Voyage vers les Enfers (3/3) – Charybde et Scylla
La Crète, c'était quand même bien. L'avantage de ne bosser qu'avec des pondeuses, c'est que je suis obligé de partir hors période scolaire : du coup on avait l'hôtel rien que pour nous. On se partageait la piscine avec deux beaux et jeunes Anglais, qui nous ont bien intrigués toute la semaine durant (surtout moi, je dois dire). Le premier était officiellement une copine : il marchait cambré comme un arc, le cul bien en arrière, et tirait la tronche avec ce regard hautain du parfait pédé parisien. Mais l'autre, par contre...
Il faisait hétéro rugbyman, et se grattait les couilles en descendant des bières, pendant que son copinou carburait au Coca Zéro (tout le non-intérêt du Coca, en se donnant bonne conscience, you go girl !). Ils partageaient la même chambre, la même table, le même sac, la même crème solaire, mais à vue de nez ça s'arrêtait là : aucune complicité, pas de regards tendres mon amûr, peu de conversations...
Est-ce qu'ils étaient frères ? Est-ce qu'ils étaient secrètement amants (oh oui oh oui oh oui !) ? Est-ce qu'ils étaient là pour le boulot, à tourner leurs scènes d'englishlads le matin, et faire bronzette l'après-midi ?
À ce jour le mystère reste entier.
Pour les oublier, on allait parfois se balader en ville. C'est comme ça qu'au détour d'une ruelle, on est tombés sur deux instituts de fish pedicure se faisant face : Fish Spa, et Spa Fish. Pour ceux (comme moi) qui ignorent ce que c'est, tu mets les pieds dans un bassin, où des poissons viennent te bouloter les peaux mortes, et ils en ressortent aussi doux que des fesses de bébé. Quand on est poissontophobe comme moi, c'est l'horreur.
Lapin, lui, a trouvé le principe génial, et m'a forcé à essayer avec lui, le bâtard. Tous les gens à qui j'en ai parlé m'ont dit qu'ils étaient mortellement jaloux. Bande d'inconscients, mais vous vous rendez pas compte ?!
On a choisi Fish Spa (pour la raison évidente ci-après), sous le regard haineux de la concurrence. L'option dix euros pour dix minutes de pure terreur abjecte.
"Come in, come in", nous a dit la bourreaute, une blondasse à l'air doucereux, qui doit bouffer des bébés chats au petit-déjeuner, sinon je vois pas comment on peut tenir un business aussi infâme.
Oooh toi, déjà, si tu te sens obligée de le préciser, si tu sais ce dont j'ai peur, c'est louche, tu es louche, ton commerce est louche.
J'ai quand même obtempéré, quand elle nous a demandé de nous rincer les pieds. Mais je l'avais à l’œil, la fourbesse.
Une fois les petons propres, le cauchemar pouvait commencer.
On immerge un pied... Sur lequel les barracudas se jettent sans retenue... Puis l'autre... Et pour les poissons, c'est la curée. Des dizaines et des dizaines de petites bouches, partout sur les pieds, sur les mollets, qui tentent de se faufiler entre nos délicats orteils.
Elle nous regardait en rigolant, à nous narguer avec ses "Yes, it's funny ? It “ça chatouille“, see ?". Yes connasse, ça chatouille. Mais si j'avais voulu me faire chatouiller les pieds, j'aurais pu les foutre dans une bouteille de Perrier (c'est fouuuu).
À rester avec nous en souriant, j'avais l'impression qu'elle attendait que j'abjure ma foi en Belzébuth. Moi, je voulais juste me trancher les jambes et leur laisser en pâture, pour ramper loin de cet enfer. Je n'en ai rien fait.
J'avais pourtant calculé, on devait rester jusqu'à cinq heures vingt-cinq (question : à quelle heure a-t-elle commencé à nous torturer ?). À la demie, elle nous a gracieusement offert cinq minutes de plus.
D'autres français sont alors arrivés, pour tenter l'expérience. J'ai voulu de les prévenir, non, venez pas, c'est horrib'!, mais mon côté sadique s'était réveillé. Si David doit tomber, il en emmènera le plus possible dans sa chute.
Les cons n'avaient pas compris qu'il fallait se rincer les pieds avant de servir à dîner aux hyènes à nageoires. Alors, cinq minutes s'étaient écoulées que Felindra pêchait un cadavre, puis un second, dans leur aquarium (faciles à repérer, c'était ceux qui se faisaient déjà dévorer par leurs pairs -rassurant...). Du coup, ils ont été chassés de là avant nous.
Comme on n'avait tué personne, elle nous a souri, avant de nous annoncer qu'on pouvait rester encore un peu, allez, jusqu'à six heures.
L'horreur sans fin.
Pour les plus courageux, j'ai réussi, au péril de ma vie, à filmer la scène, pour que vous voyiez un peu l'horreur qu'est une fish pedicure (allez, bande de fétichistes, je vous autorise à vous branler sur mes pieds).