Vacances marocaines 3 : Du bout des doigts

Quand j'ai raconté au boulot, à qui voulait l'entendre, que je partais en vacances, à Marrakech, ça va être cool !, une de mes collègues m'a bien mis en garde :

- Attention David, il y a deux façons de découvrir la ville ! Soit on fait tous les spas de tous les riads, on se fait masser pendant une semaine, on trouve ça génial mais on n'a rien vu du Maroc; ou on peut aussi visiter plus local : manger du couscous chez l'habitant et boire du lait de chèvre caillé, comme les touaregs, et là, on aime ou on déteste, mais au moins on découvre la vraie ville.

Je lui ai juré mes grands dieux que non, je n'y allais surtout pas pour les massages, pouah ! Sur le coup, j'étais sincère. Je n'y avais même pas pensé. Quoi, on peut aller au Maroc pour les soins du corps ? Mais ? Mais on m'aurait menti, il y a donc un autre intérêt au Maghreb que de se faire tripoter dans les souks et enfiler dans l'arrière-boutique, comme ils disaient dans le documentaire de Cadinot ?

Et lorsqu'en arrivant à l'hôtel nous avons trouvé, négligemment posée sur une table, une brochure pour leur Oriental Spa, j'ai bien compris ce qu'Allah essayait de me dire : je ne suis pas venu pour ça, mais je ne dois pas pour autant mourir idiot. Quelques heures plus tard, rendez-vous était pris pour le lendemain.

L'expérience fut surprenante : après nous avoir enduits de savon noir, une accorte jeune femme nous a fait mariner pendant une demi-heure dans un hammam tièdasse, avant de nous faire un "lavage au gant de crin". Le problème, c'est qu'avant de devenir laveuse professionnelle, elle avait dû bosser dans le bâtiment, et elle nous a frottés avec son gant comme on ponce un vieux mur : douloureusement.

Bien sûr, elle a essayé de se faire pardonner en nous oignant d'huile d'argan avant de nous confier à une douce masseuse, mais le mal était fait. Enfin non. Le mal fut fait au moment où je me couchais sur le ventre, pour recevoir les douces papouilles. Dès que ma tête s'est posée sur le coussinet prévu à cet effet, vestige de ma bronchite, j'ai senti monter la pire quinte de toux de ma vie, genre je suis sur le point de te cracher mes poumons, là, dans le petit bol plein de pétales de roses que tu as posé à terre pour que je regarde autre chose que tes pieds, madame.

La tête paralysée dans son petit cerceau en mousse, les bras coincés au dessus, je ne pouvais décemment pas me laisser aller à cracher mes miasmes, ça ne se fait pas. Alors je me suis forcé à respirer le plus doucement possible, en attendant avec impatience le moment où cet instant d'intense sérénité allait s'arrêter, et où je pourrai enfin tousser à m'en faire saigner la trachée.

Du coup, même si ma masseuse avait été un tant soit peu douée, et qu'elle ne m'avait pas gentiment effleuré la peau du bout des doigts, au lieu de me pétrir les muscles comme du bon pain, j'aurais été trop occupé à faire les gros yeux à mes bronches pour ressentir quoi que ce soit.

Cette première expérience des hammams marocains était un cuisant échec.

Si nous avions été malins, nous aurions pu en rester là, nous dire "ah non alors, ma collègue avait bien raison, les spas, ça craint du boudin !". Nous aurions pu.

Nous aurions dû. Oh oui, comme nous aurions dû...