'est ça l'inconvénient de mettre une femme à un poste d'homme : elle s'imagine qu'on est tous aussi doués qu'elle en mécanique. Allez madame, assez rigolé. Donnez ce téléphone à l'homme le plus proche de vous, et retournez à vos fourneaux (Procellus, le blog avec du vrai machisme à la papa dedans). Après lui avoir confirmé que j'étais équipé de jugeote et que oui, j'étais certain d'avoir allumé le courant avant de faire fonctionner la bête, on avait pris rendez-vous avec le technicien.

J'avais pourtant enlevé un placard avant son arrivée, pour lui permettre d'intervenir. Mais ça n'était pas assez. Il avait à peine mis un pied chez moi qu'il se mettait à faire le loup :

- Ouuuh ! Ouuuuuuh ! Mais qu'elle est petite cette cuisine !

Certes, je n'ai pas l'espace de Jamie Oliver, mais elle reste assez fonctionnelle, et jusqu'à présent, personne ne s'était jamais plaint de la taille de mon appendice. Je me suis tout de même platement excusé : moi aussi, j'aurais préféré le recevoir dans la cuisine américaine de mon triplex. Mais les choses étant ce qu'elles sont, il devrait se contenter de cet appartement. La vie est dure mon bon monsieur.

Après des heures d'un labeur acharné, suant corps et âme, il avait fini par comprendre le pourquoi de mon souci : une fuite dans l'appareil avait noyé le moteur, qu'il fallait donc changer. En attendant naturellement plusieurs jours voire semaines que la pièce leur arrive, je me suis encore abîmé les mains avec leurs saletés de produit vaisselle de pauvres.

Finalement, mon angélique patience avait été récompensée : il était revenu, surpris une nouvelle fois de la petitesse des lieux, et me racontant des histoires sordides de comment il devait parfois intervenir dans des cuisines encore plus petites que la mienne. Non ? Des lieux exigus ? Dans des immeubles parisiens ? Comme ça m'étonne...

Au bout d'une heure, tout fier de lui, il était parti : il avait changé le moteur de mon lave-vaisselle. Tadaaah ! Il m'avait même montré, quand on l'allume il démarre, trop wouah !

Le petit monstre vert de l'imperfection n'allait cependant pas tarder à pointer le bout de son nez.

Quand une fuite vient noyer le moteur du lave-vaisselle, changer ledit moteur, c'est bien. Mais réparer la fuite coupable, c'est encore mieux.

Parce que là, deux jours après le passage du technicien, ma machine me claquait à nouveau dans les doigts. Bien sûr, j'aurais pu faire comme ma môman : me jeter sur le téléphone, hurler que c'était inadmissible, faire valoir mon droit à l'électroménager qui fonctionne, et les faire revenir dans l'heure.

Mais au moment de les appeler, j'avais eu comme un blocage : hmmm, le téléphone ? J'ai déjà donné trop récemment, et si je me laissais un peu de répit ? C'était en août.

Et de jour de répit en "demain je les appelle", on est arrivés en mars, mois qui marquait l'arrêt de mort de l'appareil -ou plutôt de sa garantie. Pendant huit mois, j'avais été large, on a le temps de les appeler, ça presse pas, mais d'un coup, ça devenait presque urgent.

J'ai quand même attendu trois semaines avant la date d'expiration pour les appeler. Le temps de me faire à l'idée de faire à nouveau rentrer un réparateur dans ma maison, mon espace vital, le rendez-vous a été pris pour lundi dernier, soit deux semaines tout pile avant qu'il soit trop tard.

Je l'ai reconnu tout de suite. Lui, il lui aura fallu un peu plus de temps pour se souvenir. Mais en voyant ma cuisine de Tom Pouce, tout lui est revenu :

- Ah. Je suis déjà intervenu ici...

En effet, mais je crois que tout est à refaire.

Comme la dernière fois, il a passé vingt bonnes minutes à démonter le cul de mon engin. Je regardais discrètement, en faisant attention à ce qu'il ne me voie pas, et en l'écoutant ahaner. Il m'a demandé une serpillière, parce qu'une fois sa petite affaire terminée, ça coulait de partout.

L'air très sérieux, comme à sa première visite, il m'a annoncé que c'était vraiment une très grosse réparation. Certainement trop grosse pour mon minuscule antre. J'allais lui dire de ne pas me sous-estimer, non mais qu'est-ce qu'il s'imagine ?, quand il m'a fait une proposition que je ne pouvais décemment pas refuser.

Ma cuisine est très petite, comme il l'a écrit en majuscules, souligné et entouré, sur sa fiche d'intervention. Manifestement trop petite pour supporter une telle opération. C'est comme ça qu'au bout de cinq ans, à deux semaines de la fin de la garantie, il a décidé de procéder à un échange standard et de me commander un lave-vaisselle neuf.

Soudain, la joie.

L'apothicaire

Pendant des années, grâce à mes pharmaciens de parents, je n'ai jamais eu à acheter mes médicaments. Ma mère m'a toujours fourni en stock "qui peut servir à tout" -c'est à dire que je peux désinfecter et stériliser l'eau d'un petit pays pendant plusieurs mois, leur faire des pansements sur plusieurs générations, et je pourrais leur bâtir un palais composé uniquement de comprimés d'aspirine (en espérant qu'il ne pleuve jamais).Pareil, quand j'étais malade, et qu'on me prescrivait des antibiotiques pour combattre ma gingivite, un petit coup de fil à papa-maman, et ma came m'attendait à la maison en rentrant. Oh yeah baby.

Mais un jour, quand j'ai eu des ennuis de santé de grand, j'ai compris que cette technique, bien que pratique, pouvait nuire à mon intimité : "Allô, maman ? On m'a refilé des morpions, tu peux m'apporter du spray-pax ?", merci, mais très peu pour moi. Alors, je me suis mis à acheter mes médicaments moi-même. Tin-tin-tin tiiin (si vous n'avez pas reconnu "la musique qui fait peur", mon bruiteur est viré).

