Vis ma vie de Cadinot

Mardi soir, j'étais chez moi, m'adonnant l'air de rien à quelques plaisirs solitaires, parce que garder un bon coup de main, c'est aussi important que tout le reste. Confortablement installé dans mon fauteuil, je regardais ma petite vidéo, tranquille Émile, quand j'entends sonner à ma porte. Ding-dong ?

Premier réflexe : j'éteins la lumière et coupe les haut-parleurs du PC. Si ça se trouve, c'est un con de voisin qui vient m'emprunter du sucre, et je n'aime pas rendre service. Si je fais semblant de ne pas être là, il finira par s'en aller. Je fais le vide dans mon esprit, j'ouvre mes chacras, et on peut repartir.

Mon deuxième départ fut plus difficile que le premier. Ce crétin avait réussi à noyer mon démarreur. Le moteur ne ronronnait pas encore, quand rebelote :

Ding-dong ?

Je bloque mon tympan et ferme mon pavillon interne. J'y arriverai.

DING DONG DING DONG !

Agacé, déconcentré, je décide enfin d'aller voir. J'enfile le premier truc à ma portée, soit un vieux short immonde qui était déjà laid pendant mes années lycée. Si je vivais dans une série américaine, je serais allé ouvrir dans cette tenue : torse nu, les muscles se soulevant au rythme de ma respiration, une gouttelette de sueur entre les pectoraux et les tétons durs à tailler du verre.

Mais non. Dans le monde réel, j'ai aussi attrapé une chemise qui traînait là, en attente de repassage, et que je n'ai pas pris le temps de boutonner. Je me suis contenté d'en rabattre les deux pans l'un sur l'autre, façon mémé qui sort en tenant sa robe de chambre bien fermée, de peur qu'un pervers n'essaye de lui mater les gants de toilette.

Je devais être sexe, ah ça oui. J'ai ouvert la porte, prêt à beugler sur l'importun toutes les insanités que je connais, mais quelque chose m'a arrêté net.

Peut-être l'adonis en face de moi, dans son bel uniforme, qui m'a annoncé :

- Bonsoir, c'est les pompiers, pour le calendrier...

Cher journal : jackpot ! Combien de fois dans une vie est-ce que les pompiers viennent sonner pendant qu'on se branle ? Si j'avais été dans un vrai porno, j'aurais pu tomber la chemise et lui expliquer la situation. Si j'avais eu un minimum de présence d'esprit, j'aurais pu l'inviter à rentrer, en espérant qu'il remarque le porno en pause sur l'écran, et qu'il comprenne.

Mais non. Là encore, la vraie vie a pris le dessus, ainsi que mon légendaire sens de la répartie. Je l'ai dévisagé, tout gêné, et au lieu de lui dire "ne bougez pas je vais chercher mon porte-monnaie", ou "laissez-moi le temps d'enfiler quelque chose", qui, je le précise, est ce que mon cerveau avait prévu de dire, ma bouche a répondu :

- Ah... Euh... Je finis ce que je faisais et je suis à vous.

Je ne crois pas qu'on puisse rendre plus minable une situation de ce genre.

Un jour, j'apprendrai. Un jour.