La bouche de Procellus

La bouche de Procellus est très jolie. Ca tombe bien, parce qu'une jolie bouche, c'est important. Ca permet d'avoir un joli sourire qui plaît aux jolis garçons, et de leur dire ce qu'ils veulent entendre pour pouvoir ensuite leur faire plein de trucs, toujours avec la même bouche (mais pas uniquement). Et après ça permet de leur dire de dégager, une fois qu'on en a terminé. Ah ça oui, la bouche c'est important.

Et en ce moment j'étais ennuyé, parce qu'avec mon problème d'incisive, ma bouche de Procellus perdait un peu de son pouvoir. Ceux qui suivent, qui ne sont rien sans moi, qui seraient prêts à mourir ou tuer pour avoir de mes nouvelles, et qui ont pour un instant arrêté de travailler à la statue en marbre qu'ils m'érigent pour pouvoir lire ces quelques lignes, ceux-là savent que mardi dernier, j'avais rendez-vous avec mon bourreau stomato.

Fin décembre, je m'en moquais grave, peuah, je dois y aller le quinze janvier, et il va m'ouvrir la gencive comme un livre, j'ai le temps, n'y pensons pas ! Début janvier, pareil. Jusqu'à ce que je me rende compte qu'en fait, le quinze janvier c'était dans deux semaines, une semaine, six jours, cinq quatre trois demain.

Le quinze, c'était donc un mardi. Le lundi soir, je me suis couché les larmes aux yeux, en sachant que c'était ma dernière nuit dans ce monde. Ca m'a au moins permis de voir ce que ressent un condamné à mort, et de me rendre compte que si je devaiiiis... mouuuriiir demaiiin...!, je passerais ma dernière journée à tourner en rond, à me dire que je veux pas ouin au secours, et à me goinfrer de trucs qui se croquent parce que demain ça sera fini.

Le mardi matin, j'ai relu la feuille d'instructions : "le soir suivant l'opération, ne mangez que des aliments froids et mixés". Je suis donc allé m'acheter des yaourts liquides et des petits pots pour bébés, tant pis je les mangerai froid, de toute façon même chaud c'est dégueulasse, et puis je serai mort alors quesse j'en ai à fout'.

Ensuite, j'ai pris un demi Lexomil, on va manger un dernier MacDo avec Quelqu'un, et je m'en vais vers les Havres Gris. Là j'ai pu me rendre compte que le Lexomil ça vaut rien c'est trop d'la merde, ça donne envie de dormir, mais ça n'empêche absolument pas de stresser, ni d'avoir l'esprit qui va à 200 à l'heure dans toutes les directions à la fois.

En plus ce salaud a fait exprès d'avoir une demi-heure de retard, pour me laisser appréhender tout ce que je pouvais, j'en suis sûr je le sais je l'ai vu à ses yeux. Sur le fauteuil, l'angoisse me donnait envie de vomir, alors je lui ai avoué que j'étais un peu nerveux. Avec Acrylique, ils ont fait deux ou trois blagues pour me détendre :

- Oh, Acrylique, venez voir un instant mon petit? - Oui me voici Docteur, que se passe-t-il ? [Prout] - Héhéhé ! Hein, la mouche qui pète, hin hin hin ! - Ha ha ha, qu'il est con !

D'ordinaire, j'aurais pu trouver ça drôle, mais là, savoir que dans quelques minutes il allait m'ouvrir la gencive comme un livre pour la gratouiller jusqu'à l'os, ça inhibait un peu mon sens de l'humour. Quand ils ont eu fini leur déconne, le doux visage d'Acrylique s'est penché au dessus de moi, et elle m'a collé un champ opératoire sur la figure. C'était pratique, comme ça je pouvais rien y voir. Mais deux précautions valent mieux qu'une, j'ai quand même fermé les yeux.

Je l'ai senti approcher, avec sa seringue. Il m'a fait la piqûre, m'a caressé la gencive et m'a annoncé fièrement que j'étais anesthésié. Ensuite... ben ensuite rien en fait. L'anesthésie a fonctionné (heureusement), je n'ai pas trop senti ce qu'il faisait. À part les vibrations et les bruits. C'est ça le pire, dans ce genre d'opération.

Alors je suis rentré chez moi, j'ai mangé mes petits pots dégueulasses, ma Häagen-Dazs super bonne, toujours sans rien sentir, me réjouissant de la semaine d'arrêt de travail sans douleur qui s'offrait à moi (parce que c'était sympa d'être arrêté une semaine pour la gastro, mais passer quatre jours à vomir, c'était pas super fun).

Bon bien sûr, les fils (et le possible abcès) me gênent un peu, et comme je ne peux pas jouer avec ma bouche et les garçons, je suis obligé de m'occuper en repeignant ma chambre, mais c'est pas grave, parce que bientôt, la bouche de Procellus ça sera de nouveau la plus belle.

Bientôt, parce que pour l'instant, la bouche de Procellus, c'est ça :

Bon appétit bien sûr.