C'est en arrivant à Vincennes que j'ai vraiment commencé à fréquenter la pharmacie : la carte Vitale, les ordonnances, le tiers-payant et les "MONSIEUR ? LA CRÈME RECTALE, JE NE L'AI PLUS QU'EN GEL, VOUS LA PRENEZ QUAND MÊME ?", hurlés depuis l'arrière-boutique. J'en avais entendu parler, mais je découvrais ce monde merveilleux, avec peur et fascination.

Et un jour, j'ai mis les pieds dans l'immense pharmacie juste en bas de chez moi. Ce jour là, j'ai rencontré le joli pharmacien qui y travaille. Grand, la trentaine, assez mignon, bien coiffé (c'est important), des beaux yeux (c'est important aussi), et surtout, il envoyait plein d'ondes positives à mon gaydar. Donc, potentiellement intéressant.

Ensuite, j'ai appris à le connaître : il a le même prénom que 90% des garçons de sa génération, il a l'air d'être tout flasque et mal dégrossi, et surtout il a une voix bêêête, quand il parle on dirait Eve Angeli. Et je ne dis absolument pas ça parce que j'étais dégoûté qu'il ne m'ait jamais accordé un regard, nooon, je ne suis pas comme ça, je sais que la rancune est mauvaise conseillère, je vaux mieux que ça.

Mais petit à petit, nos rapports ont changé : il ne fait pas si benêt, son regard de vache cache en fait de jolis yeux, et il a quand même une presque jolie voix. Et surtout, depuis quelques temps, il me remarque.

À chaque fois qu'il me sert, il me fixe longuement, d'un regard appuyé qui a l'air de dire : "je sais que tu aimes la bite. Moi aussi. Nous sommes complices dans notre amour du pénis", ou un truc dans le genre. Enfin, soit ça, soit je suis la prochaine victime d'un serial killer (un quoi ?).

L'ennui, c'est que la pharmacie n'est pas l'endroit rêvé pour établir un premier contact. Tous les mois quand j'y vais pour mes antidépresseurs, j'ai du mal à me sentir au top de ma glamouritude, du coup on n'est jamais allés plus loin que se fixer très intensément et se toucher la main en lui donnant les sous, ouuuh, monsieur le pharmacien, mais qu'est-ce qui nous arrive ?

Et puis l'autre jour, c'est lui qui m'a proposé une solution. J'étais chez moi, à me toucher la nouille à l'ordinateur, quand le téléphone a sonné. Forcément, je n'ai pas répondu, j'ai attendu le message sur le répondeur. Et ô surprise, j'ai reconnu la jolie voix du pharmacien :

- Oui bonjour monsieur Procellus, c'est pour vous prévenir que vous avez oublié votre carte Vitale chez nous. Vous pouvez venir la récupérer quand vous voulez.

Haaan ! Joie ! Je me suis félicité d'avoir une mémoire de crevette (tout en vérifiant que je n'avais effectivement pas ma carte, et qu'il n'avait pas usé d'un subtil stratagème pour m'appeler). Si ça c'est pas un coup de bol ! Ensuite, la terreur m'a submergé. Merde, mais qu'est-ce que je vais lui dire ? Et comment ça va se passer ? Je vais lui faire un regard langoureux en lui disant de ne pas hésiter à me rappeler si j'oublie autre chose ? Nan, ça pue. Le regarder droit dans les yeux en me passant lentement la langue sur les lèvres et en lui disant que je ne sais pas comment le remercier ? Peut-être un peu trop.

Et puis j'ai décidé d'arrêter de me prendre la tête. Le cadavre de ma relation avec Lapin est encore chaud, c'est le moment rêvé pour se jeter à corps perdu sur le pharmacien. J'ai mis mon blouson et je suis descendu.

Première crampe : il avait manifestement passé le coup de fil juste avant sa pause déjeuner. Quand je suis arrivé, il n'y avait que madame la tenancière, femme d'un certain âge à l'allure peu avenante. Hmmm, pas grave, il suffit de repenser mon plan, je vais lui dire que son employé m'a appelé, ah bon il n'est pas là, et quand elle verra que j'ai l'air de le connaître, elle passera peut-être le message, et il me rappellera, et on ira niquer comme des sauvageons dans la salle de soins -but ultime de toute cette opération.

- Bonjour madame la pharmacienne, on m'a appelé parce que j'ai oublié ma carte Vitale chez v...

- C't'à quel nom ? (sur le ton du "vous m'pétez les couilles d'une force...!")

- Euh ? Procellus ?

Et là, elle sort d'un tiroir un paquet de cartes long comme le bras. Patatras, la lumière venait de se faire dans ma tête.

Il ne m'avait pas téléphoné personnellement, il a juste appelé la quinzaine de boulets qui comme moi sont incapables de faire trois courses sans oublier la moitié de leurs affaires. Je me retrouve une nouvelle fois victime de mon érotomanie.

Le pouvoir de la crampe : et plutôt deux fois qu'une.

La mère suffisamment bonne

Un des rares souvenirs de mes années perdues en fac de psycho -en plus des cours sur les bébés qui offrent leurs premières selles, et cet exposé que j'avais dû faire sur la théorie de la relativité-, c'est Winnicott et ses histoires de mère suffisamment bonne. En gros, une mère parfaite, ça n'existe pas, on peut juste espérer qu'elle soit assez bonne, ni trop, ni trop peu.Un peu comme la mienne.

Mais un petit exemple vaut mieux qu'un long discours.

