Les hommes aiment les hommes qui n'aiment personne
Pendant mon premier contrat à Happy Time, j’étais encore un jeune blanc-bec, tout naïf, la tête pleine de belles illusions. Je ne détestais pas le boulot, tous les jours c’était un peu comme être en colonie de vacances. Sans me forcer, j’étais aimable et souriant avec les clients, consciencieux dans mon travail.
Je faisais aussi attention à mon apparence : j’arrivais toujours bien rasé-bien coiffé-bien habillé, pour que les chefs continuent à être satisfaits de moi. Et puis, je bosse quand même dans le coeur du monde gay parisien, il fallait bien essayer de faire une belle impression sur ces messieurs, on ne sait jamais sur qui on peut tomber.
Mon premier contrat a duré six mois. Je me suis fait draguer par un ou deux collègues, et mater par quelques clients (sans compter les fans qui étaient venus voir la bête à l’oeuvre).
…
Et puis, pour mon deuxième contrat, j’ai découvert Perle de Lait. Je me suis rendu compte que je fais vraiment un job de merde, que je n’ai aucun avenir, et que de toute façon les chefs m’aimeront quoi qu’il arrive, vu que je remplis les deux conditions requises pour être bien vu : je viens, et je bosse.
Ca a un peu joué sur mon humeur et mon attitude.
Maintenant je ne me rase plus qu’une fois par semaine (grand maximum), et je fais la gueule la plupart du temps, ce qui me donne un charmant air morose. J’ai arrêté d’être consciencieux, ça ne mène à rien, et quand il n’y a pas de clients, je sors mon bouquin, dressant la culture comme un mur invisible entre moi et ces têtes de cons qui me servent de collègues.
Je ne suis pas plus aimable avec la clientèle. À la place du “Bonjour ! ” de rigueur quand un client arrive, je me contente de pencher la tête sur le côté et de lui lancer mon regard apathique et dédaigneux, celui qui dit “Bon, eh; ok ?”, mais en esquissant un sourire quand un chef est dans les parages, parce que faut pas déconner, eh.
Nouvelle attitude, nouveaux résultats.
Sur les sept étages du magasin, il n’y en a plus que deux où je puisse marcher sans tomber sur des employés qui me font une drague lourde et insistante, me caressent pour me tenir la porte ou veulent m’embrasser dans le cou à côté de la machine à café. Je récupère les numéros de tout le monde, y compris des clients. Plus ça va, moins le job me plaît, moins je suis sympathique et plus mon magnétisme sexuel a l’air d’augmenter.
Et je ne suis là que depuis un mois. Je peux être tellement, tellement plus antipathique !
Happy Time, tout pour élargir ses horizons.