Une histoire très longue, très belle et très triste pour bien commencer l'année
'autre jour pendant ma pause midi, j'ai déjeuné avec Grand. Il m'a pas pris en traître, il m'a tout de suite annoncé la couleur : "Diiis, J'ai personne là... Tu manges avec moi...?".Comme je l'aime bien, que je le trouve beauuu (même si je suis le seul), que j'ai voulu lui laisser le bénéfice du doute hein, on va dire qu'il l'a simplement mal formulé, et que moi non plus j'avais personne avec qui miamer, je l'ai autorisé à m'accompagner, et on s'est retrouvés autour d'un humble Quick.
Avec Grand, on est quand même des gens civilisés, alors entre deux bouchées on a essayé de se faire la conversation. Et comme on n'a pas grand chose à se dire, lui c'est un pédé mondain et moi pas, on n'a pas eu d'autre choix que de déverser notre fiel sur les gens qu'on connaît.
Or, il se trouve que les seules personnes qu'on ait en commun, c'est les chefs. Il a commencé avec Glory, qui nous a quittés il y a peu, paix à son âme, en me disant plein de méchancetés sur elle, bouh la vilaine Glory ! Ce à quoi j'ai répondu que moi je l'adorais et que j'avais failli pleurer le jour où elle est partie. J'ai jeté un froid, mais je suis resté fidèle à mes convictions, ouais !
Ensuite, il m'a parlé du pire des monstres de l'Enfer, une créature assoiffée de sang, que les Ténèbres craignent, qui fait faire dans son froc au croque-mitaine, et à côté de laquelle la méchante reine de Blanche-Neige est une Jeannette au coeur pur : la terrible Panpan.
Pour moi, Panpan est une charmante femme qui me rappelle un peu ma mère mais en mieux, et peut-être en plus jeune. C'est difficile de dire quel âge elle peut avoir, parce que quand je l'ai connue, elle avait les cheveux tout rouges, et ça rajeunit même les plus vieilles peaux, et je suis toujours très mauvais pour donner un âge aux gens, mais elle a quand même l'air moins usée et battue par la vie que ma vieille maman.
Je suis tombé de bien haut quand il m'a appris que Panpan est en réalité une peau de vache, qui ne dit jamais bonjour (paaas bien !), une vilaine succube, une goule infecte, qui a le pouvoir de te gâcher la vie, de te crucifier à ton poste toute la journée, en t'empêchant de partir en pause quand tu en aurais envie, en utilisant des vieux clous rouillés et du fil barbelé. Et qu'elle ne s'en prive pas. Il paraît aussi qu'elle peut aspirer ton âme rien qu'en pensant à toi, et se nourrit uniquement de coeurs de licornes et d'yeux de bébés chats, et dans ses veines c'est pas du sang qui coule, c'est de la soude.
Là encore, j'ai été obligé d'avouer que j'ai pas de problèmes avec Panpan, j'aurais même tendance à la trouver sympathique et à bien m'entendre avec elle. De toute façon c'est toujours comme ça, même les pires gens ont tendance à bien m'aimer (et tu en es la preuve, toi lecteur), c'est comme un charme permanent.
Déjà au lycée, tout le monde craignait le père de Best Friend Forever, une espèce de grizzly qui détestait tous ses copains, et mangeait des catcheurs au petit-déjeuner. Mais dès que j'étais là, il se transformait en Winnie l'ourson, limite s'il ne venait pas s'allonger à mes pieds pendant que je regardais la télé pour que je le gratouille derrière les oreilles. Les mamans aussi m'aiment beaucoup. Sûrement parce que je suis le fils qu'elles auraient toutes aimé avoir -quelle mère n'a jamais rêvé d'avoir un fils qui suce des bites dans les toilettes des grands magasins ?
Et Panpan, c'est pareil, j'ai toujours l'impression d'être le fils qu'elle n'a jamais eu (enfin si, elle a un fils quoi, mais vous voyez ce que je veux dire, c'est pas moi).
Et puis j'ai réfléchi. Je suis comme ça moi, je ne recule devant aucun effort intellectuel. Oui en fait, c'est vrai que Panpan est une pute. Sauf qu'avec moi, c'est beaucoup plus sournois, l'abjecte.
À la fin de mon premier contrat, quand je voulais encore profiter des réductions alors que j'avais pas le droit, qu'est-ce qu'elle a fait ? Elle m'a filé sa carte, alors que c'est interdit, exprès pour que je me fasse choper et que j'aie des emmerdes ! Saaaloooope !
Quand je suis occupé avec un client, là encore, elle fait exprès de venir me faire des compliments tout fort, pour me mettre mal à l'aise, comme quand les parents nous accompagnaient de force devant la porte de l'école et c'était trop la honte de leur faire la bise. Puuute !