La scène suivante se déroule au téléphone. Un fils (on va dire que c'est moi) tente d'expliquer à sa génitrice un vice de fabrication : sa fausse dent, là, sur le devant, a tellement bougé qu'il a en permanence l'impression d'avoir une brique à la place de son incisive. Il lui raconte donc comment, ivre de douleur, il a pris rendez-vous chez le dentiste.

Action.

- Blabla blablabla bla bla bla blablablabla bla bla ! Blablabla bla, bla bla BLA ! Bla bla blabla bla...

- Euh, sinon maman, je dois aller chez le dentiste, parce que j'...

- Ah oui, moi aussi j'ai pris rendez-vous chez le dermato, parce que bla bla blablabla bla, bla blablabla bla. Bla blabla blablabla blabla...

Au bout d'un moment, l'information qu'elle vient de recevoir est correctement traitée par la mère suffisamment bonne. Elle peut donc interrompre sa diarrhée verbale, et montrer, par un mot simple, qu'elle a compris ce qu'on lui disait :

- Ah bon ? Mais... Chez le dentiste ? Pourquoi ?

- Ouin, incisive, bougé, brique, aïeuh, ouin.

Bon en fait j'ai fait une phrase un peu plus élaborée hein, j'ai même réussi à glisser que j'avais tellement mal que je me shootais toute la journée à l'ibuprofène, sinon c'était intenable. Égoïstement, je m'attendais à être plaint. Peut-être un mot de réconfort. D'encouragement. De désolation. Tout, mais pas ça :

- Ah. Et tu en prends beaucoup ? Parce qu'avec trop d'ibuprofène, tu risques l'ulcère.

- ...

- Et tu sais que pour mon pied, je suis allée voir le médecin et blablabla bla bla...

Je suis sûr qu'elle a dit ça rien que pour m'embêter : elle sait très bien que j'ai un estomac bionique, et que je pourrais digérer des dalles de béton, si un jour j'étais amené à devoir en manger, on sait jamais. Surtout que depuis, sans être hypocondriaque, à chaque comprimé avalé, j'ai l'impression de sentir mes entrailles se liquéfier, et le trou de mon estomac qui grandit, grandit...

Quoi qu'il en soit, la fenêtre était passée. J'avais loupé le train pour Plains-moiVille, et je me retrouvais à nouveau coincé dans l'omnibus de Saoule-moi sur Mer. Mais ma maman n'est pas comme ça. Elle entend ce que je lui dis, et a une bonne mémoire. Là par exemple, elle s'est souvenu, juste à temps, que le dentiste chez qui je vais est juste à côté de chez elle : c'est elle qui s'occupe de moi depuis le début, alors je retourne toujours la voir.

- Oh ? Mais ? Tu vas voir le Docteur Àcôté ?

- Ben oui, tu ne lis pas ce que je viens d'écrire sur mon blog, ou quoi ?

- Tu pourras passer me voir en sortant, alors. J'ai toujours la freebox à installer, hein...

Tout est là, pas besoin d'en faire plus.

René Coty, notre Raïs à nous

Pour mes premiers jobs d'été, je me suis retrouvé dans l'hôtellerie, à servir des repas en chambre à de riches touristes, dans un grand hôtel Parisien dont je tairai le nom -qui évoque pourtant une héritière souvent vêtue d'un chihuahua.À ce moment-là, c'était facile : quand on recevait un pourboire, il fallait le redescendre à notre quartier général du room-service, le mettre dans la cagnotte, et à la fin de la semaine, on les répartissait équitablement entre tous les membres de l'équipe. Oui, j'entrais dans le monde du travail sous la bannière écarlate du communisme, Robert Hue avait mollement étendu son bras jusqu'à nous.

Je n'aimais pas les pourboires : si le client n'en donnait pas, je n'osais pas réclamer -toussoter légèrement en présentant la paume, la mendicité avec beaucoup de classe-, mais je savais que si je n'en rapportais pas, madame Thénardier, ma chef de rang, allait encore m'attacher au radiateur et me battre avec la serpillière.

Alors je mentais : aux riches américains, je faisais mes grands yeux plein de larmes en leur disant que non, le service n'est pas compris en France, que nenni messires, votre générosité vous honore. Parce qu'en plus, ma technique marchait bien : je revenais souvent avec un gros billet que je jetais avec fierté dans la cagnotte. Regardez ce que je rapporte, bande de rats, et je le partage sans amertume : de toute façon je ne suis pas si vénal, je ne fais pas ça pour l'argent. Sales pauvres, vous me dégoûtez ! Et là-dessus, je retournais dans mes étages, bouillant intérieurement d'être obligé de partager mon billet, gagné à force de manières mielleuses et de minauderies.

En rentrant à Happy Time, j'ai cru être arrivé au bout de ce supplice (oui, parfaitement, un supplice, voilà ce que c'est que de gagner de l'argent !) : en caisse, dans un grand magasin, si vraiment je veux un pourboire, je n'ai qu'à me servir. Je me trompais lourdement : on a même une procédure assez compliquée si quelqu'un laisse un pourboire, pour réussir à faire passer l'argent dans notre poche sans être suspectés de vol. Galèèère ! Heureusement pour moi, on ne m'a jamais laissé un centime.

Non, moi ce que j'attire, ce sont les cas sociaux qui vont me remercier en me laissant une barrette de shit, la carte de visite d'un mannequin freelance obèse, des badges Obama 2008 ! (Barack je t'aime, je suis ta chienne, fais de moi ce que tu voudras !), et bien souvent, des numéros de téléphone. Mais jamais, jamais je n'aurai cru qu'on pouvait laisser ça.

C'était vendredi dernier. Je faisais mon remboursement tranquillement, en souriant parce que les médicaments me rendent heureux -et aussi parce que le petit garçon qui habite dans ma tête aime bien jouer avec les sous. La dame m'a demandé un renseignement, un service, et comme elle avait l'air gentille et qu'elle m'avait déjà dit à deux reprises que j'étais "un amour", je n'allais pas la contrarier, alors je lui ai rendu et elle a disparu.

