Autopsie d'un tube
Ce jour-là, Mylène Farmer est chez elle, à la recherche de l'inspiration. Son complice et confident de toujours, Laurent Boutonnat, l'aide dans cette recherche en regardant partout, même sous les coussins du canapé, bien qu'il eût préféré continuer à créer des mélodies, tranquille sur son orgue Bontempi. Couchée sur un cercueil, Mylène se tapote le menton avec la gomme de son critérium :
- Piiiii... Paaaaa... Pôôô... PuuuUUUuuu... Hmmm ? Ouais ouais, ce que tu dis, fais-ça... Piiiiii...
- Alors... Comment je pourrais tourner ça... Euuuh... Je sais ! Je vais commencer par faire une liste de ce que je n'aime pas ! (Mylène, restée fixée au stade anal, aime bien faire des listes, et vérifier vingt-deux fois avant de sortir d'une pièce qu'elle en a bien fermé la fenêtre) Bon, commençons...
- Pûûû pû puuu pah !
- Voyons voir... Qu'est-ce que je n'aime pas... La cruauté ? Ah ça, c'est laid, la cruauté ! Et puis, et puis la calomnie, oh qu'est-ce que c'est laid la calomnie ! Han, je suis super bien partie, la muse s'est posée sur moi ! Et puis aussi, et aussi... Euh... Lolo ! Je sèche !
- Poo piii puh ?
- Dis mon Lolo, c'est pour ma chanson, qu'est-ce qui est laid ?
- Euh, ta coupe de cheveux ?
À ces mots, la chanteuse poétesse éclate en sanglots.
- Mais non, mais t'es trop méchant, et j'avais bien raison, la cruauté, c'est laid ! Et la calomnie, c'est laid ! Et l'infamie, et ben, c'est laid aussi !
Répond la star, entre deux sanglots, en tentant péniblement de se relever du sol où elle s'est effondrée. Mais le temps passe, la création artistique est comme un film de Godard, lente et douloureuse, et le temps qui lui était imparti est maintenant révolu.
Le temps de vérifier ses fenêtres (vingt-deux fois, pendant que Laurent tape du pied et trépigne devant la porte, un jour il va se la faire cette conne, putain, le jour où elle arrête de rapporter...) et de jeter deux ou trois idées de plus sur son bloc, dans le taxi qui les conduit au studio d'enregistrement, de trouver quelques mots bien tendancieux de derrière les fagots, comme "coïter" ou "les apôtres je les mange" (parfois, les muses n'ont que faire du sens des mots), et Mylène et Laurent peuvent enregistrer le nouveau titre de la star, qu'elle est tout de même allée chercher bien loin, comme toujours.