Le bal des Laze
Aujourd'hui, je ne sais pas si vous êtes au courant, pauvres ignares que vous êtes à vivre dans votre monde d'égocentrisme, mais à part ces salopes d'impies de musulmans, de juifs (et tous les bâtards qu'on ne va pas passer une heure à citer), nous autres bons catholiques célébrions la naissance de l'enfant Jésus. Comme tous les ans depuis que je suis né, on fêtait ça en famille : mes grand-parents, ma môman, mes cinq cousines et ma tante (femme super fertile s'il en est). Avant, mon oncle était vivant, mais depuis trois ans, je suis le seul représentant mâle de la famille (mon grand-père ça ne compte pas, il est vieux et n'a plus de vie sexuelle, non, non non non). Lourde responsabilité que je porte du mieux que je peux, en faisant par exemple du sexe avec plein d'autres garçons, pour m'imprégner de leur virilité.
Depuis des années, je suis le seul, celui qui débouche les bouteilles de champagne, que l'on charge de tous les travaux de force et techniques, comme apporter une chaise, et qui explique comment télécharger de la musique -de façon farpaitement légale, bien entendu, oh faut pas déconner. Porteur de l'unique pénis lors des réunions familiales, je brille donc à peu de frais.
Mais aujourd'hui, quand on est arrivés, mes super-sens de garçon ont tout de suite vu que quelque chose clochait. Il y avait beaucoup trop de voitures garées : j'ai une cousine qui arrive de Suède, l'autre du Québec, elles ne peuvent pas avoir fait le trajet en voiture, encore moins en Twingo.
C'est quand on est entrés que j'ai compris. Il s'est levé pour nous dire bonjours. Gros, flasque, laid, un sourire éclatant au milieu des boutons : le mec de ma cousine aînée. Oh, bonjour. Je suis David. Tu dois être Buttface ? Sache que je n'ai jamais entendu parler de toi, et que je te hais déjà. Morue.
C'était un mensonge, mes grand-parents m'avaient prévenu qu'il existait, mais je pensais qu'ils mentaient. Personne ne peut-être assez fou pour se taper ma cousine : autoritaire, grosse, moche, raciste, petite, elle parle avec une voix de poissonnière et a une vilaine peau. Eh bien si, il en faut pour tous les goûts, ou alors elle le paye, mais le fait est qu'elle a osé ramener un étranger au beau milieu de notre tradition familiale. Qui plus est, un autre garçon.
Cette enflure m'a fait passer le pire Noël de ma vie. Il connaît apparemment mes cousines mieux que moi (sûrement parce qu'entre deux coups de reins dans l'aînée, il copine avec les plus jeunes), plaisante avec tous les membres de ma famille, paramètre les iPods qu'elles ont reçu à Noël, et ouvre les bouteilles de champagne à ma place. Un nouveau garçon. À ma place. Avec toutes les pisseuses qui lui papillonnaient autour en faisant comme s'il avait toujours fait partie de la famille.
J'ai donc passé tout le repas à l'écoute rigoler (en plus de vouloir me remplacer, il se permet de faire du zèle en étant à l'aise et social), vanner ma famille, tripoter les doigts boudinés de sa fiancée (maintenant qu'il l'a souillée, il a intérêt à l'épouser !), manger une part de dinde qu'on aurait pu se partager s'il n'avait pas été là...
Je lui faisais mon regard mauvais depuis un moment déjà, avec la paupière qui tressaute et tout, mais quand mon pépé a déballé le cadre numérique que ma mère lui a offert et sur lequel j'ai passé de longues minutes à mettre plein de jolies photos, et que cette petite raclure a immédiatement proposé de venir lui installer, alors mon œil droit a jailli de mon orbite comme une balle de fusil, pour venir se loger dans sa gorge. Mon œil gauche l'a regardé se vider de son sang avec un petit gargouillis, pendant que je sirotais mon kir.
Personne ne prendra ma place.