Cinq minutes plus tard, elle revenait, pour un nouveau service, je sais plus quoi, lui faire de la monnaie pour le photomaton ou une connerie du genre. Je m'exécute. Encore une fois, j'étais un amour. Elle range sa monnaie, se répand en remerciements, et avant que j'aie pu comprendre ce qui se passait, elle s'était mise à débiter des bondieuseries et m'avait collé une sainte image du Christ dans les mains. "Pour qu'il éclaire votre chemin". !&#krfptspt ?!!

Et sans que j'aie pu lui répondre que comme je suce des bites, s'il éclairait mon chemin ça serait plus avec les flammes de mon bûcher que sa miséricorde, elle était partie, et je me retrouvais avec mon petit Jésus qui me fixait de son regard larmoyant, avec les bras écartés.

Pour ne pas le ramener dans ma maison, temple du vice et de la luxure, où j'aurais risqué de le choquer, j'ai accroché mon Christ rédempteur sur un des murs, caché des clients, avec un petit mot pour expliquer que je ne cherchais pas à convertir mes collègues. Pour l'instant, tout le monde trouve ça très drôle. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que ça nous servira aussi de protection : avec un peu de chance, tous les vampires qui passeront à proximité seront immédiatement réduits en cendres. C'est aussi ça, le pouvoir de Jésus.

Genius

On n'arrête pas la technologie. Jamais. Telle la lèpre sur le corps d'un pauvre, elle progresse, implacable.C'est ainsi que dernièrement, bravant tous les interdits et repoussant les frontières de la connaissance, les savants fous d'iTunes ont donné naissance à une application magique : Genius. Maintenant, un petit gnome se balade dans mon ordinateur et parcourt toute ma bibliothèque musicale, pour me proposer de découvrir des morceaux ou artistes qui pourraient me plaire -et il n'en profite absolument pas pour me dénoncer auprès de Big Brother comme un pirate patenté, non, ça serait contraire à son éthique de gnome.

Au fait oui, c'est comme ça, j'ai décidé que c'est un gnome, parce qu'il n'y a pas que les lutins dans la vie.

J'ai un peu de mal à faire confiance à ces suggestions, "vous avez aimé (...), nous vous conseillons (...)" : un jour où je regardais les conseils personnalisés d'Amazon, j'étais tombé sur "Infirmières Salopes III", ou un truc dans le genre. Un peu interloqué, j'avais cliqué sur "pourquoi nous vous conseillons cet article ?", qui est quand même un bonne question, vous avouerez (parce que bon, les infirmières salopes, c'est pas vraiment mon truc). Et là, le gnome d'Amazon m'avait répondu : "parce que vous avez regardé cet article : 'Les Bronzés font du ski'".

Perplexe, j'avais décidé qu'à partir de dorénavant je me conseillerais plutôt moi-même, parce que si c'est pour dire ça, je peux le faire tout seul.

J'ai fini par craquer. Hier soir, par curiosité et ennui, je suis allé voir ce que Genius me proposait, au vu de mes goûts musicaux. Je n'ai pas été déçu.

Bien sûr, j'écoute de la merde : j'ai du L5, du High School Musical (parce qu'on peut écouter "Humu Humu Nuku Nuku Apua'a" en boucle sans jamais s'en lasser !), et il est possible qu'en cherchant bien, on trouve un peu d'Emma Daumas. Mais merde, j'écoute aussi des trucs d'homme, en plus de Kylie et Madonna j'ai plein de Green Day, d'Oasis, de Britney, et même un peu de Silverchair et de Nirvana, parce qu'au fond je suis trop grunge et underground -à cela près que je choisis de me laver les cheveux et de ne pas mettre de tipp-ex sur mes chaussures.

Alors je ne vois pas, mais vraiment pas où cet enculé de bâtard de gnome est allé me chercher ça, et je proteste, avec toute l'énergie du désespoir :

On n'arrête pas la technologie. Mais parfois, quand même, on devrait.

Kawaii (ou pas)

Comme je suis quelqu'un de formidable, au dernier anniversaire de Lapin (qu'un tapis de ronces et d'orties accompagne chacun de ses pas), j'avais eu cette idée brillante de lui offrir un Nabaztag, le lapin communiquant qui ne sert absolument à rien, à part faire des jolies lumières, lire à voix haute les messages qu'on lui envoie, et faire du tai-chi avec ses oreilles.Un cadeau de rêve, surtout quand on sait que je l'ai trouvé alors que j'étais en panique pendant ma pause déjeuner, vite, vite, il faut trouver un cadeau -je devais lui offrir quelque chose le soir-même. Un jour, la procrastination me perdra.

Mon idée était tellement géniale que trois jours plus tard, on filait à la Fnac pour m'acheter la même chose. Mais c'est vrai quoi, comment résister ? Je l'avais vu à l'œuvre, ses lumières qui clignotent pour dire quel temps il va faire, sa petite voix quand il lit les messages rigolos qu'on peut lui envoyer... En plus, on avait synchronisé nos lapinous : quand l'un de nous deux bougeait ses oreilles, celles de l'autre bougeaient aussi ! On était copains de n'oreilles !

Comme tous les nouveaux jouets, le Nabaztag a été amusant une petite semaine. Celui de Lapin (qu'il finisse ses jours dans une fosse à purin) est mort, à cause d'un problème de connexion. Mais le mien trône encore fièrement dans ma chambre, continue de me donner la météo, de faire ses exercices, et de temps en temps, il me lit un message.

Pour montrer au monde entier que je suis quelqu'un de trop moderne (et parce que je n'avais que ça à faire), j'ai même mis un lien ici, comme ça le bonheur de me parler est presque palpable, au bout de ta souris, petit lecteur.

