Un mot par jour

Le matin, à Happy Time, j'arrive tout le temps presque à la bourre, mais vraiment juste presque, alors je suis essoufflé, mais ça passe à chaque fois inaperçu.
Ce matin là, au poste d'à côté, Totoro, lui, est vraiment arrivé en retard, et ça s'est grave vu.

La chef qui passe par là ne manque pas de le lui faire remarquer.
Et puis elle nous demande :

- Bon les garçons, y'a un débrayage prévu à 11h45, vous en êtes ?

Totoro grommelle que non, et on n'attend plus que ma réponse.
Je suis bien embêté, parce que je ne suis pas sûr d'avoir vraiment compris la question. Pour moi, le débrayage, c'est un truc qu'on fait pour passer les vitesses, mais je ne vois pas trop ce que ça vient faire à Happy Time, ou même dans la phrase.

Alors, négligemment, je demande :

- Hmmm, pardon, tu as dit quoi ?

En imaginant qu'elle va reformuler, on ne sait jamais, je crois à des choses plus idiotes hein...
Perdu. Elle répète :

- Y'a un débrayage, à 11h45, on a besoin de savoir qui participe, pour s'organiser.

Bon, à mon avis, elle veut parler de grève, mais la cruche, elle sait pas qu'il y a un mot pour dire "grève" : "grève", justement.
De toute façon, au pire je vais passer pour un con, au mieux je vais enrichir mon vocabulaire. Et peut-être qu'elle sera touchée par ma candeur juvénile, et qu'elle proposera de m'augmenter ?
Alors je demande, pour être sûr :

- Mais... ça veut dire quoi, "débrayage" ?

- Ben... c'est la grève, quoi.

Bingo ! I knew it, I just did !
Bien sûr, elle doit me prendre pour un demeuré fini, mais elle n'en laisse rien paraître, et me demande :

- Bon donc, tu la fais ?

- Ben j'en sais rien, c'est une grève pour quoi ?

- Je sais pas trop.

Ca tombe bien que je n'ai pas plus envie que ça de la faire, parce qu'après cette question, j'aurais l'air un peu con et opportuniste. Alors je décline avec toute la politesse dont je suis capable.

Une fois la chef partie, Totoro se tourne vers moi, pour savoir ce qu'elle voulait parce qu'il n'a pas vraiment entendu.
Je lui explique en insistant bien sur "débrayage", tout fier de mon nouveau mot, vouaiche.

Là, il me dit qu'il doit vite aller prévenir qu'en fait, il va peut-être suivre le mouvement, comme il vient d'être nommé à je sais plus quel poste au syndicat, ça serait mal vu qu'il ne participe pas...

C'est à midi que la chef est venue me dire de ne pas stresser et de garder mon calme (ben oui, c'est sûr, maintenant que tu as dit ça, je suis obligé de stresser !), parce que comme le mouvement était assez suivi, j'étais tout seul à l'étage.

Seul face à des hordes de monstres affamés venus spécialement à Happy Time pour le début des soldes.

C'est ainsi que je suis mort.

Procellus, ou j'aime pas les grèves.