Ne regarde pas. Ni en avant, ni en arrière.

À gauche, ma grand-mère, trente-sept ans, à droite, ma mère, neuf ans.

Tout va bien, on fait bronzette tranquille en Espagne, merci le Front Populaire pour les congés payés.

Évidemment, Mamanprocellus fait un peu la gueule, mais c'est juste parce qu'elle a le soleil dans les yeux, elle n'a pas la chance d'avoir des jolies nunettes comme môman.

Elles s'en font pas, toutes les deux, elles claquent la pose sur le matelas pneumatique que Pépéprocellus a dû gonfler avant d'aller prendre la photo, pour que quarante-quatre ans plus tard David puisse tomber dessus. Bon bien sûr, personne se doute qu'un jour quelqu'un ira scanner la photo et la mettre sur son blog, déjà s'ils la font développer ça sera pas mal.

Et puis personne ne pense à dans quarante-quatre ans, c'est trop vieux, c'est trop loin, on a le temps de voir venir !

Méméprocellus est contente. Elle est fière de sa petite famille, son beau mari, ses beaux enfants. Elle a encore le temps de faire plein de trucs de femme de l'époque, mais dont je n'ai aucune idée (aller épier chez les voisins pour prouver que Samantha est une sorcière ?). De son côté, Mamanprocellus est une petite fille espiègle, qui aime bien qu'on la prenne en photo avec sa maman, qui tape sur les garçons avec sa copine Sylvie, et peut-être même qu'un jour elle sera institutrice ou star de cinéma, elle sait pas elle hésite, en tout cas ça sera un truc où elle pourra continuer à taper sur les garçons et jouer avec ses copines et bien s'amuser dans la vie.

Elle sait pas qu'en fait les garçons vont tellement se venger qu'elle finira par ne plus oser voir personne, qu'elle ne sera jamais institutrice ou star de cinéma ni même heureuse dans la vie. Méméprocellus non plus, elle ne sait pas que dans quarante-quatre ans, sa fille la détestera, son fils sera mort, et qu'elle passera ses journées à faire sous elle, baver, avoir de la purée dans la tête et attendre d'y passer en jouant au rami -parce que ouais, moi aussi si je devais mourir quand je mourrai, ça sera à cause du rami.

Et moi aussi pour l'instant, je joue avec les garçons (sans leur taper dessus), un jour j'aurai un métier qui me plaît, et je serai heureux dans la vie et après quand je serai plus vieux je pourrai mater chez les voisins pour prouver que Samantha est une sorcière.

Et après, ça sera à mon tour de pleurer ma vie ratée, faire sous moi et baver en attendant de crever. Mais ça on n'y pense pas, pas encore.

Procellus, ou le plaisir de vieillir. Oh oui alors.