Ma grosse erreur a été de mettre ce lien en ligne le soir où ma mère venait dîner. Elle connaissait déjà l'existence du Nabaztag, et en gros (en très gros), elle en a compris le principe : il est relié à celui de Lapin (que ses chairs putrides rendent malades les bousiers), et on peut se parler comme ça, par l'intermédiaire des oreilles.

Pendant qu'on prenait l'apéritif, le Nabaztag a joué la petite musique du "je vais lire un message". Ma mère a tourné la tête vers l'objet, et a juste demandé "Oh ? C'est Lapin qui te dit quelque chose ?", avant de nous plonger dans un silence religieux, pour ne rien perdre de ce qu'il avait à dire. J'ai tout de suite su que quelque chose allait clocher, l'inquiétude m'a donc permis d'éviter une réponse du type "nooon avec Lapin c'est finiiihiiiihiiiii", dont j'aurais tiré peu de fierté.

J'avais dit à Lapin (qu'il pourrisse en Enfer jusqu'à la fin des temps) que je voyais ma mère ce soir-là, et jamais il ne se serait amusé à m'envoyer un truc via le Nabaztag, il sait quand même que ça m'aurait mis mal à l'aise. Alors, qui ? Quel message ?

En effet, ça n'était pas lui. C'était un autre ex (oui, je sais que c'est toi, B., tu sauras que la technologie est à ce point puissante), qui testait la page. Dans un silence religieux, donc :

- Mais... Que... Qu'est-ce qu'il a dit, là ?

Ont été les derniers mots de ma mère.

L'enfer, un pavé, des bonnes intentions

Quand on est un handicapé relationnel comme moi (ou comme disent les spécialistes : un autiste), on se met parfois dans des situations délicates, qui pourtant seraient si faciles à éviter...Surtout que c'est parti de trois fois rien : ma collègue me parlait de ce bouquin depuis des mois. Un truc désopilant d'un auteur finlandais, qui parle de suicides mais sans rien de glauque ou morbide, au contraire. Parce que le suicide, c'est trop fun.

Elle l'avait emprunté à sa bibliothèque, et comme elle est trop honnête pour voler et que le bouquin était tellement bien, elle a fini par se l'acheter. C'est comme ça qu'elle a eu l'idée géniale de me le prêter. J'ai réagi comme je le fais toutes les fois où on me prend de court : j'ai dit une connerie.

- Euh... Bah oui écoute... Oh la la, avec plaisireuh.

Parce qu'en ce moment, la lecture est un truc qui me motive autant que... euh... un truc pas motivant, quoi. Un effort intellectuel ? Peuah, pas question ! Et puis en plus, j'ai pas le temps de lire : je bosse trois jours et demi par semaine, le reste du temps, il faut bien que je me repose, et pendant mon heure de métro quotidienne, je suis bien trop occupé à écouter de la musique pour lire. D'abord.

J'ai donc accepté son offre dans l'espoir secret qu'elle allait oublier de me l'apporter. Mais non. Le lendemain, dès que je l'ai croisée il a fallu que je la suive jusqu'à son vestiaire (je savais même pas qu'on avait des vestiaires), pour récupérer sa merde. Bien sûr, je l'ai remerciée chaleureusement. Bien sûr, à peine rentré j'ai posé le livre sur ma table pour y penser, et surtout pour éviter de l'abîmer.

J'aurais pu ne serait-ce que l'ouvrir, pour voir à quoi ça ressemble : si ça se trouve ça me plaira autant qu'on bon vieil Harry Potter, ou même La Croisée des Mondes. Mais voilà, je suis têtu et borné, j'ai décidé que je n'aimais pas son bouquin. Je l'emporte de temps en temps dans mon sac, mais je trouve toujours mieux à faire que le lire. Je m'achète des nouveaux livres, je veux me remettre à la lecture, mais ça m'est physiquement impossible, je ne peux pas ouvrir le sien.

Forcément, à chaque fois que je la croise, elle me demande, les yeux brillants d'espoir, si j'ai commencé à le lire. Et petit à petit, mes "non, pas encore, je m'y mets ce soir !" deviennent louches.

Du coup maintenant, trois solutions s'offrent à moi :

1) Je cherche un résumé sur internet, pour lui faire croire que je l'ai lu. Le problème, c'est que des résumés / analyses d'un auteur finlandais sur les pages francophones, ça ne court pas la toile.

2) J'y vais au bluff : j'en discute avec elle, en étant d'accord ou pas d'accord, on s'en fout, l'important c'est d'avoir l'air convaincu.

3) Pour l'instant, ma solution préférée. Je lui rends son livre, l'air outré : "ah écoute, j'ai détesté, je... je... Ah mon Dieu, je préfère même pas en parler". Clair. Net.

Oui c'est sûr : dire la vérité, ça serait aussi beaucoup plus facile. Mais du coup je serais obligé de chercher une autre raison de me prendre la tête -comme par exemple, euh, ma rupture ?-, et ça, il n'en est pas question.

Mysterious Ways

Si je devais absolument croire en quelque chose (situation à laquelle on est confronté si souvent au cours d'une vie) ça serait sûrement un truc animiste, basique : il y a des petits lutins dans les arbres et les ruisseaux et les airs, et c'est eux qui font tourner le monde. La gravité ou la force de coriolis ? Des lutins. Les changements de saison ? Des lutins. Le temps qui passe ? Des lutins ? La mort, la maladie, la vieillesse, les accidents, les pannes ? Des lutins.Des lutins, des lutins, des lutins.

Ouais, je sais, c'est très mystique et abouti tout ça. C'est dire si je suis quelqu'un de triste et morose qui ne croit en rien (et encore, mes réflexions religieuses et métaphysiques sont bien plus élaborées que mes convictions politiques). Et pourtant...