Et le pire ça a été cette fois où le magasin était désert. J'étais tranquille à ne rien faire, le regard dans le vague, et elle est venue me faire la conversation, comme j'avais "l'air de m'ennuyer". Et qu'est-ce que tu fais à côté d'Happy Time, et faut pas que tu restes là, tu vaux mieux que ça, et patati et patata... Mais putain connasse, est-ce que je t'ai donné l'impression d'avoir envie de te parler de moi ? Tu peux pas me laisser à mes méditations ?!
Le fruit de mes réflexions si poussées m'a fait tomber complètement d'accord avec Grand, alors j'ai donné un grand coup de poing sur la table, putain mais ouais, et on va pas se laisser pourrir la vie par cette sorcière ! C'est pour ça qu'en revenant de déjeuner, j'ai pris une gorgée de courage (en fait non c'était du Fanta Orange, mais chut), et je me suis mis en route, direction son bureau, viens mon fidèle Grand, allons débarrasser la Terre de ce fléau !
Ça a pas été facile d'y arriver, parce que plus on s'approchait de son antre, plus la végétation essayait de nous bloquer le passage (qui l'eût cru qu'il y ait autant de ronces à l'intérieur même d'Happy Time !). Mais je suis pas idiot, j'ai fait passer Grand devant, en l'agitant comme un plumeau Swiffer, et comme je lui avais frotté les pieds sur la moquette juste avant, son électricité statique a bien déblayé le chemin. Le cœur battant la chamade (tiens Chamade, prend ça ! Et ça ! Et encore ça !), je suis arrivé devant sa porte. Et j'ai toqué.
Ensuite, j'ai poliment attendu qu'on me dise d'entrer, parce que quelle que soit la porte et la situation, et même pour libérer le monde du joug oppresseur de cette gorgone buveuse de sang, j'attends toujours d'avoir une réponse. Je vois souvent des gens qui frappent et qui entrent directement, et de temps en temps j'essaye de faire pareil, mais je bloque, je ne peux pas ne pas attendre qu'on m'autorise à entrer.
Mon attente a été plutôt minime, parce que la porte était ouverte, mais il faut quand même frapper, pour faire connaître sa présence. C'est aussi ça, être bien élevé. J'ai eu doublement de la chance. Panpan était là, donc je n'étais pas venu pour rien, et elle était encore en train de se repaître des restes de Barbamama, une des autres chefs que j'aime bien (enfin, aimais, du coup), et donc elle ne risque pas de vouloir me manger tout de suite.
Mais elle a compris, en voyant mon regard déterminé (i.e. je luttais contre mon strabisme naturel) que "je ne venais pas pour une visite de courtoisie", et que "cette fois, c'est personnel". J'ai toujours rêvé de vivre une grande scène où je pourrais balancer des clichés du genre, et je me suis dit que le ratatinage de la Bête, c'était l'occasion où jamais.
J'ai attendu quelques instants sur le pas de la porte, les mains sur les hanches, pour bien laisser le temps à ma silhouette menaçante éclairée à contre-jour de se détacher, en me demandant juste pourquoi dans la vraie vie il n'y a jamais de jolis effets de fumée comme au cinéma, et je suis rentré. Prépare-toi à rendre gorge, vieille carne !
Dans une tentative désespérée pour m'aspirer ma belle âme tout propre, elle a commencé à faire genre elle s'intéressait à ma délicate personne, "oh mais c'est notre petit David, dis donc t'es sûr que ça va, t'as pas l'air en forme en ce moment...". Mais je l'ai pas laissée finir. Higitus Figitus, tu n'auras pas ce Procellus !
J'ai commencé à agiter les mains comme je l'ai appris en regardant Merlin et Willow, tout prêt à lui balancer un Avada Kedavra ou un truc dans le genre, pour en finir une fois pour toutes avec cette abomination infernale. Mais Panpan sait se défendre, et elle connaît mes faiblesses. Elle a découvert ses crocs dans un rictus abominable, et elle a tendu une main sur le côté, plus vive que l'éclair. Là, elle a attrapé deux ballotins de chocolat dans un petit panier, et me les a tendus :
Des Ferrero Rocher vous nous avez gâtés, et des Mon Chéri mais Michel tu sais très bien que nos invités n'aiment pas les friandises ? Hmm. C'est pas vraiment mes préférés, mais j'avais pas pris de dessert chez Quick, parce qu'il fait un peu froid pour une glace, et c'est tout ce qu'ils ont de mangeable. Alors j'ai été faible, et je les ai pris, en jurant solennellement sur la tête de toutes ses victimes que je reviendrais accomplir mon noir dessein (vu que ses victimes sont déjà mortes, je m'engageais pas trop).
Bientôt.