David chez le Grand Inquisiteur (2/2)
Quand il est entré dans la salle d'attente, je me suis jeté par terre et j'ai agrippé sa jambe, en hurlant et pleurant, pour le supplier de me laisser la vie sauve, que oui, j'avouerai ce qu'il voudrait, que j'abjurai ma foi en Belzébuth, son Dieu sera mon Dieu, et que je méritais le bûcher ou la lapidation, mais pitié me décollez pas la genciiive !Il m'a traîné comme ça jusqu'à la salle de soins, grande au moins comme deux fois mon appart.
Mais il s'y connaît en torture, il sait que le pire c'est l'anticipation. Alors avant de passer à l'acte, on va s'installer au bureau, "pour faire connaissance". Il appelle la secrétaire, même qu'au début j'ai compris qu'elle s'appelait Acrylique (mais en fait j'avais mal entendu) pour remplir le dossier. Ils se font des petites blagues, "Oh docteur vous m'avez parlé ?" "Ah non mon petit, nous n'avons plus rien à nous dire, ho ho ho", en oubliant que de l'autre côté du bureau, il y a un mec au bord de la syncope, dont le stress est en train de déborder de partout.
Et puis il a demandé :
Sauf que c'était pas vraiment une question, hein. Acrylique s'est pudiquement éclipsée, sûrement parce que la violence de la scène suivante risquait de heurter ses yeux délicats, et je suis allé m'installer dans la chaise.
C'est rigolo, parce qu'au moment où je me suis assis, j'ai arrêté de paniquer. Ca y est, le supplice de l'attente est fini, les dés sont jetés, on peut plus rien faire, j'ai plus qu'à me laisser aller et me diriger vers la lumière. C'est en train d'arriver, je peux enfin souffler.
J'ai fait ce qu'il disait, bien ouvert, fermé, fait claquer ma mâchoire et tout. Ensuite, comme un pâtissier aveugle qui aurait perdu son alliance dans la pâte à pain et qui malaxe bien partout pour essayer de la retrouver au toucher, il m'a inspecté les gencives avec les doigts.
Après il a retiré ses gants et il m'a fait la même chose, au niveau du cou, toujours avec sa délicatesse d'étrangleur d'ours à mains nues, pour voir si j'avais des ganglions. J'en avais pas. Yay moi. Alors je me suis dit qu'on allait passer aux choses sérieuses.
Sauf que non. On s'est relevés, il a appelé Acrylique et on est repassés au bureau.
C'est là que j'ai compris comment il faisait pour être autant pété de thunes. Acrylique m'a donné ce joli papier :
(On admire la photo de mon stomato qui s'aime et qui n'a pas peur de donner des convocations ridicules, qui ressemblent à une invitation à l'anniversaire d'une petite fille !)
Et en échange de mon rendez-vous dans un mois et demi, ils m'ont pris cinquante et un euros. Quand même.
Bien sûr, comme madame Sadique, il m'a bien réexpliqué en quoi l'opération allait consister :
Après je sais pas, j'ai arrêté d'imprimer quand ma gencive est devenue un gros bouquin ouvert.
En sortant de là, j'étais encore un peu sous le choc. Un peu comme la fois où j'avais été attaqué au couteau dans le RER, "woah, ça vient vraiment de m'arriver ?".
Alors pour me détendre, j'ai lu le papier que m'avait donné Acrylique, pendant que les papillons dans sa voix me disaient de c'était une petite opération de rien du tout, limite s'il allait pas venir me faire ça entre le fromage et le dessert.
D'abord, c'est pas nécessaire de venir à jeun. Cool ! Il faut prévoir une petite semaine d'arrêt de travail. Ah. C... Cool...? C'est mieux de se faire accompagner par quelqu'un. Ah ben oui, ça doit vraiment être une petite intervention de rien du tout alors (en plus c'est ballot que j'apprenne ça alors mon Quelqu'un vient de décider que maintenant il préférait être l'accompagnateur d'un autre, franchement).
Mais dans quoi je suis en train de mettre les pieds ?!
Surtout que je me retrouve à la case départ, avec mes angoisses et mon infection.
Sauf que là, au lieu de stresser une petite semaine à l'avance parce que j'ai eu un rendez-vous au pied levé suite à un désistement (tu m'étonnes !), je vais avoir jusqu'au quinze janvier pour y penser, donc plus d'un mois et demi de pure terreur abjecte et grandissante. Et il va falloir rester motivé jusque là.
C'est vraiment pas gagné.