Comme je respire (2/2)
Alors c'est décidé, dès qu'ils me poseront la question, je dirai que je oui, je dois y aller de bonne heure, en plus aujourd'hui j'ai un chef différent, qui ne sait pas comment je viens.Ca a plutôt mal commencé, mes rêves de tricherie, parce que si jeudi et vendredi ils avaient demandé dès le matin si on pouvait rester jusqu'à la fermeture, aujourd'hui que tchi, je suis revenu de miamer qu'ils s'en étaient pas encore occupés. J'étais presque sur le point de me résigner, tant pis, c'est un signe, je ne suis pas fait pour resquiller, tel est mon triste destin, quand enfin :
Et là j'ai maudi mes réflexes conditionnés, mon éducation Bree VanDeKampienne et ma bouche qui parle toujours trop vite :
Argl je suis trop con ! Mais pas cette fois. J'ai décidé que la grève et la grande générosité d'Happy Time joueraient en ma faveur, et j'y arriverai ! Résiste, prouve que tu existes, toussa toussa. Alors je me reprends, si ça se trouve elle m'a pas entendu, et pendant que mon petit coeur s'emballe de mettre en route la vilaine machine du mensonge, je lance un ô combien naturel, spontané et convaincant :
- Ben alors ? Tu dis oui, ou tu dis non ? (Damned, elle avait entendu) Bon tu dois partir à quelle heure ?
- Euuuh...
Le problème, c'est que je n'avais pas réfléchi plus que ça, dans ma tête mon plan brillantissime se limitait à dire que je voulais y aller plus tôt, et voilà, on me disait oui, et vogue la galère. Et là je ne peux plus faire machine arrière, ça serait difficile d'avouer que je me serais juste bien volontiers cassé de bonne heure, eux ils s'attendent surtout à ce que je leur balance un horaire de train, un impératif ou quelque chose. Alors je fais mon lapin pris dans les phares, je reste bloqué. C'est trop tard je suis fait, je suis trop con, argl, mais pourquoi est-ce que je ne suis pas meilleur dans l'improvisation, chienne de vie !
Mais la candeur de mes chefs est inversement proportionnelle à mes talents d'acteur. Contre tout attente, mon grossier mensonge a l'air de prendre, ils me proposent d'eux-mêmes de rentrer à dix-neuf heures, ça te va David, oui oui je pense que ça devrait être bon huhuhu.
Ca se passait trop bien. J'avais juste oublié Collègue à côté de moi, qui sait où j'habite, et à qui rien n'échappe. Elle fait exprès de profiter que Chef soit encore à portée d'oreille, je le sais, j'en suis sûr, elle me déteste !, pour demander :
Gasp. Connasse. Premier réflexe, je lui balance de toutes mes forces mon coude dans la gorge. Ensuite, je me place juste devant son corps inanimé, comme ça personne ne voit ce que je viens de faire, et je réponds, en improvisant du mieux que je peux :
Et avant qu'elle pose une autre question, je l'achève avec un bon coup de pied dans le ventre.
La suite est plus facile. Après des débuts un peu chaotiques, je n'ai plus qu'à faire attention à la cohérence de mon histoire (Melun, donc), et à ne mettre personne dans la confidence. Aujourd'hui plus que jamais, tout le monde à Happy Time est un ennemi potentiel. Je n'ai plus eu qu'à apporter la touche finale à mon édifice déjà irréprochable. Un peu avant l'heure H, j'ai pris mon air triste pour demander à Chef:
Et là, gros soupir de soulagement, j'ai su que mon plan avait marché, j'avais gagné : non seulement j'allais m'en aller à l'heure de mon choix, mais en plus, tout le monde allait croire que je le méritais. Elle m'a répondu avec un air horriblement désolé :
Elle a pas eu à me le dire deux fois.
Maintenant, si en revenant mercredi soir (un week-end de trois jours et demi, c'est ce qu'il faut) ils me virent, ça voudra dire que ça n'était pas suffisant de simplement changer le nom de la boîte sur mon blog, pour avouer mes crimes (et donc que j'ai été bien inspiré de ne pas parler de tout ce que j'ai déjà piqué depuis que j'y bosse).