Cris et chuchotements

L'avantage d'habiter dans un square, c'est que... euh... voyons... ah, si : j'ai pas trop de vis-à-vis. L'inconvénient, c'est que c'est beaucoup moins calme que ça n'y paraît. Le matin, je suis réveillé par les femmes d'affaires dynamiques qui font claquer leurs talons sur le... revêtement de sol dont je ne connais pas le nom. On dirait des pavés. Et un square encadré par des immeubles, ça a une acoustique digne des meilleurs amphithéâtres Grecs, du coup je profite pleinement de leur marche énergique.

L'après-midi, les parents viennent épuiser leurs connards de gosses de merde juste sous mes fenêtres, après l'école, pour être tranquilles une fois rentrés. On croirait pas, mais une cinquantaine d'enfants qui courent dans tous les sens en hurlant à pleins poumons dans un square qui fait office de caisse de résonance, c'est... disons que dans ces moments là, j'aimerais être un sniper.

Et la nuit venue, c'est l'heure où les enfants un peu plus grands prennent possession des lieux. Le monsieur veut dire qu'en fait les racailles et les rebelles aux cheveux gras qui s'écrivent au tipp-ex sur les chaussures viennent s'y bourrer la gueule à la Despé. Du coup, je m'endors assez souvent avec en fond sonore des mecs complètement déchirés qui gueulent contre / avec des filles encore plus barrées. Ma berceuse à moi, c'est :

- COOONNAAAAASSE !!!

- HIHIHIHIHI COOOONNAAAAARD !!!

- WEEEEEEESH !!! COOONNNAAAAARDS !!!

- HIHIHIHIIIIIIIIIIII HAAAAAA AAAARRÊÊÊÊTTE !!!

Et encore, je fais pas les quintes de toux à cause de tous leurs joints qui leur détruisent leurs petits poumons de d'jeuns, et puis c'est dangereux pour la santé, la drogue c'est mal just say no, vu que je ne sais pas trop comment faire une onomatopée pour un mec qui crache ses poumons (mais vraiment) pendant vingt minutes.

Surtout que j'aime bien dormir avec la fenêtre ouverte et les volets pas complètement baissés (je vous raconte ma vie hein, je vois que ça vous intéresse), du coup c'est pas ça qui aide à atténuer les bruits.

Et puis hier soir, surprise. Vers une heure, j'ai entendu une voix de mec qui parlait. Il criait pas, il avait pas la voix pâteuse, non, il parlait. J'ai pas eu à beaucoup tendre l'oreille pour entendre ce qu'il disait. Il était à l'autre bout du square, mais sans un poil de vent, rien, aucune pollution sonore (à part lui bien entendu), je l'entendais comme si j'étais sur ses genoux.

Et il débattait de philosophie avec son pote.

- Ouais alors, tu vois, Nietzsche, dans sa pensée, on voit que bla bla bla...

- Ouais mais non parce que Bergson, si tu lis toute son oeuvre, tu te rends compte que...

Quand je me suis couché, sur le coup de 1h30, ils y étaient encore.

Au secours. Maintenant la nuit, mon (j'ai un sens de la propriété parfois trop développé) square devient le nouveau Café de Flore.

Et je sais pas lequel est le pire, d'avoir des mecs complètement torchés qui gueulent comme des porcs, ou des mecs sobres comme des chameaux qui viennent là pour se raconter Critique de la Raison Pure comme moi je vous raconterais Ratatouille.