David chez le Grand Inquisiteur (1/2)

Il y a un an, jour pour jour, j'étais allé voir ma dentiste pour cet abcès purulent dans la gencive, au dessus de ma fausse dent. À l'époque, elle m'avait envoyé chez un stomato pour faire soigner l'infection, alors aujourd'hui, pour fêter ça, j'y suis enfin allé. Oui bon, un an entre l'ordonnance et le rendez-vous, c'est un peu long, mais à ma décharge, elle m'avait donné la Question Préparatoire en m'expliquant en détail ce qu'il allait me faire, et ça m'avait un peu refroidi :

- Alors il décolle la gencive au dessus de la dent, sur le devant de la mâchoire, il gratouille pour soigner (en écorchant l'air avec un des instruments, au cas où j'aurais pas compris avec juste des mots), il referme et il fait la même chose derrière.

Tout ça sur un ton très enjoué, genre elle est en train de m'expliquer le trajet de la grande parade chez Mickey.

Ooo...kay, alors je vais prendre votre ordonnance, sortir lentement de la pièce, et on fera tous les deux comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu, d'accord madame Sadique ? Mais finalement, j'ai cédé aux pressions de cette société superficielle où tout repose sur les apparences, et où quand on a une fausse incisive malade qui avance de plus en plus dans la bouche, il faut se faire réparer.

Et là le jour est arrivé. Ouais. Allez, on y va. Je suis parti. Ouais. Motivé. ... Ouin j'veux pas y alleeeer !

Surtout qu'avec la chaleur dans le métro, le contrecoup des émotions de ces derniers jours, le visionnage en boucle dans ma tête du film du "il va vous décoller la gencive pour soigner la racine", l'angoisse face à l'inconnu et l'anticipation, quand je suis arrivé devant sa porte, j'avais grave la gerbe.

Mais j'ai quand même sonné, et une jolie blonde aux grands yeux bleus et qui parlait avec plein de petites fleurs dans la voix m'a ouvert la porte. Je m'en suis méfié immédiatement, elle était trop aimable pour être honnête.

D'ailleurs, tout était louche, dans ce cabinet. La salle d'attente avec une machine à café et thé dernier cri, la chaîne Böse double CD, l'écran LCD et le lecteur de DVD, ça puait le fric sale. Y'a pas à dire, les boulots honteux et innommables c'est vraiment ce qui rapporte le plus.

Il n'y avait personne dans la pièce, rien, pas un regard rassurant auquel s'agripper, et c'était tout blanc. Comme la secrétaire, trop propre pour ne pas être louche. Et puis les bruits ont commencé. Un peu comme la fraise, mais en plus grave. Plutôt comme une ponceuse (mais bon, je ne crois pas que c'était ça, je vois pas trop ce qu'un chirurgien de la bouche ferait avec une grosse ponceuse).

J'étais mortifié sur ma chaise (il va décoller la gencive et gratter), à me dire que chaque seconde qui passait me rapprochait de mon horrible fin, et donc à me mortifier encore plus, à (vraiment) me dire que je pourrais sortir et m'enfuir en courant pour ne plus jamais revenir, mais la boule dans ma gorge commençait à enfler et m'étouffer, quand il est rentré pour m'emmener. NOOON !