Tu seras un homme, mon fils

Lundi, c'était mon anniversaire. Même que je suis devenu un homme. Ben ouais, c'est bien connu, à vingt-six ans on est un adulte, un vrai, qui n'a plus droit à son livret jeune, qui arrête de bénéficier du tarif gibier au sauna, et qui a les moyens de payer ses billets de train plein pot. Un homme, quoi.

Pour célébrer mon entrée dans le monde des grands, Papaprocellus a décidé qu'il était temps de m'initier aux plaisirs de la vie. Alors en guise de cadeau d'anniversaire, il m'a payé une pute.

Nan, je déconne. Comme ils me l'avaient promis, Lui et Marâtre m'ont payé un restaurant étoilé Michelin (enfin, juste le repas hein), parce que soi-disant qu'à force de me nourrir uniquement chez McDo et à ne manger que des knacki et du jambon purée, je tue lentement la grande tradition gastronomique de mon beau pays. J'aurais bien répondu que j'en avais rien à foutre, mais bon, je voulais pas risquer de perdre ce repas chaud et gratuit.

Quand je suis arrivé chez Papaprocellus, avec mon sweat et mon vieux jean et mes baskets sales, il a eu l'air un peu surpris :

- Ah tu y vas habillé comme ça ? - Ben oui, moi on m'a juste dit de venir, pas de venir bien habillé, pourquoi, ça va pas ? - Non non... Ca ira, c'est bon...

Parce qu'en fait à l'origine, ils m'avaient juste dit qu'on irait dîner dans un restaurant vers chez eux où ils vont souvent, et c'est très rigolo, on mange dans des éprouvettes, certains plats font sortir de la fumée par le nez, et on boit de la tarte tatin. Ces enfoirés de leur mère la pute avaient omis de préciser qu'en plus c'était un truc de riches.

Jusqu'à ce que Marâtre rentre du boulot pour nous y emmener, tout s'est bien passé. Mais quand elle est arrivée, elle a demandé à Papaprocellus de se changer, parce que quand même, voilà quoi. Du coup, je me suis senti tout bête. Elle m'avait rien dit, mais j'ai quand même essayé de justifier mes haillons :

- Moi on m'avait pas dit qu'il fallait être habillé, d'abord !

Grands seigneurs, ils m'ont assuré que ça irait très bien. Mais dans la voiture, la drama queen qui sommeille en moi s'est réveillée en sursaut. Oh mon Dieu mais je vais être mal habillé et tout le monde va me regarder et ils vont me jeter des pierres et des oeufs pourris et je veux mouriiir arrêtez la voiture !

Il s'est avéré qu'ils avaient raison. Je me suis rendu compte que je pouvais être dans une salle remplie de pépés en costumes cintrés et de bourgeoises assorties, porter un pull Gap moche et en sortir indemne. De toute façon le troisième âge, avec leur cataracte ça fait un moment qu'ils ne remarquent plus ce que portent les autres.

Le reste de la soirée a été assez anecdotique. Il a juste fallu un temps d'adaptation pour s'y repérer et choisir les plats, entre "Passion violente d'une Pintade de l'Allier servie tendre, émulsion d'un gratin Dauphinois et tuile de riz cassante", "Saveur assoupie d'une Poitrine Pincée de moutarde de Charroux son et parfum d'un 'chou mandarine' combiné de Jambon Ibérique" et autres "Volcan éteint d'une pêche au Cassis surmonté d'un nuage de menthe glaciale". Moi aussi plus tard je veux faire ça comme métier, inventeur de noms à la con pour dire "du poulet", "du jambon" et "de la glace" !

De dégustation de mini-plat en dégustation d'autre mini-plat, avec un garçon tout crispé (sûrement à cause du balai qu'il avait avalé) qui nous rappelait solennellement ce qu'on avait choisi avant de nous laisser y goûter, on est vite arrivés au dessert. L'avantage de ce genre d'endroit, c'est que j'avais pas besoin de me demander toutes les cinq minutes si tous les serveurs n'allaient pas arriver en chantant "joyeux anniversaiiire" en portant le gâteau. La maison n'offre pas ce genre de triviale démonstration (et c'est tant mieux).

Je me suis demandé s'ils allaient quand même me donner mon cadeau à ce moment là, vu que je ne l'avais pas eu à l'apéritif. Ca allait sûrement être un truc super cher, parce qu'il ne prenait pas beaucoup de place, sinon je l'aurais remarqué dans leurs affaires à l'un ou l'autre, quand on était arrivés. Mais non. Bah, ils me le donneront peut-être si je les laisse monter quand ils me raccompagneront ?

C'est quand ils m'ont laissé en voiture en bas de chez moi, en me souhaitant une bonne nuit et encore un joyeux anniversaire que j'ai compris. Je les ai bien remerciés pour le resto, et je me suis senti vieux, vieux, mais vieuuux ! Alors ça y est, je suis arrivé à cet âge où on arrête de m'offrir des vrais trucs, genre le château Playmobil ou le bateau des pirates Lego ? Maintenant que je suis vieux, on ne m'offre plus que des souvenirs, des instants, des cadeaux d'adulte dont je n'ai que foutre ?

Heureusement, mes deux parents ne sont pas comme ça. Une fois passé le choc de cette intense déception, je suis sorti du caniveau où j'étais tombé à genoux, hurlant à la mort contre ce triste destin, et je suis rentré chez moi. Là, je me suis jeté sur la DS que Mamanprocellus m'a offerte, et j'ai attrapé des pokémons jusqu'à ce que je me mette à rajeunir.

Ca n'a pas marché.