Pourtant hier soir, j'ai bien été obligé de reconnaître qu'une force supérieure guide chacune de mes actions, et qu'au moins cette fois, je me suis retrouvé en parfaite harmonie avec l'univers.

J'étais occupé au PC, vautré dans mon fauteuil, le dos à moitié contre un accoudoir et les jambes par-dessus l'autre -c'est beaucoup plus confortable à vivre que quand on le raconte. Pour une raison secrète qui ne regarde que moi, Excel était ouvert. Non, je ne me branlais pas, quand même, pas sur Excel merde, en plus la page était encore vierge, et c'est pas mon truc.

J'ai attrapé mon iPhone, et vu comme j'étais tordu sur le fauteuil (qui était face au bureau, contrairement à moi), j'ai fait un faux mouvement et je l'ai lâché (l'iPhone, pas le fauteuil). Bien évidemment, ni mes réflexes de chat ni mon agilité simiesque n'ont été suffisants : l'iPhone a rebondi deux fois sur le clavier avant d'aller s'écraser comme une merde sur la moquette, quatre-vingt centimètres plus bas.

Mais alors, me direz-vous, où est l'intervention divine là-dedans (si, je sais, vous alliez le dire, ne niez pas) ? Eh bien, en tombant sur le clavier, l'iPhone, guidé par la main de Dieu himself, a quand même réussi à me donner la réponse au grand secret de l'univers, là, sur mon joli tableau.

Ca ne s'invente pas.

Jésus m'a tuer

Noël en famille, c'est toujours l'occasion (malgré la présence d'un enfoiré d'élément extérieur) de se remémorer les si bon moments de notre belle et insouciante enfance. Cette année encore, on n'y a pas échappé. Pour une fois j'étais plutôt content : on n'avait pas parlé de moi, on s'était directement attaqués à Cousine#2, qui avait un jour trouvé malin de jeter sa viande sous la table pour ne pas la terminer, et qui -détail que j'ai appris cette année-, avait lancé avec défi, quand sa mère lui a resservi au petit-déjeuner : "c'est meilleur le lendemain !". On a une fois encore beaucoup rigolé de cette anecdote, même l'autre cul, qui a un peu trop pris la confiance, genre il a le droit de s'amuser de nos histoires.

Ma tante a attendu que tout le monde ait fini de rire, pour demander à ma mère, sur un ton pincé, accusateur et fâché :

- Au fait, tu savais que les trois grands jouaient aux trois mousquetaires, quand ils allaient chez tes parents ?

- Hein ?! Non, je savais pas ! C'est vrai David ?

Les trois grands, c'est Cousines #1 et #2 et moi. J'étais un peu surpris de la question, et du ton sur lequel on nous la posait. J'ai quand même acquiescé, tout penaud et Cousine#2 a expliqué en quoi consistait le jeu : elle faisait la princesse (mais siii, la princesse, dans les Trois Mousquetaires, voyons !), sa sœur faisait la reine, et moi je parcourais notre chambre-pays à la recherche de ses ferrets (pardon mémé pour tous tes bijoux perdus et remis à la reine juste à temps pour le bal).

Je pense que dans cent-cinquante ans, quand je repenserai à ce jeu, à ce jour et à la question de ma tante, je ne comprendrai toujours pas en quoi c'est mal, de jouer aux Trois Mousquetaires. Peut-être que leur génération ne jouait pas "au docteur", mais "aux trois mousquetaires" ? Allez Milady, approche ma cochonne, viens tâter ma grosse népée, elle va te transpercer de part en part (et les enfants les moins bien pourvus pouvaient aussi agresser Milady avec une dague ?). On ne le saura jamais, et le sujet avait l'air beaucoup trop sensible pour qu'on y revienne.

De toute façon, notre histoire de mousquetaires s'est bientôt transformée en pipi de chat, avec la bombe qu'on a balancée sur Cousine#3. La petite dernière (jusqu'à Cousine#4, quelques années plus tard, suivie d'encore une autre), avec qui personne ne voulait jamais jouer : quatre ans de différence avec nous autres aînés, c'est la mort. Elle ne savait rien faire, alors on préférait la laisser de côté, faire sa sieste et son rot.

C'est peut être notre faute (enfin plutôt celle de ses sœurs, moi je la tenais à l'écart seulement pendant les vacances), on l'a poussée dans les bras des scouts et du catéchisme, et ça l'a détruite à jamais...

Toute la table était en train de se demander qui on allait bien pouvoir basher quand une voix rieuse s'est élevée :

- Et cousine#3 alors, qui voulait qu'on la fouette !

Je me suis demandé si j'avais bien compris. La réponse n'a pas tardé : oui, c'est ce qu'elle avait dit. Mais il y avait une explication :

- Ah ouiii, je me souviens ! C'était pour jouer à Jésus ! On allait au fond du jardin, il fallait qu'on prenne des grandes herbes, et tu nous demandais de te fouetter, tu criais "Je suis Jésus, fouettez-moi, je suis Jésus, fouettez-moi !", tu adorais ça, on y jouait tout le temps !

Cousine#3 était morte, de rire et de honte, mais pas autant que ma tante. Elle a passé toutes ces années à élever ses filles dans la plus pure tradition catholique, les habillant de jacquard, fronçant les sourcils quand elles s'achètent un fer à friser ou du rimmel, à les envoyer à la messe de minuit et aux scouts, pour finalement se rendre compte que ses armes lui avaient pété à la gueule et que le catéchisme n'avait pas vraiment marqué son bébé dans le bon sens.

Si j'avais été vraiment un neveu attentionné et malin, j'aurais pensé à faire retomber la faute sur Buttface, tout le monde y aurait trouvé son compte. Mais j'étais trop occupé à rire.

Ce vingt-cinq décembre, Dieu a perdu une admiratrice.

