La Mouche
Comme l'été est vraiment une saison formidable, aujourd'hui il y avait une mouche chez moi. Comment je m'en suis rendu compte ? Oh, de façon très naturelle, en allant faire mon petit pipi. J'ai ouvert la porte de la salle de bains, parce que chez moi, les toilettes sont dans la salle de bains (si si, ça vous intéresse). Tout impatient de me soulager, j'ai soulevé le couvercle des toilettes, et comme je la dérangeais c'est là qu'elle s'est manifestée.
Grand moment d'héroïne de cinéma : quand je l'ai vue s'envoler, énorme et laide, j'ai sursauté et bondi en arrière, en poussant un cri suraigu : "ahiiii, une mouuuuche, là, là, mais faites quelque choooose, à moiii !", tout en ayant bien conscience que non, personne n'allait venir à mon secours, j'étais seul face à mon enfer. Bref, une de ces expériences dont on ressort grandi.
La gourdasse attitude ne s'arrête pas là, ça serait trop beau ! Parce qu'avant, je pensais avoir peur des papillons de nuit : c'est moche un papillon de nuit, ça a l'air vicieux, ça ne sort que la nuit, c'est gros et les tueurs en série les coincent dans la gorge de leurs victimes. C'est plutôt logique de ne pas être fan. Mais aujourd'hui, je me suis rendu compte que j'avais à peu près la même réaction face à la mouche : elle a un vol complètement erratique et aléatoire, elle se nourrit d'excréments, et à la façon dont elle frotte ses petites pattes avant, on sent qu'elle prépare un sale coup. Ouais, bon, on justifie sa peur des mouches comme on peut hein...
Mon souci avec les insectes, c'est que dès qu'ils sont un peu plus gros qu'un moustique, je n'ose pas les tuer. Je sais qu'ils ont un gros corps qui va faire shblouarch quand on l'écrasera, qu'ils agoniseront en faisant du bruit si je les attaque à la bombe, et que si je les rate, ils reviendront se venger la nuit avec des grands couteaux.
Et donc là, avec mon énorme mouche coincée dans la salle de bains, j'avais un gros problème. Je me suis calmé et j'ai rapidement fait le tour de mes options. Je peux essayer de lui donner un grand coup de serviette, le problème c'est que je dois m'essuyer avec, et il est hors de question que je m'enveloppe dans quelque chose qui a servi à tuer une mouche, surtout qu'avec la chance que j'ai, elle va se coincer dans une des bouclettes, mourir là trèèès lentement, et tout à l'heure je vais me la frotter dessus et aaaah ! Donc non, pas la serviette.
Je peux, euh, essayer de l'asphyxier avec ma bombe de Brise Fraîcheur Muguet, mais non, ça va sûrement pas la tuer, elle est trop grosse (genre, genre elle faisait au moins cinquante centimètres, je suis sûr !), et elle risque de tomber quelque part, d'agoniser pendant des heures par terre dans un coin et je verrai pas où et ça sera absolument horrible, ne pas savoir, c'est le pire.
J'ai envisagé d'aller chercher l'aspirateur, de le pointer sur elle et de le mettre en route d'un coup pour la faire disparaître sous des tonnes de poussière, mais... nan hein, ça marche avec les gros insectes lents, mais les mouches, bof.
C'est en voyant le couvercle des toilettes encore ouvert que j'ai eu cette idée purement géniale, c'est du sang napoléonien qui coule dans mes veines, pour penser à ce genre de trucs. Ah, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, hein ?
J'ai soigneusement refermé la porte de la salle de bains, au moins, on sait où elle est, il vaut mieux boucler le périmètre. Je suis allé dans la cuisine, je savais exactement ce dont j'avais besoin. J'ai attrapé la bouteille de sirop de grenadine, et j'y suis retourné.
Mon plan machiavélique était sans faille. Je vais verser du sirop dans les toilettes. La mouche, attirée par ce doux nectar, ne manquera pas de se poser sur l'émail de la cuvette. C'est là que je déclencherai sur sa misérable carcasse un déluge tel qu'aucune mouche n'en a jamais vu. Ca ne pouvait pas rater.
Enfin, si elle avait effectivement été attirée par le sirop de grenadine, ça n'aurait sûrement pas pu rater. Parce que là, elle tournoyait gaiement au dessus de ma baignoire, ignorant le mets délicat que je lui avais déposé, en plus directement dans le chiotard, fallait vraiment qu'elle soit conne.
Je commençais à désespérer, surtout que je n'avais pas encore fait ce pour quoi j'étais venu au début de cette longue, trop longue histoire. C'est d'ailleurs pour ça, pour pouvoir enfin pisser, que j'ai laissé la porte ouverte. Elle est sortie, et j'ai pu faire ma petite affaire.
Après avoir tiré la chasse et m'être lavé les mains, parce que je suis un garçon propre, je suis allé ranger la bouteille de Teisseire, parce que le sirop de grenadine à côté du Canard WC, on aurait pu s'imaginer que je fais de drôles de choses. C'est là que j'ai retrouvé ma copine, qui avait réussi à se coincer entre le store et la fenêtre de la cuisine. Pov' conne. Tu m'étonnes que ton peuple ne prendra jamais le pouvoir sur Terre.
Cette fois-ci ça a quand même été beaucoup plus simple : ça ne m'a pris que cinq minutes pour la libérer de sa prison de rotin et lui faire comprendre que si j'avais ouvert la fenêtre c'était pour m'en débarrasser sans violence (parce que la violence, c'est très mal). C'est ainsi qu'elle a pu retourner vers ses copines, pour leur chanter les louanges de ce géant qui l'a nourrie, hébergée et sauvée d'une mort atroce. À l'heure qu'il est, je suis sûrement devenu le Dieu d'une colonie de diptères. Enfin bref, encore une journée bien remplie.