Je ferme un oeil et je deviens Roi
Jeudi dernier, pour mon début de semaine -oui, mes semaines commencent tard, mais c'est pas ma faute à moi, c'est mon emploi du temps qui est fait comme ça- j'étais au défouloir pour clients, à discuter avec deux collègues. Un de nos gardes républicains Happy-Timiens s'est approché, avec à son bras un homme étrange : il portait des lunettes de soleil à l'intérieur (le con) et un grand bâton blanc, un peu comme Gandalf.Il nous a expliqué qu'en réalité cet excentrique était un aveugle -ahhh, c'est donc ça !- et nous a demandé d'appeler le service clientèle, pour qu'ils envoient quelqu'un l'aider à faire ses achats.
Le problème, c'est que le règlement vient de changer : le service clientèle ne peut plus s'occuper des cas sociaux, on doit donc mettre en place un système de chaîne. C'est à dire que depuis l'entrée du magasin, les vigiles accompagnent le pas-d'z'yeux au rayon désiré, où ils refilent le bébé au vendeur, qui passera la patate chaude au rayon suivant (enfin, si notre non-voyant a d'autres courses à faire, bien entendu). Et ainsi de suite, jusqu'à la caisse. C'est à ce moment que le système de la chaîne atteint ses limites : les caissiers ayant interdiction de quitter leur poste, le client est obligé d'attendre sagement dans un coin que la journée soit finie, afin que la personne qui l'a encaissé puisse le raccompagner jusqu'à la sortie.
Et ce jour-là, j'avais la bougeotte. On était trois chargés d'accueil, à un poste qui ne comporte que deux places. J'en ai profité pour faire mon Samaritain, et j'ai décidé d'accompagner Gandalf faire ses achats.
Ce fut ma première erreur de la journée. La seconde a été de lui demander : "alors monsieur, qu'est-ce que vous êtes venu acheter chez nous ? :D ". Il ne voit pas. Et il cherchait une petite pochette pour ranger ses papiers, et remplacer sa banane moche -on le comprend. Pendant notre voyage jusqu'au territoire de l'Homme, j'ai commencé à lui expliquer ce qu'il pourrait trouver : euuuh, c'est comme un petit sac-euh, en bandoulière (une besace David, ça s'appelle une besace), c'est à la modeuh, je sais pas si vous connaissez...?
Je me suis cru sauvé au moment où un vendeur s'est présenté à nous. Patate chaude, hop, à toi ! Mais vu la tournure que prenaient les évènements, j'ai décidé de rester. J'avais pourtant expliqué en arrivant, le plus politiquement correct du monde, que j'accompagnais un client non-voyant. Mais monsieur Tact n'avait manifestement pas la lumière à tous les étages, il n'a pas arrêté :
En montrant à chaque fois les besaces à Gandalf, qui souriait, imperturbable, mais ne réagissait évidemment pas plus que ça. Le fait que j'attrape tous ses articles pour les mettre dans les mains du client qui se mettait à les tripoter si sensouellement ne lui a fait tilt à aucun moment.
Du coup, j'ai décidé que je ne l'aimais pas, et j'ai tout fait pour lui pourrir sa vente. Dès qu'il s'éloignait un peu pour aller chercher le modèle suivant, je me transformais en immonde Iago du commerce, et déversais mon fiel dans l'oreille de Gandalf :
Et ainsi de suite. Une fois qu'il a été dégoûté de tous les modèles qu'on lui présentait (oui, bon, il est reparti bredouille, mon plan n'était pas si infaillible, mais je travaille mal dans l'urgence), j'ai dû lui faire à nouveau traverser tout le magasin, pour l'amener au rayon des tue-cafards, où je l'ai confié aux bons soins de monsieur le droguier, afin de retourner à mon poste.
J'ai poliment pris congé, et j'ai couru pour raconter cette histoire à mes collègues, qui m'ont toutes les deux posé cette excellente question :
Question qui m'a tenu éveillé jusqu'au lendemain matin.