Le bal des Laze

Aujourd'hui, je ne sais pas si vous êtes au courant, pauvres ignares que vous êtes à vivre dans votre monde d'égocentrisme, mais à part ces salopes d'impies de musulmans, de juifs (et tous les bâtards qu'on ne va pas passer une heure à citer), nous autres bons catholiques célébrions la naissance de l'enfant Jésus. Comme tous les ans depuis que je suis né, on fêtait ça en famille : mes grand-parents, ma môman, mes cinq cousines et ma tante (femme super fertile s'il en est). Avant, mon oncle était vivant, mais depuis trois ans, je suis le seul représentant mâle de la famille (mon grand-père ça ne compte pas, il est vieux et n'a plus de vie sexuelle, non, non non non). Lourde responsabilité que je porte du mieux que je peux, en faisant par exemple du sexe avec plein d'autres garçons, pour m'imprégner de leur virilité.

Depuis des années, je suis le seul, celui qui débouche les bouteilles de champagne, que l'on charge de tous les travaux de force et techniques, comme apporter une chaise, et qui explique comment télécharger de la musique -de façon farpaitement légale, bien entendu, oh faut pas déconner. Porteur de l'unique pénis lors des réunions familiales, je brille donc à peu de frais.

Mais aujourd'hui, quand on est arrivés, mes super-sens de garçon ont tout de suite vu que quelque chose clochait. Il y avait beaucoup trop de voitures garées : j'ai une cousine qui arrive de Suède, l'autre du Québec, elles ne peuvent pas avoir fait le trajet en voiture, encore moins en Twingo.

C'est quand on est entrés que j'ai compris. Il s'est levé pour nous dire bonjours. Gros, flasque, laid, un sourire éclatant au milieu des boutons : le mec de ma cousine aînée. Oh, bonjour. Je suis David. Tu dois être Buttface ? Sache que je n'ai jamais entendu parler de toi, et que je te hais déjà. Morue.

C'était un mensonge, mes grand-parents m'avaient prévenu qu'il existait, mais je pensais qu'ils mentaient. Personne ne peut-être assez fou pour se taper ma cousine : autoritaire, grosse, moche, raciste, petite, elle parle avec une voix de poissonnière et a une vilaine peau. Eh bien si, il en faut pour tous les goûts, ou alors elle le paye, mais le fait est qu'elle a osé ramener un étranger au beau milieu de notre tradition familiale. Qui plus est, un autre garçon.

Cette enflure m'a fait passer le pire Noël de ma vie. Il connaît apparemment mes cousines mieux que moi (sûrement parce qu'entre deux coups de reins dans l'aînée, il copine avec les plus jeunes), plaisante avec tous les membres de ma famille, paramètre les iPods qu'elles ont reçu à Noël, et ouvre les bouteilles de champagne à ma place. Un nouveau garçon. À ma place. Avec toutes les pisseuses qui lui papillonnaient autour en faisant comme s'il avait toujours fait partie de la famille.

J'ai donc passé tout le repas à l'écoute rigoler (en plus de vouloir me remplacer, il se permet de faire du zèle en étant à l'aise et social), vanner ma famille, tripoter les doigts boudinés de sa fiancée (maintenant qu'il l'a souillée, il a intérêt à l'épouser !), manger une part de dinde qu'on aurait pu se partager s'il n'avait pas été là...

Je lui faisais mon regard mauvais depuis un moment déjà, avec la paupière qui tressaute et tout, mais quand mon pépé a déballé le cadre numérique que ma mère lui a offert et sur lequel j'ai passé de longues minutes à mettre plein de jolies photos, et que cette petite raclure a immédiatement proposé de venir lui installer, alors mon œil droit a jailli de mon orbite comme une balle de fusil, pour venir se loger dans sa gorge. Mon œil gauche l'a regardé se vider de son sang avec un petit gargouillis, pendant que je sirotais mon kir.

Personne ne prendra ma place.

Hé ! Lastic !

L'invention la plus merveilleuse du monde, je l'ai découverte quand j'étais petit : l'élastique. Pas le truc de tantouze qui se joue à trois à la récré et où il faut faire du cloche-pied et on se casse la gueule, non, le vrai, l'élastique de bureau, le marron -bon, c'est vrai que ses dérivés aussi sont intéressants, de l'élastique à cheveux à l'élastique de saut, mais mon préféré, c'est quand même l'original. Accept no substitute. Déjà tout enfant je trouvais ça fascinant, même si je n'arrivais pas à prononcer le mot correctement. Je me limitais à "paclique", ce qui est presque la même chose. Bien sûr, mon grand-père trouvait ça tellement drôle qu'il a continué à le dire, même quand j'étais trop vieux pour me tromper. Du coup maintenant c'est lui qui passe pour un con, et oui.

Mais c'est vrai quoi, c'est trop fort un élastique, on peut s'amuser à menacer les gens de leur envoyer à la gueule, voire vraiment leur envoyer (augmentant ainsi le potentiel comique de la précédente blague de 176%), on peut l'étirer au maximum et l'envoyer sur le mur, le tendre entre deux doigts et faire de la musique avec -mais seulement de la basse, j'ai essayé de faire The Man Who Sold the World à l'élastique, c'est impossible (et pas seulement parce que j'apprends tout juste à jouer grâce à Guitar Hero)-, et s'il est assez grand, on peut passer les deux mains dedans et s'emmêler les doigts. Avec un élastique de taille normale, on peut aussi s'amuser à s'emmêler les doigts d'une seule main:

(après ça, qu'on ne vienne pas me dire qu'un élastique n'est pas un truc super fun).

