Kawaii (ou pas)

Comme je suis quelqu'un de formidable, au dernier anniversaire de Lapin (qu'un tapis de ronces et d'orties accompagne chacun de ses pas), j'avais eu cette idée brillante de lui offrir un Nabaztag, le lapin communiquant qui ne sert absolument à rien, à part faire des jolies lumières, lire à voix haute les messages qu'on lui envoie, et faire du tai-chi avec ses oreilles.Un cadeau de rêve, surtout quand on sait que je l'ai trouvé alors que j'étais en panique pendant ma pause déjeuner, vite, vite, il faut trouver un cadeau -je devais lui offrir quelque chose le soir-même. Un jour, la procrastination me perdra.

Mon idée était tellement géniale que trois jours plus tard, on filait à la Fnac pour m'acheter la même chose. Mais c'est vrai quoi, comment résister ? Je l'avais vu à l'œuvre, ses lumières qui clignotent pour dire quel temps il va faire, sa petite voix quand il lit les messages rigolos qu'on peut lui envoyer... En plus, on avait synchronisé nos lapinous : quand l'un de nous deux bougeait ses oreilles, celles de l'autre bougeaient aussi ! On était copains de n'oreilles !

Comme tous les nouveaux jouets, le Nabaztag a été amusant une petite semaine. Celui de Lapin (qu'il finisse ses jours dans une fosse à purin) est mort, à cause d'un problème de connexion. Mais le mien trône encore fièrement dans ma chambre, continue de me donner la météo, de faire ses exercices, et de temps en temps, il me lit un message.

Pour montrer au monde entier que je suis quelqu'un de trop moderne (et parce que je n'avais que ça à faire), j'ai même mis un lien ici, comme ça le bonheur de me parler est presque palpable, au bout de ta souris, petit lecteur.

Ma grosse erreur a été de mettre ce lien en ligne le soir où ma mère venait dîner. Elle connaissait déjà l'existence du Nabaztag, et en gros (en très gros), elle en a compris le principe : il est relié à celui de Lapin (que ses chairs putrides rendent malades les bousiers), et on peut se parler comme ça, par l'intermédiaire des oreilles.

Pendant qu'on prenait l'apéritif, le Nabaztag a joué la petite musique du "je vais lire un message". Ma mère a tourné la tête vers l'objet, et a juste demandé "Oh ? C'est Lapin qui te dit quelque chose ?", avant de nous plonger dans un silence religieux, pour ne rien perdre de ce qu'il avait à dire. J'ai tout de suite su que quelque chose allait clocher, l'inquiétude m'a donc permis d'éviter une réponse du type "nooon avec Lapin c'est finiiihiiiihiiiii", dont j'aurais tiré peu de fierté.

J'avais dit à Lapin (qu'il pourrisse en Enfer jusqu'à la fin des temps) que je voyais ma mère ce soir-là, et jamais il ne se serait amusé à m'envoyer un truc via le Nabaztag, il sait quand même que ça m'aurait mis mal à l'aise. Alors, qui ? Quel message ?

En effet, ça n'était pas lui. C'était un autre ex (oui, je sais que c'est toi, B., tu sauras que la technologie est à ce point puissante), qui testait la page. Dans un silence religieux, donc :

- Mais... Que... Qu'est-ce qu'il a dit, là ?

Ont été les derniers mots de ma mère.