Ghost

Maman Procellus a l'habitude de le répéter : "ça fait TRENTE ANS que je voyage, TRENTE ans, et je n'ai jamais vu cela, JAMAIS !". Oui, maman Procellus, en colère, répète en criant certains mots.
Mais le fait est qu'elle voyage depuis environ trente ans. Depuis trois décennies, à chaque voyage, elle trouve des souvenirs à rapporter.

Et même si au fil des nombreux déménagements, on a réussi à en perdre, (ils sont bizarres, les déménageurs, s'ils ont piqué des souvenirs à ma mère... Mais bon ! Tant pis pour eux !) l'appartement s'est lentement rempli d'un nombre incalculable de coquillages peints, oiseaux en bois et autres babioles infectes.
Si bien que maintenant, tous les ans à la Noël, quand elle reçoit un brûle-parfum ou une lampe à huile, ça devient difficile de lui trouver une place sur les étagères.
Ou dans la bibliothèque.
Ou dans l'appartement.

En plus, depuis trente ans (TRENTE ANS !) que ma mère parcourt le monde, elle a fini par avoir un fils (sans rapport avec les voyages, enfin, je ne crois pas). Ben oui, ça arrive.
Et un petit enfant tout mimi comme moi, quand c'est à l'école, ça fait des ravissants dessins qu'il faut accrocher au frigo, des bracelets en macramé qu'il faut porter en toute occasion, et puis, quand ça part en classe de mer, ça revient avec un zouli cendrier en coquille saint-jacques, ou un galet à la forme rigolote...
Tout ça, c'est du bordel qui s'accumule et qu'on n'ose pas jeter.

Jusqu'à ce dramatique week-end d'août 2006, où il a été décidé qu'il fallait faire quelque chose, ça ne pouvait plus durer.
Et elle a tout jeté. Les souvenirs qu'elle avait rapportés. Les souvenirs qu'on lui avait rapportés. Les cadeaux qu'on lui a faits (Lampe à huile, Noël 1999, brûle-parfum Noël 2000, lampe à huile Noël 2001, brûle-parfum Noël 2001 -une bonne année, tiens !- etc.).

Et toutes mes créations originales pré-pubertaires ! Alors que je suis en train de devenir célèbre, et qu'un jour, toutes mes oeuvres vaudront une fortune !
Surtout qu'à une époque, j'étais très actif (comme quoi...), et afin de canaliser toute celle belle énergie, on m'avait inscrit (de force, le plus souvent) à la poterie, au théâtre, à l'atelier journalisme de l'école (ah, le nombre de voisins que j'ai pu racketter, à les obliger à acheter mon petit journal... C'était le bon temps...), au karaté...

Et là, sur le dessus du sac qui dans quelques minutes partira pour le local à poubelles, que vois-je ? Ma plus belle création (puisque la seule que j'ai terminée) de mon année de potier. Alors hop, ni une ni deux, je l'arrache au sac (Tu n'auras pas ce souvenir ! Il est mien et fait partie de ma vie ! Meurs, pourriture communiste !), je la mets avec mes petites affaires, et je la rapporte dans ma maison. Non mais !
Ma poterie à la poubelle. Non mais je crois que je rêve !

Ensuite, dans quelques années, j'en aurai sûrement marre, moi aussi, de cette horreur, et je la jetterai, fin de l'histoire.

Mais en attendant, cet objet peu commun que vous ne verrez pas chez tout le monde sera du plus bel effet, sur mon nouveau meuble d'adulte affamé de décoration.
Voyez plutôt.


Procellus, ou toutes les excuses sont bonnes pour exposer ses colliers de nouilles.