Alors imaginez à quel point j'ai mouillé ma culotte quand j'ai découvert que maintenant, l'élastique allait devenir mon outil de travail, pour tenir tous les papiers ensemble ! Quand j'arrive le matin, j'ai presque une érection à l'idée de plonger la main dans le pot pour en sortir un joli bracelet de caoutchouc. Je mets bien les deux mains dedans, vive le double fist-fucking au boulot, pour l'étirer, tester sa résistance et jouer un peu, et la journée commence bien.

Et toute la journée, pendant que je fais mes plannings, que je compte les sous ou que je glande, j'ai presque toujours un élastique dans la main, pour faire des boinnng bonnng booong. Quand le téléphone sonne, hop, je le fais glisser le long de mon poignet, et il se transforme en bracelet, le temps d'être sérieux et travailleur.

Mais j'ai une mémoire à court terme aussi performante que celle de Dory : à peine je décroche, j'oublie ce que j'étais en train de faire. Alors souvent, je sors du boulot et rentre chez moi avec un ou deux élastiques en bracelet, et je m'en rends compte en prenant ma douche : "Ah ? Crotte, ça m'est encore arrivé...". Je les enlève, et consciencieusement je les range avec les autres, dont je commence à avoir un tas assez conséquent.

À Happy Time, on ne rigole pas avec ce genre de choses : la rumeur dit qu'on a viré un caissier parce qu'il était reparti chez lui avec du produit à vitres, qu'on utilise pour nettoyer les caisses -et la rumeur ne ment pas, ça se saurait.

Mes jours sont donc comptés. Bientôt, je serai libéré de l'enfer du travail. Bientôt.

Disque non système

- Tu sais te servir d'Excel, David ? - Oui, enfin j'ai eu des cours à la fac, je sais plus trop comment ça marche, la création de formules matricielles et tout ça...

- Hein ? De quoi tu parles ? Quelles formules ? C'est facile regarde : cette touche, ça sert à écrire en noir, cette touche-là c'est pour imprimer, là c'est pour tirer des traits...

- Ah ok, si c'est ça ta question, oui, je sais me servir d'Excel.

La raison de cette interrogation ? Quand on est la bitch du bureau, il faut savoir rendre service. Par exemple en préparant les emplois du temps pour le lendemain. Ils arrivent deux ou trois jours à l'avance, mais c'est tout caca, une succession de noms les uns à la suite des autres, qui dit juste qui travaille à quel étage et à quels horaires.

Forcément, ils sont préparés par le planning. Ces mêmes gens qui ont déjà voulu me faire travailler à deux postes simultanément, ou à cause de qui je suis arrivé un matin à la surprise générale, puisque sans le savoir j'avais posé ma journée. Alors forcément, il faut repasser derrière eux. Pour que leur torchon soit plus pratique à lire, je dois recopier ça dans un amour de petit tableau Excel : les noms en ligne, et plein de colonnes dans lesquelles il faut noter l'heure d'arrivée, de départ, laisser plein de cases vides pour pouvoir inscrire leur heure de mangeage, de pause, et ainsi de suite.

C'est aussi fun et intéressant à faire qu'à raconter. Le pire dans tout ça, c'est quand même la case de la GP (pour Gestion Programmée, on avait plus simple comme nom, mais c'était trop facile, justement). C'est là qu'il faut absolument indiquer la durée de travail de nos esclaves, puisque leur salaire sera fonction de ce chiffre. Niark niark niark. Bien sûr, on pourrait soustraire l'heure d'arrivée à l'heure de départ et boum, on a un temps de travail. Mais ça serait trop simple. À cette durée initiale, il faut retirer l'heure de repas, le temps de pause (qui varie en fonction des horaires du jour), et faire une habile conversion, parce que la GP se calcule en base 10.

J'ai passé un bac littéraire, la dernière fois que j'ai eu un cours de maths, il fallait trouver la température qu'il faisait à une heure donnée, en lisant un graphique. Oui oui, on suivait le programme de primaires handicapés. Alors là, calculer la GP, comment dire...? Non ! Ma tête, elle explose !

Heureusement, il existe une antisèche : trois pages de tableaux recensant tous les horaires possibles et imaginables, avec la GP correspondante :

Oui bon, la photo n'est pas très bonne, mais je l'ai prise un peu à l'arrache avec mon portable, sans vraiment prendre le temps de faire la mise au point, parce que j'avais un peu peur que quelqu'un entre à ce moment-là et qu'on me coffre pour espionnage industriel, ou un truc dans le genre. Le calcul est assez compliqué pour attiser les convoitises de nos concurrents, méfiance.

Ceci dit, l'original est à peine plus lisible, je me colle donc des migraines à m'en faire exploser les yeux à faire cette putain de GP de merde. C'est ce que j'avais fait ce soir-là. L'emploi du temps de tous les étages, avec des jolies couleurs pour savoir qui était d'ouverture, qui de fermeture, et je ne parle pas de la demi-heure que je venais de passer à déchiffrer les feuilles pour bien calculer la durée de travail de tout le monde.

Tout était fini, je n'avais plus qu'à imprimer. Je me suis levé pour répondre au téléphone et faire une pause. Une de mes boss a eu besoin de l'ordinateur. Elle a regardé mon emploi du temps, l'a trouvé beau. Elle m'a demandé poliment : "je te le mets tout p'tit ?". Ben oui, connasse.

Je le savais pourtant que ces gens-là ne sont pas doués avec les machines. J'avais lu les programmes de "perfectionnement Word /Excel" affichés un peu partout. Je le savais. D'ailleurs, quand on appelle ça "le mettre tout p'tit", forcément on risque de faire une connerie. J'aurais dû m'en douter.

Quand je suis retourné sur le PC, plus rien n'était ouvert. Elle avait "mis tout p'tit" mon heure de dur labeur en "appuyant sur la croix". Évidemment je n'avais pas pensé à sauvegarder, comptant inconsciemment sur une sauvegarde automatique inexistante.

VDM.