L'insouciance des vacances

Il y a un an, presque jour pour jour, je passais une nouvelle étape dans ma douloureuse exploration du monde des grands : pour la première fois de ma vie d'adulte, je posais mes congés d'été. En vingt six ans, c'est un problème auquel je n'avais jamais été confronté : les vacances faisaient partie de la vie, quatre mois de repos après chaque année scolaire, un peu plus avec la fac.Mais là, je devais choisir des dates, qu'elles soient acceptées, et on me donnait quatre mois pour y réfléchir, alors que j'ai déjà du mal à me projeter d'une semaine sur l'autre. Trop dure la vie !

Surtout que les vacances, ça n'est pas vraiment mon truc : je n'aime pas le soleil, je m'ennuie à la plage, et au bout d'une semaine, ma maison me manque et je deviens comme E.T., à vouloir fabriquer une antenne avec des boîtes de conserve pour qu'on vienne me chercher.

Je m'étais longuement trituré les méninges : une décision comme ça, on ne la prend pas à la légère. J'avais fait plein de diagrammes compliqués, avec des courbes et des formules mathématiques pas encore découvertes. J'avais passé des heures à l'ordinateur, à faire des recherches et des comparaisons à m'en brûler les yeux, pour arriver à un savant résultat : je poserais deux semaines tout début juin, et pitètre une autre fin octobre.

C'était la combinaison idéale. Un peu de temps pour souffler avant de partir quelques jours me changer les idées, et j'avais une semaine pour me remettre de cet arrachage à mon foyer doux foyer. Le plan infaillible, surtout qu'à cette période-là il ne ferait pas encore trop chaud.

Curieusement, quand j'ai donné mon projet à Girafa, avec mes grands yeux brillant d'espoir, tout inquiet à l'idée qu'elle me dise "non écoute, il y a déjà trop de monde sur ces dates-là, refais-moi tout ça", elle a rigolé, et m'a dit oui tout de suite. L'avantage de ne pas supporter les températures supérieures à vingt degrés, c'est que personne ne se bat pour partir en même temps que moi.

Plus la date approchait, plus j'étais tout fou et intenable. Mes premières vacances choisies, les miennes, à moi, pas à des dates imposées par le calendrier scolaire ! Yipppeee ! J'étais tellement joyeux que j'ai eu envie de faire un peu mon kéké.

J'ai réfléchi à une blague pendant des jours et des jours, jusqu'à lui donner la perfection du diamant : ma dernière semaine de boulot, j'attends qu'il y ait assez de monde dans le bureau. Ni trop, sinon je passerai inaperçu, ni trop peu, sinon ça ne sert à rien. Quand ils sont assez nombreux, je fais mine d'aller voir l'emploi du temps de la semaine à venir, et je commence à m'inquiéter : "Ralala c'est bizarre, je suis pas sur les plannings de la semaine prochaine !", histoire d'attirer l'attention sur moi. Et quand tout le monde s'interroge, la résolution de mon hilarant gag arrive, cerise sur un gâteau que tous vont bientôt m'envier : "ah ben chuis bête ! C'est mes vacances, bande de moules !". Et je n'ai plus qu'à partir, impérial.

Le jour J, je suis donc arrivé dans le bureau, en pouffant à l'idée du bon tour que j'allais leur jouer. J'ai attrapé le planning de la semaine suivante, et ouvert des grands yeux pleins d'effroi : j'étais encore noté dessus. Plan B ! Plan B !

Je me suis mis à pousser des hurlements effarés en courant partout dans le bureau, pour expliquer à qui voulait l'entendre mon horrible situation. Pour me calmer, on m'a conseillé d'appeler Girafa sur le champ. Elle m'a alors expliqué que suite à un malheureux concours de circonstances, elle avait oublié de communiquer mes dates de vacances aux filles du planning, qui ne savaient donc pas que je ne serais pas là, et comme on en avait parlé deux mois plus tôt, Girafa m'avait complètement zappé.

C'était aussi un peu ma faute : en bon puceau des congés, je ne savais pas qu'il fallait signer un papier pour montrer qu'ils avaient été acceptés, genre une conversation ne suffit pas pour les valider, bureaucratie de merde. J'avais passé mon dernier jour de boulot avec des sueurs froides partout dans le dos, parce que sans mon papier, pas de Copenhague. Et comme ils demandent en février de leur rendre nos projets de dates d'été, je risquais de me faire envoyer bouler, en m'y prenant vingt-quatre heures à l'avance. Heureusement, tout avait fini par s'arranger.

Alors cette année, je m'y suis pris différemment. Déjà, j'ai ressorti le tableau Excel de la dernière fois, pour reposer les mêmes dates. Une nouvelle fois, Girafa a ricané quand je lui ai dit à quel moment je souhaitais partir.

Le jour du départ approche : dans trois semaines c'est la quille. Et cette fois-ci, j'ai bien remarqué que je n'avais -à nouveau- pas signé mon bon de sortie, on me la fera pas deux fois de suite ! J'ai donc tout de suite appelé Girafa. Trois semaines avant le départ. Deux mois après avoir posé mes dates.

- Allô, c'est David bordel. Je t'appelle parce que je n'ai toujours pas signé pour mes vacances, et l'autre moche là-bas, elle part après moi et elle a déjà eu son papier, d'abord !

- Ah, justement je voulais t'en parler, parce que pour moi, tu fais partie des gens qui ne m'ont pas encore donné leurs dates...

J'ai insisté pendant dix minutes, en faisant intervenir tous les détails qui pouvaient me revenir : ce qu'elle portait, où on se trouvait, les réactions qu'elle a eues... Mais rien. Elle ne se souvient absolument pas qu'on ait eu une conversation au sujet de mes vacances.

Si j'étais parano, je pourrais croire qu'elle m'en veut.