La mère suffisamment bonne

Un des rares souvenirs de mes années perdues en fac de psycho -en plus des cours sur les bébés qui offrent leurs premières selles, et cet exposé que j'avais dû faire sur la théorie de la relativité-, c'est Winnicott et ses histoires de mère suffisamment bonne. En gros, une mère parfaite, ça n'existe pas, on peut juste espérer qu'elle soit assez bonne, ni trop, ni trop peu.Un peu comme la mienne.

Mais un petit exemple vaut mieux qu'un long discours.

La scène suivante se déroule au téléphone. Un fils (on va dire que c'est moi) tente d'expliquer à sa génitrice un vice de fabrication : sa fausse dent, là, sur le devant, a tellement bougé qu'il a en permanence l'impression d'avoir une brique à la place de son incisive. Il lui raconte donc comment, ivre de douleur, il a pris rendez-vous chez le dentiste.

Action.

- Blabla blablabla bla bla bla blablablabla bla bla ! Blablabla bla, bla bla BLA ! Bla bla blabla bla...

- Euh, sinon maman, je dois aller chez le dentiste, parce que j'...

- Ah oui, moi aussi j'ai pris rendez-vous chez le dermato, parce que bla bla blablabla bla, bla blablabla bla. Bla blabla blablabla blabla...

Au bout d'un moment, l'information qu'elle vient de recevoir est correctement traitée par la mère suffisamment bonne. Elle peut donc interrompre sa diarrhée verbale, et montrer, par un mot simple, qu'elle a compris ce qu'on lui disait :

- Ah bon ? Mais... Chez le dentiste ? Pourquoi ?

- Ouin, incisive, bougé, brique, aïeuh, ouin.

Bon en fait j'ai fait une phrase un peu plus élaborée hein, j'ai même réussi à glisser que j'avais tellement mal que je me shootais toute la journée à l'ibuprofène, sinon c'était intenable. Égoïstement, je m'attendais à être plaint. Peut-être un mot de réconfort. D'encouragement. De désolation. Tout, mais pas ça :

- Ah. Et tu en prends beaucoup ? Parce qu'avec trop d'ibuprofène, tu risques l'ulcère.

- ...

- Et tu sais que pour mon pied, je suis allée voir le médecin et blablabla bla bla...

Je suis sûr qu'elle a dit ça rien que pour m'embêter : elle sait très bien que j'ai un estomac bionique, et que je pourrais digérer des dalles de béton, si un jour j'étais amené à devoir en manger, on sait jamais. Surtout que depuis, sans être hypocondriaque, à chaque comprimé avalé, j'ai l'impression de sentir mes entrailles se liquéfier, et le trou de mon estomac qui grandit, grandit...

Quoi qu'il en soit, la fenêtre était passée. J'avais loupé le train pour Plains-moiVille, et je me retrouvais à nouveau coincé dans l'omnibus de Saoule-moi sur Mer. Mais ma maman n'est pas comme ça. Elle entend ce que je lui dis, et a une bonne mémoire. Là par exemple, elle s'est souvenu, juste à temps, que le dentiste chez qui je vais est juste à côté de chez elle : c'est elle qui s'occupe de moi depuis le début, alors je retourne toujours la voir.

- Oh ? Mais ? Tu vas voir le Docteur Àcôté ?

- Ben oui, tu ne lis pas ce que je viens d'écrire sur mon blog, ou quoi ?

- Tu pourras passer me voir en sortant, alors. J'ai toujours la freebox à installer, hein...

Tout est là, pas besoin d'en faire plus.